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Staatsballet Berlin – Roméo et Juliette de John Cranko

Roméo et Juliette de John Cranko a fait son entrée au répertoire du Staatsballet de Berlin en 2012 lors des dernières années de la direction de Vladimir Malakhov. Une entrée fracassante provoquant un énorme succès populaire. L’œuvre est depuis reprise chaque année devant des salles combles attirées par ce chef-d’œuvre de la danse classique. Cette version de John Cranko est en effet l’une des plus séduisantes, véritable orfèvre du ballet narratif néo-classique.

Roméo et Juliette de John Cranko – Staatsballet Berlin

S’il ne fallait désigner qu’un chef-d’œuvre dans le répertoire classique du XXe siècle, Roméo et Juliette s’imposerait sans grande discussion possible. À l’instar du Lac des Cygnes – et peut-être plus encore ! – ce ballet bénéficie d’une conjonction unique : une partition géniale composée par Sergueï Prokofiev, truffée de tubes de la musique classique que tout un chacun a peu ou prou dans l’oreille, et un livret puisé chez le plus grand poète de l’histoire, William Shakespeare

Roméo et Juliette, créé en 1938 à l’opéra de Brno (Tchécoslovaquie), s’impose en 1940 sur la scène du Kirov à Léningrad. C’est Léonide Lavrovski, grand maître du ballet soviétique qui lui donne ses lettres de noblesse en créant une version flamboyante aux décors colorés, qui est aujourd’hui encore au répertoire du Mariinsky. Mais il fallut attendre 1958 pour que ce ballet s’impose en Europe de l’Ouest grâce à la version que John Cranko conçut pour le Ballet de La Scala de Milan.  Il le remanie profondément quatre ans plus tard pour le Ballet de Stuttgart dont il était le directeur. Le chorégraphe sud-africain retouche son Roméo et Juliette pour sa muse Marcia Haydée, interprète lyrique suprême qui inspira toute l’œuvre de John Cranko. Cette version s’est imposée sur toutes les scènes allemandes et fut considérée comme la version européenne de référence avant celle du britannique Kenneth McMillan en 1965. C’est l’époque de la guerre froide qui cloisonne les compagnies de part et d’autre du mur de Berlin. John Cranko, reprenant la partition in extenso et le livret d’origine, bâtit un chef d’œuvre qui se mesure à celui de Léonide Lavrovski. Il s’adjoint les services du décorateur  et costumier Jürgen Rose avec lequel il crée par la suite Onéguine et qui signe plus tard décors et costumes de La Dame aux Camélias de John Neumeier.

John Cranko livre une version extrêmement fidèle à celle de Léonide Lavrovski. L’œuvre de Shakespeare ne se prête pas volontiers à une relecture et se suffit à elle-même. Mais nonobstant John Cranko imprime sa marque, celle d’un chorégraphe capable de construire un ballet en trois actes, de caractériser des personnages et d’articuler des ensembles et des mouvements de foules. Il y a tout cela dans son Roméo et Juliette, et au delà des deux amoureux de Vérone, toute une série de personnages qui ne sont pas secondaires. Cette richesse fait qu’il est difficile de rater totalement une représentation de Roméo et Juliette

Roméo et Juliette – John Cranko – Staatsballet Berlin

Le Staatsballet de Berlin a donc fait entrer cette production de John Cranko à son répertoire il y a quelques années, avec de nouveaux décors et costumes confiés au scénographe allemand Thomas Mika. Ce dernier a respecté l’architecture générale conçue par Jürgen Rose avec ces grandes arcades surplombées d’un balcon sans faire toutefois un copier/coller. Les lignes sont plus épurées, la couleur a été remplacée par le noir qui fait ressortir le faste des costumes. Plus moderne, moins invasive, cette scénographie forme un écrin splendide pour la chorégraphie de John Cranko.

Elisa Carrillo Cabrera et Mikhaïl Kaniskin sont tous les deux Principal du Staatsballet Berlin. Le danseur russe formé à l’école du Bolchoï puis à l’école Cranko et la ballerine mexicaine se sont rencontrés à Stuttgart. C’est dire qu’ils sont familiers de la version de John Cranko qu’ils dansent ensemble depuis de nombreuses années. Couple à la ville comme à la scène, ils ont élu domicile à Berlin en 2007, invités par Vladimir Malakhov. Ils rayonnent dans Roméo et Juliette, partenaires et complices idéaux pour les longs pas de deux acrobatiques chers à John Cranko, tels ces portés à une main et sur l’épaule ou tête renversée exécutés dans le tempo rapide de la musique de Prokofiev. Il n’y a cependant pas de geste gratuit chez le chorégraphe mais un désir constant d’expressivité maximale. Cela requiert une forte personnalité dramatique et une technique éprouvée. Elisa Carrillo Cabrera et Mikhaïl Kaniskin ne sont dépourvus ni de l’une, ne de l’autre. Ils sont superbement entourés par la troupe qui manque parfois ici ou là de synchronisation dans les ensembles mais qui possède parfaitement dans les jambes ce ballet. La compagnie de Berlin peut aussi fournir quantité de solistes de haut niveau avec pas moins de trois prises de rôle ce soir-là : Nikolaï Korypaev en Paris, Olaf Kollmannsberger en Benvolio et l’épatant Arshak Ghalumyan qui illumine le deuxième acte dans le rôle de Mercutio. L’Orchestre du Deutsche Oper de Berlin sous la baguette d’Ido Arad fait résonner la musique avec brio, énergie, déployant toutes les couleurs de cette partition majuscule.

La danse classique allemande doit beaucoup à John Cranko qui a laissé quelques chefs-d’œuvre toujours à l’affiche, que ce soit à Berlin, Munich ou Stuttgart. L’Opéra de Paris – qui s’en souvient ? – dansa sa version de Roméo et Juliette en 1983 mais elle ne fut jamais reprise, remplacée par celle de Rudolf Noureev. Brigitte Lefèvre eut la riche idée d’ajouter Oneguine au répertoire de la compagnie qui put ainsi s’initier au style Cranko. Mais pour les balletomanes, son Romeo et Juliette mérite assurément une visite outre-Rhin !    

 

Roméo et Juliette de John Cranko par le Staatsballet Berlin au Deutsche Oper. Avec Mikhaïl Kaniskin (Roméo), Elisa Carillo Cabrera (Juliette), Arshak Ghalumyan (Mercutio), Olaf Kollmannsberger (Benvolio) et Nikolaï Korypaev (Paris). Jeudi 1er février 2019.  À voir en alternance jusqu’au 30 juin.

 

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