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Une Parade d’aujourd’hui rouvre le Théâtre du Châtelet

Un vendredi 13 et des métros à l’arrêt n’ont pas eu raison de la fête annoncée pour la réouverture du Théâtre du Châtelet, sous le signe de Parade en écho à l’œuvre des Ballets Russes créée dans ce même théâtre en 1917. L’équipe pluridisciplinaire conduite par le metteur en scène Martin Duncan a imaginé un spectacle comme une magnifique débauche, investissant tous les recoins des espaces publics du Châtelet pour des saynètes surréalistes et délirantes sous le signe d’Erik Satie. Un prélude réjouissant avant un show résolument circassien magnifiquement construit par Stéphane Ricordel et Elizabeth Streb.

Parade – Elizabeth Streb (le final)

Quand on pénètre dans le hall du Théâtre du Châtelet, on sent encore l’odeur de la peinture qui a eu tout juste le temps de sécher. Tout est pareil et pourtant différent : ça rutile, ça brille, c’est flambant neuf ! Ruth Mackenzie, la co-directrice, est là accueillant le public avec comme un petit soupçon d’anxiété dans le regard à quelques minutes de la réouverture officielle. Mais en réalité, la machine est déjà lancée. Les Marionnettes du Mozambique sont arrivées sur la place du Châtelet et dans les escaliers, au foyer et à tous les étages, nous attendent une ribambelle de personnalités délirantes.

On y croise ainsi Erik Satie et Serge Diaghilev sortant miraculeusement d’un lit géant et cancanant sur Jean Cocteau. Dans le Grand Foyer, c’est un empilement géant de pianos à queue dans une fontaine où ont pris place des sirènes qui nous chantent du Satie. Il y a aussi des clowns survoltés qui réinventent la cuisine. Nous voilà  immédiatement  transportés un siècle en arrière à l’époque de la création de Parade, œuvre mythique qui sollicita les génies de Pablo Picasso, Jean Cocteau, Léonide Massine et Erik Satie sous la houlette de Serge Diaghilev, le fondateur des Ballets Russes. Parade sert d’ailleurs davantage de boussole  que de modèle pour cette version de 2019. Elle n’est pas un ballet mais un show circassien confié à deux équipes d’artistes distinctes, dirigées respectivement par Stéphane Ricordel et Elizabeth Streb, avec deux esthétiques très différentes. Les deux parties sont joliment coupées par un précipité où surgissent de l’orchestre aux amphithéâtres tous les personnages rencontrés avant le spectacle, s’interpellant bruyamment.

Parade – Les pianos empilés

On connait le Stéphane Ricordel d’aujourd’hui, co-directeur du Théâtre Monfort et du festival Paris l’été avec sa complice Laurence de Magalhaes. Mais avant de passer en coulisses, ils furent les fondateurs des Arts Sauts en 1993 et créateurs de spectacles qui firent date, transformant la vision du cirque et en particulier de l’acrobatie et du trapèze. Le cirque d’aujourd’hui ne serait pas ce qu’il est sans l’apport des Arts Sauts qui a ouvert la voie pour une multitude de compagnies.

L’un de leurs points d’ancrage artistique fut le rapport fusionnel à la musique. Stéphane Ricordel a ainsi conçu Boite Noire avec les voix et les percussions du quartette DakhaBrakha, qui réinvente subliment le folklore ukrainien pour en faire une musique d’aujourd’hui. Et c’est à leur rythme que se succèdent les artistes aux barres russes, au fil de fer et au cerceau. Il y a bien sûr leur extraordinaire virtuosité et leur incessante prise de risque qui suscite les applaudissements du public. Mais au-delà de la technique, c’est la musicalité parfaite qui fait de Boite Noire un moment suspendu au sens propre du terme. Qu’ils sautent ou qu’ils soient en équilibre ou en hauteur, leurs mouvements sont au plus près de la musique et construisent un ballet. À ce moment-là, danse et cirque ne font qu’un. Reste à espérer que Boite Noire sera repris car c’est une pièce magique.

ParadeBoite Noire de Stéphane Ricordel

L’univers d’Elisabeth Streb est singulièrement différent et pour ainsi dire à l’opposé. Quand Stéphane Ricordel tente de faire la nique à la gravité, l’américaine non seulement la revendique mais l’utilise et la montre dans ses shows. Sur une partition électronique de Pierre-Yves Macé L’Algèbre est dans les Arbres, Elizabeth Streb reprend deux de ses pièces et en crée une troisième qui ouvre cette seconde partie. Les pieds solidement arrimés sur des barres en hauteur, les artistes tournent, essayant toutes les combinaisons possibles : en avant, en arrière, à trois, à deix, seuls. Mais c’est la seconde partie Small Rise qui intrigue davantage et qui plonge au coeur du credo d’Elizabeth Streb sur la nécessité de la chute et du choc qu’il entraine. Sur un plan incliné, les quatre performeurs s’élancent pour retomber violemment : sur le ventre, sur le dos, de côté, développant différentes symétries. On entend le bruit des corps heurtant le sol. Il y a là un refus manifeste de faire le moindre compromis et comme une forme de brutalité qui à la fois interroge et fascine. La dernière partie Landscape voit les artistes  harnachés, tournant et volant au-dessus la scène du Théâtre du Châtelet. Cette danse verticale est nécessairement joyeuse pour un final coloré où les artistes sont bombardés par de la peinture de toutes les couleurs.

Mas la fête continue ! Pour célébrer cette réouverture, tout le public est convié à un pique-nique savoureux préparé par les étudiant.e.s de la section hôtelière du Lycée parisien Albert de Mun. On se retrouve devant le théâtre où le champagne et la citronnade coulent à flots. Il y a encore dans l’air une douceur estivale. On  croise par hasard des amis, on rencontre des inconnus, on se parle du spectacle et de nos souvenirs dans ce théâtre. C’est léger et joyeux ! Pouvait-on imaginer de meilleurs auspices pour le Théâtre du Châtelet ?

Parade – Satie et Diaghilev

 

Parade mise en scène par Martin Duncan au Théâtre du Châtelet. Les Marionnettes du Mozambique ; Boite Noire de Stéphane Ricordel avec Eric Bates, Tatiana Mosio Bongonga, Tristan Nielsen, Matias Pilet, Alexandra Royer ; Streb Extreme Action avec Jackie Carlson, Tyler DuBoys, Cassandre Joseph, Justin Ross, Daniel Rysak, Sophia Wade – Ensemble Intercontemporain dirigé par Mathhias Pintscher. Vendredi 13 septembre  2019.




 

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