TOP

Don Juan de Johan Inger – Aterballetto

Le Théâtre de Chaillot, temple parisien de la danse, a enfin rouvert ses portes avec quelques semaines de retard dues à la pandémie. Et c’est avec la compagnie italienne venue de Ferrare en Émilie-Romagne, Aterballetto, que cette nouvelle saison dont on pressent déjà qu’elle sera bousculée, a débuté. Le chorégraphe suédois Johan Inger propose une version dansée  du mythe de Don Juan pour 16 interprètes. Si on nous promettait une relecture alléchante dans le contexte du mouvement #MeToo, le ballet ne parvient cependant pas à se démarquer de clichés éculés sur ce personnage qui a inspiré des chefs-d’oeuvre littéraires et musicaux. Le chorégraphe offre ici et là quelques beaux tableaux et d’agréables moments de danse mais reste très en deçà de ses ambitions.

Don Juan – Johan Inger

C’était une soirée fébrile au Théâtre de Chaillot. Des soirs de grandes retrouvailles entre le public et le théâtre après de trop longs mois de fermeture, mais aussi de nouvelles craintes alors que toute la journée avait bruissé de menaces de couvre-feu. À 20h30, lorsque le spectacle commence, on sait déjà qu’il va falloir une nouvelle fois réinventer demain. Cela rend chaque spectacle encore plus précieux de crainte que ce ne soit le dernier. C’est donc avec enthousiasme que l’on retrouve Johan Inger, un chorégraphe qui a su nous séduire, en particulier avec sa version de Carmen pour la Compagnie Nationale de Danse Espagnole à la demande de José Martinez. Le chorégraphe suédois ne rechigne pas à mettre en scène de longs ballets narratifs. On comprend qu’il ait été tenté par le personnage de Don Juan. Hélas, il s’y casse trop souvent les dents.

Quelle idée aussi de se lester d’autant de handicaps ? La musique tout d’abord. On peut comprendre que Johan Inger n’ait pas retenu la musique de Mozart : l’opéra aurait écrasé le spectacle de sa force. Mais ce que lui propose Marc Álvarez est sans charme et sans relief. Les décors sont à tout le moins peu inventifs : ces panneaux mobiles qui sont placés successivement à l’horizontale et à la verticale dessinent une scénographie uniformément sombre et sans nuances. Ainsi plombé, le spectacle a bien des difficultés à émerger. Il n’est pas sûr d’ailleurs que Don Juan soit le personnage idoine pour s’interroger sur la période #Metoo. Outre l’anachronisme qui aurait pu être surpassé, le personnage charrie bien d’autres choses qu’un simple séducteur mangeur de femmes. Jamais le ballet ne rend compte de cette complexité.

Don Juan – Johan Inger

Il y a bien l’addition du personnage de la Mère qui n’existe ni chez Molière, ni chez Lorenzo Da Ponte. Cela produit au début de l’histoire une très jolie piéta, Don Juan lové dans les bras de sa mère mais on peine à y trouver un sens. Cette incursion vers un complexe d’Oedipe mal assumé, qui se prolonge à la fin du ballet par une scène d’inceste, n’offre aucune clef sur le personnage. Pas plus que le désir homosexuel entre Don Juan et Leporello, thème rebattu et qui n’élargit guère les champs sémantiques de l’histoire. Le récit, souvent confus, exige du public qu’il connaisse déjà fort bien son Don Juan pour faire le tri entre les personnages et tenter de retrouver le fil.

Heureusement, il y a la danse qui sauve le spectacle. Johan Inger est un chorégraphe talentueux, inventif, inspiré par  Mats Ek, le père de la danse suédoise. C’est le fondement de son propre style qui se mâtine de figures néo-classiques et même d’échos folkloriques.  Le tableau du mariage de Masetto et Zerlina est le plus réussi. Johan Inger trouve là avec son dramaturge Gregor Acuña-Pohl un équilibre juste. Le récit se fait plus fluide et la danse devient motrice de ce récit avec des ensembles magnifiquement composés et des personnages qui enfin nous racontent une histoire. Les 16 danseurs et danseuses de la compagnie y sont tous sollicités et donnent le meilleurs d’eux-mêmes, faisant sortir le ballet de la torpeur dans laquelle il s’enlisait.

Don Juan – Johan Inger

Don Juan de Johan Inger par la compagnie Aterballetto au Théâtre de Chaillot. Avec Saul Daniele Ardillo (Don Juan), Philippe Kratz (Leo), Ina Lesnakowski (La Mère), Estelle Bovay (Elvira), Giulio Pighini (Masetto), Serena Vinzio (Zerlina), Martina Forioso (Tisbea), Ivana Mastroviti (Donna Ana), Adrien Delépine (Don Ottavio), Arianna Kob (Inés) et Clément Haenen, Sandra Salietti, Aguilera, Roberto Tedesco, Hélias Tur-Dorvault , Minouche Van De Ven, Thomas Van De Ven. Mercredi 14 octobre 2020. À voir en tournée en Europe et à Vaison-la-Romaine le 24 Juillet 2021.

 



Poster un commentaire