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Ballet de Hambourg – La Ménagerie de Verre par John Neumeier

Il vient de fêter ses 80 ans en février et il conserve intacte sa verve créatrice. John Neumeier s’est lancé un nouveau défi en décidant d’adapter pour son Ballet de Hambourg La Ménagerie de Verre, l’un des chef-d’oeuvre de Tennesse Williams. Un projet un peu fou car la pièce de l’écrivain américain est un texte psychologique et non pas du théâtre d’action. Mais avec la complicité essentielle d’Alina Cojocaru, qui incarne le rôle principal de Laura Rose Wingfield, le chorégraphe américain de Hambourg a composé une oeuvre cohérente. Divisant le livret en 19 scènes, il construit un récit qui plonge dans le tréfonds des personnages à travers une danse néo-classique truffée de ses fameux portés acrobatiques où se mêlent  des intentions plus contemporaines sur le haut du corps. Un spectacle magnifiquement interprété par le Ballet de Hambourg, où Alina Cojocaru domine une belle distribution incarnant un personnage tout en délicatesse armée d’une danses sans failles.

Alina Cojocaru – La Ménagerie de Verre de John Neumeier

John Neumeier livre dans le programme une note d’intention et un bref synopsis sous le titre “À lire avant la représentation”. Et c’est un bon conseil. Qui ne serait pas familier de l’univers de Tennessee Williams, de son oeuvre en général et du thème de La Ménagerie de Verre en particulier, pourrait facilement se perdre dans le récit. L’histoire peut  se résumer en quelques mots comme le fait John Neumeier. Un mère, Amanda qui a été abandonnée par son mari, son fils Tom, artiste dans l’âme mais obligé de travailler dans une usine de chaussures pour subsister aux besoins de sa mère et sa soeur, Laura Rose, rêveuse et handicapée, marchant avec une canne anglaise et qui nourrit son imaginaire avec sa ménagerie miniature. Et au centre, l’angoisse de la mère que sa fille reste seule à jamais et tente désespérément de lui trouver un mari. Elle espèrera beaucoup de Jim, un collège de Tom, invité à diner et qui flirtera avec Laura avant de lui avouer qu’il est sur le point de se marier. Face à la réaction  hystérique de sa mère, Tom décide de partir, laissant sa mère et sa soeur seules et dans la misère.

Alors comment construire avec cette trame un ballet narratif ? Sans compter l’autre difficulté majeure : Laura Rose est handicapée, elle boite. Comment transcrire sur scène et dans la danse ce handicap qui ne peut pas être gommé ? C’est là qu’intervient Aline Cojocaru, qui a accepté de danser avec des chaussons très particuliers : une pointe sur un pied, et un pointe rehaussée avec talon sur l’autre. Idée de génie qui permet à la ballerine à la fois  d’exécuter les nombreux pas de deux mais aussi d’afficher ce handicap central dans la définition du personnage.

L’autre difficulté narrative, c’est la lieu unique de l’action : tout se passe dans la petite cuisine de cet appartement sordide de Saint-Louis. dans le Missouri. John Neumeier a donc élargi le propos et instauré une mise en abyme, introduisant le personnage de Tennesse Williams qui observe le drame se nouer, celui-là même qu’il a écrit. L’idée n’est pas gratuite. Il y beaucoup d’autobiographie dans La Ménagerie de Verre : l’abandon du père alcoolique, sa soeur enfermée dans un asile psychiatrique, ses  rêves de poète. Il est question de tout cela dans le livret du ballet. Quant à la musique, le chorégraphe a choisi la partition écrite par Philip Glass pour le film Les Heures, des extraits de Charles Ives interprétés en direct par l’Orchestre de l’Opéra de Hambourg.

La Ménagerie de Verre de John Neumeier

Le ballet se découpe ainsi entre les scènes familiales dans la cuisine et le personnage de Tennessee Williams qui est toujours présent. La scénographie et les costumes conçus par John Neumeier sont dans le ton et les couleurs du Sud américain. Le chorégraphe creuse chaque idée du la pièce et parfois l’étire, comme l’échec de l’apprentissage de la dactylographie par Laura qui avoue à sa mère qu’elle sèche les cours, totalement paniquée de ne pas y arriver. Cela donne un ensemble de neuf danseuses derrière leur machine à écrire pour une danse mécanique à la fois drôle et tragique, montrant la solitude de Laura. Ou encore cette scène très réussie dans un cinéma dont le fils Tom est passionné. D’autres sont moins convaincantes, en particulier la trop longue séquence dans un bar homosexuel qui semble une caricature ou le match de basket dont Jim fut un champion au lycée qui a peu d’intérêt chorégraphique.

On le sait, John Neumeier aime prendre son temps et n’est guère adepte de l’ellipse, au risque parfois de nous perdre dans les méandres du récit. Mais la danse est toujours généreuse, abondante et riche de théâtralité. Les interprètes du Ballet de Hambourg sont irréprochables. Le chorégraphe les a tous choisis et ils sont aguerris à son style, ses exigences athlétiques, la nécessité absolue d’un musicalité parfaite. Le quatuor principal composé d’Edwin Revazov (Tennessee), Félix Paquet (Tom Wingfield), Patricia Friza (Amanda, la mère) et Christopher Evans (Jim) est sans reproche et imposent leurs personnages avec conviction. Mais c’est Alina Cojocaru qui porte le spectacle : sa  danse est ciselée avec délicatesse, exprimant toutes les fragilités de Laura Rose. La voir sur scène est un privilège rare.

La Ménagerie de Verre n’est pas un chef-d’oeuvre de John Neumeier. Mais même une pièce mineure du chorégraphe atteint un haut niveau d’excellence. Il croit encore aujourd’hui – et il est l’un des rares – à la puissance du ballet narratif et il a bien raison. Cette forme reste un véhicule irremplaçable pour convoyer des émotions et élargir sa palette de sensations. Elle est loin d’avoir épuisée ses possibilités qui semblent infinies.

La Ménagerie de Verre de John Neumeier

La Ménagerie de Verre de John Neumeier d’après Tennessee Williams par le Ballet de Hambourg à l’Opéra de Hambourg. Avec Alina Cojocaru (Laura Rose Wingfield), Patricia Friza (Amanda Wingfield), Félix Paquet (Tom Wingfield), Christopher Evans (Jim O’Connor), Edvin Revazov (Tennessee), David Rodriguez (The Unicorn) et Marc Jubete ()Malvolio). À voir en alternance jusqu’au 31 janvier.





 

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