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[Festival d’Avignon 2021] – Jan Martens, Christian et François Ben Aïm, Foofwa d’Imobilité

Annulations de spectacles, contraintes sanitaires, instauration du pass sanitaire, l’édition 2021 du festival d’Avignon, In comme Off, a connu moult péripéties qui n’ont pas entamé l’enthousiasme du public de se retrouver dans la cité des Papes. Malgré tout, comment ne pas regretter l’absence dans le In de la chorégraphe suf-africaine Dada Masilo et de son Sacrifice ainsi que celle du grec Dimitris Papaioannou dont le solo Ink était déjà annoncé comme l’un des chocs de ce festival ? Il faut se dire que ce n’est que partie remise et s’efforcer de se projeter dans des mois à venir plus apaisés. Pour celles et ceux comme Jan Martens et sa pièce Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, le bonheur d’avoir pu se produire dans cette 75e édition n’en a sans doute été que renforcé. Côté Off, la belle vitalité de la Sélection suisse en Avignon et l’éclectisme de la programmation des Hivernales-CDCN d’Avignon ont prouvé que le festival n’avait rien perdu de ses fondamentaux

Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones de Jan Martens

Dans le décor dépouillé de la cour du lycée saint-Joseph, on découvre seulement un marquage au sol géométrique. En fond de scène, d’une porte étroite, surgit un premier danseur qui s’avance dans le silence. La musique démarre et Wolf Overmeire se lance dans un solo tranchant qui nous saisit par sa puissance. Inlassablement, baskets solidement ancrées dans le sol, le jeune homme enchaîne une combinaison de mouvements incisifs (notamment de bras) avec une redoutable précision. Soudain, il s’arrête et cède la place à un couple de danseurs nettement plus âgés. À son tour, le duo se jette à corps perdu dans une répétition ad libitum de gestes mécaniques. Par la suite, il est rejoint par d’autres danseur.euse. S’en suit un incessant chassé-croisé où chacun.e déroule sa propre partition dansée comme dans sa bulle.

Jan Martens s’en est ouvert à multiples reprises avant la création de Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, titre faisant référence à une sentence du président chinois Xi Jinping lors de la répression des manifestations à Hong Kong en octobre 2019 : “Toute tentative finira en des corps écrasés et des os brisés”. Le chorégraphe souhaitait se frotter à une pièce de grand format, “penser un objet chorégraphique en termes de masse, de groupe ou de distance“. Il joue ainsi sur le contraste entre la force du groupe et l’individualité de chacun.e. Ces dix-sept interprètes très différents (âge, parcours…) véhiculent dans leur façon d’être, de se déplacer, d’interagir (ou non) avec les autres des messages eux-aussi très divers. L’artiste belge met ici ses pas dans ceux des chorégraphes qui, avant lui, ont valorisé la diversité dans la danse contemporaine.

Sur l’entêtant Concerto pour clavecin et cordes, op. 40 de Gorecki, cette armée de petits soldats en costumes gris (vraiment affreux il faut bien l’avouer) évoque les mouvements de protestations actuels de Youth for Climate à Black Lives Matter. L’idée est intéressante et Jan Martens ne manque pas de talent pour orchestrer ses grandes manœuvres. Par ailleurs, certain.e. de ses interprètes dont l’époustouflante Courtney May Robertson, 1,50 m de pur charisme, nous harponnent. Mais hélas, la machine se grippe. Est-ce à cause de l’intention du chorégraphe d’éprouver notre capacité à surmonter le caractère répétitif de la musique ? Est-ce par l’usage de textes putassiers qui flétrissent son propos quand ils voudraient le servir ? On lâche en cours de route. Quand le noir se fait pour permettre aux danseur.euse.s de changer de costumes, on s’ennuie même. Les lumières se rallument. Les uniformes gris ont pris la couleur de la résistance, mais la partition reste toujours la même. On peine à raccrocher les wagons. Jan Martens nous a définitivement perdus.

Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones de Jan Martens

Côté Off, quel plaisir de retrouver sur le plateau des Hivernales – CDCN d’Avignon Facéties, la dernière pièce de Christian et François Ben Aïm. DALP l’avait découverte en janvier 2021 lors la résidence de la compagnie à la Scène nationale de Mâcon à l’occasion d’une représentation professionnelle. La jubilation se fait sentir du côté du plateau comme dans le public. Le spectacle vivant reprend enfin ses droits. Explorant le thème de l’humour et le potentiel comique de l’art chorégraphique, cette pièce a plus d’un tour dans son sac. Servies par six interprètes en grande forme, ces Facéties cultivent le décousu et le déstructuré alors qu’elles sont en fait bigrement ciselées et tirées au cordeau.

Paré de ses plus beaux atours, faits de paillettes et de strass, ce sextuor burlesque nous entraîne dans son délire savamment orchestré. Les clins d’œil au monde de la danse classique sont légion, et on rit de bon cœur tout en saluant la prouesse. Chacun révèle des ressources comiques parfois sans grands effets démonstratifs, juste par sa capacité à faire surgir la bizarrerie poétique. Cette invitation à rire fait exploser tous les carcans y compris celui de porter un masque.

Facéties de Christian et Francois Ben Aim

Avouons-le, nous avions un peu perdu la trace de Foofwa d’Imobilité… Saluons ainsi la Sélection suisse en Avignon de nous permettre de prendre des nouvelles de cet étonnant danseur inventeur entre autre de la Dancerun, activité hybride entre course et danse. Depuis 2015, il a imaginé la Dancewalk qu’il performe d’abord en solitaire. Au fil des années, elle s’est mue en projet social et participatif en fonction des pays traversés. Présenté sur le plateau des Hivernales, ce Dancewalk-Retroperspectives se vit comme une conférence dansée qui revient sur les 850 kilomètres parcourus à travers le monde. La danseuse Alizée Sourbé fait le lien sur scène entre la compilation vidéo et l’esprit du projet. Elle joue les guides et fait corps avec les centaines de corps dansants et chantant qui défilent sur l’écran situé derrière elle. C’est une expérience assez étonnante, limite hypnotique qui s’apparente à la plus enrichissante des invitations au voyage. Par son projet, Foofwa d’Imobilité et son ambassadrice Alizée Sourbé nous incitent à résister à l’immobilisme. Un message qui a toute sa place dans un festival comme Avignon.

Dancewalk – Retroperspectives de Foofwa d’Imobilité

 

Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones de Jan Martens dans la cour du lycée Saint-Joseph. Avec Ty Boomershine, Truus Bronkhorst, Jim Buskens, Baptiste Cazaux, Zoë Chungong, Piet Defrancq, Naomi Gibson, Kimmy Ligtvoet, Cherish Menzo, Steven Michel, Gesine Moog, Dan Mussett, Wolf Overmeire, Tim Persent, Courtney May Robertson, Laura Vanborm, Loeka Willems en alternance avec Pierre Bastin, Georgia Boddez, Wannes Labath, Zora Westbroek. Lundi 19 juillet. À voir du 13 au 14 octobre au théâtre de la Cité – CDN à Toulouse. En tournée en 2021-2022.

Facéties de Christian et François Ben Aïm aux Hivernales – CDCN d’Avignon. Avec Christian Ben Aïm, Johan Bichot, Chiara Corbetta, Thibaut Eiferman, Marie Lévénez et Emilio Urbina. Lundi 19 juillet. À voir le 25 septembre 2021 au Théâtre de Châtillon (92), dans le cadre du Festival Bien fait ! , Micadanses. En tournée en 2021-2022.

Dancewalk – Retroperspectives de Foofwa d’Imobilité aux Hivernales – CDCN d’Avignon. Avec Alizée Sourbé. Lundi 19 juillet. Dans le cadre de la Sélection suisse en Avignon.

 



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