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Body and Soul de Crystal Pite – Ballet de l’Opéra de Paris

Crystal Pite est de retour au Ballet de l’Opéra de Paris avec Body and Soul et c’est le spectacle le plus guetté de cette saison. Trois ans après le succès foudroyant de The Seasons’ Canon, la chorégraphe canadienne s’est en effet imposée comme une figure incontournable de la danse contemporaine d’inspiration néo-classique. Elle propose avec cette dernière création une pièce en trois actes, non narrative mais qui explore le thème récurrent qui lui est cher : le  rapport conflictuel entre l’individu et le groupe. Cela donne 75 minutes de danse mettant sur scène 36 danseuses et danseurs pour un spectacle parfois  passionnant, mais trop souvent touffu.

Body and Soul de Crystal Pite – Ballet de l’Opéra de Paris

Benjamin Millepied, lors de son court passage à la Direction de la Danse, avait eut la riche idée de convier Crystal Pite à créer pour la compagnie parisienne. À cette époque, la chorégraphe canadienne s’était déjà imposée avec sa propre compagnie Kidd Pivot, basée à Vancouver, qui allie danse, musique et théâtre. Il n’y a pas loin du Canada à Seattle et le Pacific Northwest Ballet, compagnie classique basée dans cette ville américaine, lui proposa de créer un pièce. Cela donnera le superbe Emergence en 2009, qui est depuis entré au répertoire d’autres compagnies.

En Europe, on connait Crystal Pite pour son travail de chorégraphe associée au Nederlands Dans Theater depuis 2008. Mais The Seasons’ Canon pour le Ballet de l’Opéra de Paris révèle au grand public cette chorégraphe majeure, qui a fait un bout de chemin comme danseuse au Frankfurt Ballet de William Forsythe. Le succès de cette création est immédiat. Le bouche-à-oreille dépasse le simple cercle des balletomanes et à la demande générale, The Seasons’ Canon est repris en 2018, déchaînant tous les soirs des tonnerres d’applaudissements et des ovations debout. Difficile alors de résister à l’idée de réinviter Crystal Pite. Mais cette fois-ci, Aurélie Dupont lui propose une soirée toute entière. Le spectacle est vendu sans même le titre de la création, sur le seul nom de la chorégraphe. C’est dire l’impact de Crystal Pite. Pourtant, il émane de cette jeune femme une forme d’humilité empreinte de doute qui suscite la bienveillance et l’admiration.

Body and Soul de Crystal Pite – Héloïse Bourdon et Axel Ibot

Créer 30 minutes de danse est une chose. Une soirée toute entière est un autre défi. Crystal Pite l’a relevé courageusement mais sans réussir tout à fait l’exercice. Body and Soul est une oeuvre très structurée, divisée en trois actes avec un entracte et un précipité. Son fidèle collaborateur Owen Belton a signé la partition à laquelle s’ajoutent les Préludes de Frédéric Chopin enregistrés dans la version de Martha Argerich pour le deuxième acte. La feuille de salle détaille chaque scène alternant duos, parfois trios et ensembles.

Quand le rideau s’ouvre, François Alu debout et Aurélien Houette couché sont déjà sur scène. La lumière est blafarde, sans décors, et les deux danseurs sont en costumes de ville avec chemise blanche, cravate et manteau. On entend alors la voix de la comédienne Marina Hands qui, durant les 30 minutes de ce premier acte, décrit en mots simple ce qui se passe sur scène : droite, gauche, front menton, poitrine genoux….Ce premier duo esquisse l’armature de cette partie du ballet qui se joue dans la pénombre et les superbes lumières créées par Tom Visser. Ce dispositif, avec ces fondus au noir, permettent à la chorégraphe d’organiser les différentes séquences, et en particulier les entrées et les sorties des artistes. Très vite, on retrouve dans les gestes un  style qui nous est familier et qui ne s’exprime jamais mieux que dans les ensembles. Crystal Pite sait comme personne chorégrahier pour un groupe comme s’il était un seul corps vivant, le faisant avancer, reculer, changer de direction, modifiant sans arrêt son centre de gravité jusqu’à ce que un ou deux individus s’en détachent. Cette figure de style, déjà présente dans The Seasons’ Canon, s’enrichit à chaque fois de nouvelles nuances. Crystal Pite est là à son sommet et ce premier acte serait un pièce formidable en soi, égalant et parfois dépassant en puissance The Season’s Canon. La voix de Marina Hands, doublant ce qui se passe sur le plateau, ajoute du mystère et de l’inquiétude.

Body and Soul de Crystal Pite – Hugo Marchand

Mais après l’entracte, Body and Soul n’atteint plus ce niveau d’excellence. Les choses commencent à se gâter avec le choix de la musique. Beaucoup de chorégraphes ont déjà usé et abusé de ces sublimes Préludes de Chopin et il ne semble pas opportun d’y revenir. Dans ce deuxième acte, les murs bruts de la scène nous sont révélés malà encore, l’effet a été trop utilisé pour créer le moindre effet de surprise. Même s’il y a encore les éclairages sophistiqués de Tom Visser pour sublimer les artistes, les 14 scènes qui se succèdent n’ont plus le même attrait. Crystal Pite veut à ce moment précis montrer les lignes uniques des danseuses et des danseurs de la compagnie parisienne. Elle s’y emploie dans une série de solos et pas de deux fort bien faits, mettant en valeur Ludmila Pagliero, Hugo Marchand, Léonore Baulac, Héloïse Bourdon, Lydie Vareilhes ou François Alu. On perçoit dans leur facture l’influence de William Forsythe, et plus encore celle de Jiří Kylián. Mais ces duos sont trop génériques pour vraiment épater. Ils sont séduisants mais artificiels. Et c’est encore dans les scènes de groupe que Crystal Pite parvient finalement à nous capter.

Après un bref précipité, vient le troisième et dernier acte. Cette coda imprime un tout autre univers. Quand décors et costumes jouaient la sobriété, voire l’austérité dans les deux premiers actes, on change radicalement d’atmosphère. Place ainsi à une forêt touffue argentée ou dorée selon l’éclairage tombant des cintres. Toute la compagnie a revêtue une combinaison brillante dont les mains sont prolongées par des piques acérées et portent un masque imposant qui les cache complètement. Les danseuses sont sur pointes, ce qui oblige Crystal Pite à différencier les groupes contrairement aux actes précédents. Dans ces meilleurs moments, ce troisième acte évoque Emergence avec cette obsession pour la société organisée des insectes. Mais les artistes et la chorégraphie sont engloutis par cette scénographie et ces costumes qui cannibalisent la fin du ballet.

Body and Soul de Crystal Pite – Takeru Coste et le Ballet de l’Opéra de Paris

Ces défauts n’empêchent pas que, chaque soir depuis la première, le public de Garnier acclame Body and Soul pendant de longues minutes. Ces applaudissements sont mérités car Crystal Pite a su créer une rencontre féconde avec le Ballet de l’Opéra de Paris, quand tant de chorégraphes viennent y recycler leurs œuvres anciennes. Elle prend à chaque fois le risque de la création et propose un spectacle populaire mais exigeant. C’est déjà beaucoup.

 

Body and Soul de Crystal Pite par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Léonore Baulac, Ludmila Pagliero, Marion Barbeau, Héloïse Bourdon, Hannah O’Neill, Muriel Zusperreguy, Aurélia Bellet, Eléonore Guérineau, Lydie Vareilhes, Ida Viikinkoski, Letizia Galloni, Juliette Hilaire, Caroline Osmont, Charlotte Ranson, Lucie Devignes, Marion Gaultier de Charnacé, Ninon Raux, Seehoo Yun, Hugo Marchand, François Alu, Alessio Carbonne, Marc Moreau, Sébastien Bertaud, Aurélien Houette, Axel Ibot, Daniel Stokes, Simon Valastro, Adrien Bodet, Adrien Couvez, Yvon Demol, Grégory Dominiak, Alexandre Gasse, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Giorgio Fourès, Julien Guillemard, Loup Marcault-Derouard et Antonin Monié. Mardi 29 octobre 2019. À voir jusqu’au 23 novembre.





 

Commentaires (3)

  • Georges RAPALLO

    j’ai pas aimé ce spectacle, froid sans émotions, saccadé et touffu . La danse contemporaine doit être fluide, sensuelle et très émotionnelle et belle et de la poésie, pas de mouvements saccadés, brutales, violentes. Je suis hypersensible et pourtant j’ai rien ressenti à part l’ennui hélas.

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    • Amélie Bertrand

      @ Georges : Body and Soul a laissé des avis très disparates. Merci de nous faire partager le votre 🙂

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  • Eyraud

    Subjugué, par un spectacle au thème visionnaire, époustouflant de justesse. Pimenté de malicieuses trouvailles, on assiste à trois représentations en une. Le son de Teddy Geiger est intemporel. Crystal Pite et le ballet de l’opéra de Paris, signent une oeuvre moderne dans laquelle chacun peu trouver sa lecture. La réconciliation entre les aspirations du publique et la danse.

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