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Compagnie Illicite – Eden de Fábio Lopez

Avec Mad/Enfer, Fábio Lopez conclut sa trilogie Eden sur le thème de l’enfer et  du paradis, une quête spirituelle qui plonge dans les tréfonds de l’âme humaine. La vision allégorique du chorégraphe français offre un regard pessimiste sur l’humanité nourri par l’histoire du XXe siècle et de ses abominations. Très attaché à une écriture néo-classique, Fábio Lopez construit avec Eden un ballet de 70 minutes interprété avec talent et énergie par sa jeune  compagnie Illicite Bayonne, composée de trois danseurs et quatre danseuses. Dans ce voyage de l’enfer au paradis, il ne laisse ni ses interprètes ni le public reprendre souffle dans un ballet abouti qui confirme le savoir-faire de ce jeune chorégraphe.

Eden – Fábio Lopez

Fábio Lopez avait commencé l’aventure Eden il y a trois ans, en écrivant la partie centrale, celle qui se réfère au purgatoire en partant du mot grec Aura. En 2019, il complétait son oeuvre avec Paradis/Cage of God. Et c’est avec Mad/Enfer, créé sur la Scène Nationale de Bayonne, qu’il achève une trilogie qui aujourd’hui peut se voir comme une pièce unique, une traversée qui nous mène de l’enfer au paradis. C’est du moins ce que l’on voudrait nous faire croire ! Mais l’Eden promis dans le titre de la trilogie se révèle un objectif hors d’atteinte. Et Fábio Lopez nous propose davantage une route très escarpée pour atteindre une certaine idée du paradis.

Mad/Enfer, créé sur la partition écrite par Philipe Hersant, nous donne une porte d’entrée conforme à l’imagerie classique de l’enfer : les danseurs et danseuses sont cachés derrière un rideau translucide dans une atmosphère rougeoyante qui ne dit rien qui vaille. La pièce est structurée en séquences séparées par des fondus au noir d’où surgissent Lucifer, le Cerbère ou le Serpent. On y voit d’emblée le vocabulaire de Fábio Lopez formé chez Maurice Béjart et Thierry Malandain et on retrouve ce goût pour une danse qui ne renonce pas à la grammaire académique pour en faire aussi un langage d’aujourd’hui, capable de porter une histoire ou une vision. On discerne une vraie maîtrise des ensembles et des pas de deux, et une facilité pour passer vers la danse au sol. Mad/Enfer est encore tout frais et a besoin de quelques ajustements d’autant que les séquences y sont nombreuses. Mais la cohérence est là.

Eden – Fábio Lopez

Aura, la partie la plus ancienne et la mieux rodée, nous fait changer d’atmosphère musicale avec le Requiem du compositeur portugais João Domingos Bontempo. Fábio Lopez y construit des ensembles complexes d’excellente facture. Moins compartimentée que la précédente, la pièce se structure autour de pas de deux qui se déclinent sur tous les genres : homme-femme, deux hommes, deux femmes. Acrobatiques, parfois sensuels, ils montrent une belle musicalité, celle du chorégraphe et des interprètes. Et si l’on a quitté les rives sombres des profondeurs infernales, cette idée de purgatoire n’offre guère de rédemption. Les tensions des corps suggèrent davantage la douleur qu’une promesse d’absolution. 

Eden- Fábio Lopez

On aurait tort de croire qu’à ce stade, nous aurions gagné le Paradis. L’image que nous en donne Fábio Lopez laisserait même douter de son existence. Emportés par les musiques du rockeur russe Pavel Karmanov et du maîtrre de la musique répétitive Philip Glass, les sept interprètes sont lancés par le chorégraphe dans une danse à grande vitesse qui déborde d’énergie. Mais l’atmosphère et l’écriture demeurent résolument sombres. Fábio Lopez nous emmène avec sa troupe vers le jour du Jugement dernier, celui où il faudra rendre compte de ses fautes mais surtout de celles de notre inhumanité collective. La danse est vive, enlevée, hypnotisante. On arrive enfin à un climax tant attendu et libérateur.

Avec Eden, Fábio Lopez Lopez fêtait les cinq ans de sa compagnie Illicite, désormais accueillie à Bayonne. Il faut un grain de folie pour vouloir défendre aujourd’hui une danse néo-classique qui n’a guère les faveurs des tutelles. Et pourtant ! Le vocabulaire classique, le plus complet et le plus abouti, n’a pas fini de pouvoir décliner toutes sortes de pièces, abstraites ou narratives qui s’emparent du monde d’aujourd’hui. Eden est ainsi une oeuvre contemporaine, qui parle de nos angoisses métaphysiques de la plus belle des manières.

Eden – Fábio Lopez

 

Eden de Fábio Lopez par la compagnie Illicite à la Scène Nationale de Bayonne. Avec Rachel Brookes-Bent, Miguel Fernandes, Manon Bastardie, Guillaume Caballe, Raquel Morla, Anaïs Suchet et Louis Gigot. Samedi 8 février 2020. À voir le 15 février à Rion-des-Landes, le 6 mars au Théâtre Luxembourg de Meaux, tournée à venir.

 




 

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