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Ballet du Capitole – Nijinski, Clown de Dieu

La saison du Ballet du Capitole s’est refermée sur une soirée autour de la figure de Nijinski avec trois entrées au répertoire : Vaslaw de John Neumeier, Kiki la Rose de Michel Kelemenis, Faun(e) de David Dawson et une création de Stijn Celis qui revisite Petrouchka. Quatre chorégraphes d’aujourd’hui aux univers esthétiques différents mais qui partagent la même fascination pour Vaslav Nijinski, icône absolue de la danse. Et Kader Belarbi a intitulé cette soirée Clown de Dieu comme un hommage à l’un des plus grands danseurs de l’histoire.

Faun(e) de David Dawson – Natalia de Froberville et Florencia Chinellato

Sa carrière fut très courte, pas plus d’une dizaine d’années. Et pourtant, Vaslav Nijinski reste encore aujourd’hui un nom que tout le monde connaît au delà du cercle des amateurs et amatrices de danse ou des balletomanes. Danseur hors-pair capable de sauts phénoménaux, choisi comme partenaire par les ballerines stars du Ballet Impérial de Saint-Pétersbourg dont Anna Pavlova. Mais sa destinée aurait été toute autre s’il n’avait pas rencontré Serge Diaghilev et les Ballets Russes. Diaghilev le fit roi, mais causa aussi sa perte en le congédiant. Et à 30 ans, le prodige s’enfonce définitivement dans les ténèbres d’une folie dont il ne sortira pas. Dix ans seulement, très peu d’images, mais des Cahiers publiés en 1953 qui ouvriront une porte dans la psyché de Nijinski. Il n’a pourtant pas livré tous ses secrets et on comprend que danseurs et chorégraphes aient envie d’explorer encore aujourd’hui l’univers mental de Nijinski et de tenter de le traduire sur scène.

John Neumeier est dans ce registre incontournable. Le chorégraphe américain, qui dirige le Ballet de Hambourg  depuis 1973, voue en effet un véritable culte à Nijinski : il collectionne tout ce qui a rapport au danseur chorégraphe et aurait de quoi ouvrir un musée avec les pièces qu’il a glanées. En 2000, il créa un ballet en deux actes intitulé Nijinski. Mais en juillet 1979, John Neumeier proposait déjà une vision du danseur avec Vaslaw chorégraphié pour Patrick Dupond, à l’occasion du gala Nijinski qui conclut chaque année la saison du Ballet de Hambourg. Interprétation magistrale de l’Étoile française; mais John Neumeier demande à tous les interprètes de Vaslaw de ne pas copier Patrick Dupond, comme il le rappelle dans le programme.

Kader Belarbi ne pouvait que choisir cette pièce qu’il interpréta dans le rôle-titre lors de la reprise de 1998 au Palais Garnier. Pour cette entrée au répertoire du Capitole, Ramiro Gómez Samón et Philippe Solano sont entrés successivement dans la peau de Vaslaw. Lorsqu’il écrivit son ballet, John Neumeier proposa une narration autour du personnage alimentée par des évocations des rôles interprétés par le danseur chorégraphe et des hommes et femmes de sa vie. Vaslaw ne raconte pas son histoire mais traduit dans sa chorégraphie son univers mental. Philippe Solano y est splendide : en collant blanc et torse nu, il dégage force et  animalité avec une technique sûre et des sauts de grande qualité. Le soliste du Ballet du Capitole ne cherche en rien à incarner l’androgynie du personnage qui ne conviendrait pas à son physique.  Mais il s’impose par une présence impressionnante tempérée par ces mouvements de mains tout en nuances, passant de la posture du Faune à celle du Spectre de la Rose. Il confère au personnage dans son jeu et sa danse toute la palette du personnage de Nijinski, son art, ses angoisses, sa solitude irréparable. C’est très beau.

Vaslaw de John Neumeier – Philippe Solano

En 1979, John Neumeier est un jeune chorégraphe et son style est encore très influencé par celui de son maître John Cranko, notamment dans les portés. Car autour du personnage de Nijinski naviguent trois couples, pour trois pas de deux. S’y ajoute un personnage féminin qui danse pieds nus dans un solo très sauvage et charnel, interprété avec panache par Tiphaine Prévost. Qui est-elle ? L’image de Romola de Pulzsky qu’il épousa en 1913 ? Peut-être ! John Neumeier a chorégraphié son ballet sur des extraits du Clavecin bien tempéré et des Suites françaises de Bach : pas par hasard mais parce que Nijinski  souhaitait écrire une pièce sur ces partitions mais le projet ne se concrétisa pas.

Il n’est pas aisé de succéder à cette pièce. Kiki la Rose de Michel Kelemenis, créée en 1998 pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève, apparaît davantage comme un intermède. Il est doublement servipar Rouslan Savdenov, Soliste du Ballet et la mezzo soprano Victoire Brunel qui chante deux extraits des Nuits d’été d’Hector Berlioz, accompagnée au piano par Nino Pavlenichvili. En débardeur et pantalon vert, Rouslan Savdenov utilise ses bras à merveille dans les évocations du Spectre.

Kiki la Rose de Michel Kelemenis – Rouslan Savdenov

La suite fut le cadeau de la soirée de Kader Belarbi. Le directeur du Ballet du Capitole a sollicité David Dawson pour faire entrer au répertoire Faun(e) qu’il avait créé pour l’English National Ballet en 2009. Le ballet a été écrit pour deux danseurs mais Kader Belarbi lui a demandé d’en adapter une version pour deux femmes. Et ce samedi 22 juin dans la Halle aux Grains, les deux versions nous ont été proposées successivement. Laquelle faut-il préférer ? Les deux évidemment.

C’est tout d’abord Natalia de Froberville qui incarne ce Faun(e). On a déjà tout dit sur sa danse majuscule et l’Étoile du Ballet du Capitole resplendit dès la levée de rideau en silence. Ainsi débute en effet  le Faune de David Dawson avant que résonne la version pour deux pianos du chef-d’œuvre de Claude Debussy joués par Jonas Vitaud et Nino Pavlenichvili. Le chorégraphe a choisi les pointes pour cette version féminine, renonçant du coup à une vision androgyne du personnage. Pas de décors et un moment de pure danse alors que Natalia de Froberville est rejointe sur scène par Florencia Chinellato. David Dawson propose une vision d’un double, d’un miroir, d’une sœur, d’une transmission. Leur succèdent Philippe Solano et Ramiro Gómez Samón pour la version masculine. Si la gestuelle est identique, il y a davantage de jeu avec l’ambiguïté et l’hermaphrodisme. La danse est plus charnelle, plus érotique. Ils dansent en grande symbiose. Le chorégraphe britannique signe ici l’une des relectures les plus opportunes du Faune.

Faun(e) de David Dawson (Philippe Solano)

Après ces trois pièces pour solistes, Stijn Celis offre un Petrouchka “reloaded ” au corps de ballet. Le chorégraphe belge a conçu  une pièce pour 15 danseuses et danseurs et s’est affranchi du ballet originel de Michel Fokine pour imaginer une suite : la rébellion de la marionnette Petrouchka et sa résurrection. Il a voulu des masques de mort inspirés des lutteurs mexicains portés par les artistes et dessinés par Catherine Voeffray. On est bien loin du conte populaire russe. La version de Stijn Celis est résolument contemporaine avec une danse survoltée, rapide, athlétique. Il use et abuse parfois des courses mais il le fait avec maestria. Stijn Celis s’y entend pour organiser magnifiquement le désordre sur le plateau. Cela va à toute allure. Si certains solos sont vite oubliés, les ensembles sont impressionnants, toujours très physiques alors que les 15 interprètes dansent pieds nus.

Petrouchka de Stijn Celis – Ballet du Capitole

Aucun danseur au monde n’aura autant inspiré ses pairs. Près de 70 ans après sa mort, le destin tragique de Nijinski continue de nourrir l’imaginaire des chorégraphes et conduit les interprètes à se dépasser. C’est un phénomène unique et mystérieux.

 

Nijinski Clown de Dieu par le Ballet du Capitole à la Halle aux Grains Toulouse. Vaslaw de John Neumeier avec Philipe Solano, Natalia de Froberville, Simon Catonnet, Julie Charlet, Ramiro Gómez Samón, Florencia Chinellato, Timofiy Bykovets et Tiphaine Prévost ; Kiki la Rose de Michel Kelemenis avec Rouslan Savdenov ; Faun(e) de David Dawson avec Natalia de Froberville, Florencia Chinellato, Philippe Solano et Ramiro Gómez Samón ; Petrouchka de Stijn Celis avec Dafne Barbosa, Louise Coquillard, Ichika Maruyama, Solène Monnereau, Kayo Nakazato, Yuki Ogasawara, Tiphaine Prévost, Joanna Torello, Martin Arroyos, Amaury Barreras Lapinet, Baptiste Claudon, Rafael Fernandez Ramos, Lien Geslin Vinck, Jérémy Leydier et Nicolas Rombaut – Samedi 22 juin 2019.

 

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