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Opéra du Rhin – Un Violon sur le Toit revu par Barrie Kosky

Strasbourg, capitale de Noël, fait revivre dans les murs de l’Opéra la comédie musicale Un Violon sur le Toit, créée en 1964 à New York sous la direction tyrannique de Jerome Robbins qui en assura la mise en scène et la chorégraphie. Pour cette nouvelle production, la regrettée Eva Kleinitz avait collaboré avec Barrie Kosky, le directeur du Komishe Oper de Berlin, metteur en scène prolixe et talentueux. Oeuvre à part dans l’univers du musical américain, Un Violon sur le Toit sacrifie rarement aux canons du genre et marque un tournant dans le théâtre musical en traitant un thème tragique et refusant la happy end, sans pour autant renier l’humour propre aux comédie musicales. Australien dont les grands-parents juifs d’Europe de l’Est ont fui les persécutions, Barrie Kosky a imaginé une mise en scène de très grande qualité, à la fois délicate, drôle et émouvante portée par une excellente distribution.

Un Violon sur le Toit – Acte 1

Un Violon sur le Toit a toujours eu un statut un peu à part à Broadway. Lorsque le projet est né au début des années 1960, Jerome Robbins est le roi de New York. West Side Story a triomphé au théâtre et sur grand écran, toutes ses comédies musicales affichent complet et sa collaboration avec George Balanchine au New York City Ballet le rendent incontournable. En toute logique, le librettiste Joseph Stein lui envoie le manuscrit d’Un Violon sur le Toit dont la partition a été confiée à Jerry Bock alors que Sheldon Harnick écrit les paroles des chansons. Le choix de Jerome Robbins s’imposait quoi qu’il en soit : lui-même fils d’émigrés russes juifs, il ne pouvait qu’être attiré par ce récit dramatique dans la Russie des pogroms du début du XXe siècle. Il le fut mais se montra plus dictatorial que jamais, exigeant des coupes et remaniant le livret de fond en comble. Joseph Stein dut obtempérer. On n’affrontait pas Jerome Robbins à cette époque-là, ce qui fait que la version définitive d’Un Violon sur le Toit lui doit beaucoup et que l’on continue à le créditer au générique des productions.

Ce qui fait du Violon sur le Toit un musical  part, c’est son sujet : la vie dans un village juif  très pauvre aux confins de l’Ukraine et de la Biélorussie où le laitier Tevye et sa femmes Golde veulent marier leur trois filles aînées par l’entremise de la marieuse Yente. Mais Tzeitel, Hodel et Chava vont s’émanciper du poids de la tradition juive et choisir elles-mêmes leurs propres maris : un pauvre tailleur, un étudiant révolutionnaire et un catholique orthodoxe. Toute la pièce explore ce combat du père, déchiré entre le respect du judaïsme et l’émergence de la modernité des nouvelles générations. Le récit est émaillé de scène truculentes malgré la menace que gronde. Car c’est la Russie de 1905, celle des pogroms anti-juif. Et la pièce se termine alors que tout le village est sommé de partir au risque d’être massacré. Une fois encore, c’est le déchirement des nouveau départs, des familles divisées. Si Un Violon sur le Toit commence sur un air de comédie, il s’achève sur l’annonce du désastre à venir.

Olivier Breitman – Un Violon sur le Toit Acte 1

Tout aussi à l’aise dans le registre de l’opéra que dans celui des comédies musicales, Barrie Kosky poursuit sa collaboration avec le chorégraphe Otto Pichler avec qui il a déjà monté une production de West Side Story qui ne désemplit pas depuis sa création à Berlin. La clef de leur succès réside dans le respect de l’esprit de l’oeuvre. Barrie Kosky ne renonce pas au kitsch et aux caricatures de la première partie qui avaient tant irrité nombre d’intellectuels juifs lors de la création. Barrie Kosky le rappelle dans le programme : “La vie dans les schtetl n’a jamais été idyllique ; elle était misérable et inconfortable…“.  Mais le metteur en scène australien refuse le théâtre documentaire, même si cette misère, cet inconfort sont visibles sur le plateau. Avec cet amoncellement insensé d’armoires, de commodes, de tables qui servent à la fois de cuisine familiale et organise les entrées et sorties des personnages. Avec aussi cette immense toile peinte de Rufus Didwiszus, vaste étendue hivernale constellée de bouleaux.

La distribution est irréprochable, Olivier Breitman en tête dans le rôle du père Tevye. Quel abattage ! Il passe instantanément de l’humour juif à la tendresse sans jamais verser dans le pathos. Il est le véritable meneur de jeu sur scène et on attend avec gourmandise qu’il entonne l’unique tube de ce musical : “Ah si j’étais riche…“. À ses côtés, Jasmine Roy est irrésistible dans le rôle de Golde, mère juive à la fois bienveillante et autoritaire dont le timbre fait merveille. Barrie Kosky a concentré les parties dansées dans cette première partie du spectacle, notamment dans la scène finale du mariage avec un ensemble de douze danseurs qui animent avec bonheur cette scène joyeuse. La dernière avant le pogrom qui conclut cet acte. Lorsque le rideau se relève, le décor a changé : on ne voit plus que la plaine blanche, la forêt au loin, le neige qui tombe en permanence, le froid qui punit, l’exil inévitable et la catastrophe qui s’annonce.

Un Violon sur le Toit – Acte 2

Pourtant, Barrie Kosky parvient tout en subtilité à ne jamais souligner le tragique mais à rester en lisière. Il est soutenu par l’Orchestre symphonique de Mulhouse qui a découvert avec bonheur cette partition sous la baguette du chef Koen Schoots. Il faut aussi saluer la traduction de Stéphane Laporte qui a su trouver les mots justes en français pour restituer l’atmosphère du livret dans une langue d’aujourd’hui. Le spectacle s’achève comme il a commencé avec un tout jeune et brillant violoniste, Quentin Giot, casque sur les oreilles en vêtements d’aujourd’hui qui aura observé toute cette histoire prophétique, jeune témoin nous rappelant l’indispensable devoir de mémoire.

Un Violon sur le Toit – Acte 2

 

Un Violon sur le Toit de Barrie Koskie (mise en scène), Otto Pichler (chorégraphie) à Opéra de Strasbourg. Avec Olivier Breitamn, Jasmine Roy, Neïma Naouri, Marie Oppert, Anaïs Yvoz, Jeanne Oudot, Laure  Neuenschwander, Cathy Bernecker, Alexandre Faitrouni, Sinan Bertrand, Denis Mignien, Gérard Welchlin. Dimanche 15 décembre 2019. À voir les 10 et 12 janvier à la Filature de Mulhouse.

 




 

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