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Sylvia de John Neumeier – Le Ballet de Hambourg fait sa rentrée

Après deux saisons écornées par la pandémie, le Ballet de Hambourg fait sa rentrée en ce début du mois de septembre avec l’espoir d’un retour à une situation quasi normale dans les théâtres d’Allemagne. C’est avec Sylvia, créé en décembre 1997 au Palais Garnier pour le Ballet de l’Opéra de Paris, que John Neumeier lance cette nouvelle saison. Une œuvre qui offre des premiers rôles multiples – pas moins de cinq – et exige une compagnie en ordre de bataille pour s’affronter aux défis techniques chers au chorégraphe américain. Un choix pertinent pour redonner de l’énergie et du dynamisme à une troupe qui n’en manque pas, mais qui retrouve la scène après de longues semaines d’interruption. Sylvia, ballet joyeux, espiègle et fantasque, offre ainsi une matrice idéale au Ballet de Hambourg avec une distribution multi-étoilée.

Sylvia de John Neumeier – Madoka Sugai (Sylvia) et Anna Lavère (Diane)

Dès que l’on pénètre dans l’Opéra de Hambourg, il est impossible d’oublier que nous vivons encore en temps de Covid. Bien que les théâtres allemands aient imposé depuis plusieurs mois le Passe sanitaire, les jauges sont encore limitées et la distanciation de mise partout, dans la salle comme durant l’entracte. Rien n’est encore annoncé quant à la levée de ces contraintes, qui pourraient aussi être complétées par une obligation vaccinale. C’est dire que l’on est loin encore d’avoir retrouvé la “vie d’avant“. Mais John Neumeier entend bien ne rien céder face à la pandémie. Contraint de baisser le rideau comme toutes les salles du monde, le chorégraphe a immédiatement réagi avec force. Reprenant les costumes de La Dame aux Camélias et de Casse-Noisette, le chorégraphe a ainsi concocté en quelques jours une œuvre pour sa compagnie, le premier ballet adapté à ces temps contrariés et respectant les contraintes sanitaires : Ghost Life. Un an et demi d’interruption, c’est considérable dans une carrière de danseur ou de danseuse. Jamais la compagnie n’a totalement cessé de travailler, que ce soit à distance ou dans la BalletZentrum, l’antre du Ballet de Hambourg. John Neumeier est même parvenu à reprendre le chemin de la scène pour quelques courtes semaines en juin, offrant ainsi le fameux Gala Nijinsky qui clôture traditionnellement la saison. Et pour satisfaire les demandes du public, il y en eut exceptionnellement deux.

Programmer une saison entière alors que l’épidémie n’est pas terminée relève de la gageure. Mais pour le moment, le calendrier du Ballet de Hambourg est plein et la compagnie a même repris les tournées avec une escale à Vienne, avant de retrouver son public en septembre avec la reprise attendue de Sylvia. Ce ballet, composé par le français Léo Delibes, n’a pas eu un succès comparable à celui de Coppélia. L’oeuvre princeps créée au Palais Garnier pour son inauguration en 1876 par le danseur Louis Mérante ne s’est jamais imposée, bien que l’Opéra de Paris confiât à Lycette Darsonval le soin d’une re-création en 1979 (reprise ensuite par le Ballet de Chine). Sans lendemain.

Sylvia de John Neumeier – Acte 2

Peu de chorégraphes se sont ensuite emparés de la partition et du livret pour offrir leur vision de l’œuvre. George Balanchine en fit prudemment une version courte appelée Sylvia Pas de deux. Frederick Ashton en proposa une version en 1953 pour ce qui reste à ce jour la seule qui soit encore représentée, demeurant au répertoire du Royal Ballet et de l’American Ballet Theatre. Le chorégraphe britannique fit le pitch le plus précis et drôle de ce ballet : “Un homme aime une femme, la femme est capturée par un méchant homme, la femme est rendue à l’homme par Dieu“. La faiblesse du livret qui s’emberlificote dans des détours mythologiques est sans doute la cause de ce désamour d’une œuvre qui pourtant recèle richesses et particularités. Comme deux personnages féminins puissants en rivalité – Diane et sa nymphe Sylvia -, deux mondes qui s’observent – celui du divin incarné et l’autre pastoral du berger Aminta. Mais les librettistes Jules Barbier et Jacques de Reinach ne sont pas parvenus à adapter leur pièce de théâtre afin d’en faire une histoire parfaitement lisible pour un ballet. Il reste néanmoins une partition exceptionnelle qui comporte des trésors et notamment le si fameux pizzicato du troisième acte, hit de la musique classique.

Il fallut donc attendre 1997 pour retrouver une version de Sylvia au Ballet de l’Opéra de Paris, dans cette nouvelle version de John Neumeier. Elle fit les beaux jours du Palais Garnier avec pas moins de trois reprises, la dernière en 2005. Soucieux de l’histoire du ballet, le chorégraphe tient à rappeler pour chacune de ses productions la date, le lieu et la distribution de la création. Ce 30 juin 1997, il y avait ainsi sur la scène Monique Loudières, Élisabeth Platel, Manuel Legris, Nicolas Le Riche et José Martinez. Rien de moins ! L’enjeu n’était pas mince pour le chorégraphe de remettre sur la scène du Palais Garnier ce ballet mal-aimé et pourtant essentiel du répertoire. “La version initiale était démodée”, explique ainsi John Neumeier en prélude de sa note d’intention. “Pourquoi ne pas faire les choses plus simplement. Mettre sur scène des séquences dansées qui dépeignent une amazone à ce moment fragile entre l’adolescence et l’éclosion de la féminité, tiraillée entre force et vulnérabilité, éprouvant bien des difficultés à trouver un équilibre entre agressivité et tendresse, défense et abandon de soi-même et capable enfin de reconnaître l’amour avec le réveil de sa propre sensualité…“.

Sylvia de John Neumeier -Madokai Sugai (Sylvia)

Et c’est précisément ce que montre sur scène John Neumeier. Le premier acte est ultra stylisé avec un décor pastel de Yannis Kokkos, où les arbres sont bleus et l’horizon vert : une inversion pour signifier ce monde divin de Diane et ses nymphes chasseresses. D’ailleurs plus chasseresses que nymphes dans leurs costumes, cintrées de cuir. L’armée féminine de Diane ressemble davantage au monde des Walkyries dominatrices et maîtresses de leur destin dans la version de John Neumeier. Pour cette reprise à Hambourg, Madoka Sugai dans le rôle-titre y déploie un abattage formidable, entre l’énergie athlétique requise dans le premier acte et la féminité assumée du second. La danseuse mène le ballet d’un bout à l’autre sans fléchir, de la technicienne accomplie du début à l’artiste toute en nuances de la dernière partie du ballet. Elle propose notamment un duo splendide avec Anna Lavère dans le rôle de Diane. Les deux danseuses décrivent avec acuité cette relation ambigüe faite d’attirance et de jalousie entre les deux femmes. Elles sont magnifiquement servies par un trio de danseurs composé d’Alexandr Trusch (Aminta), Christopher Evans (Eros/Thyrsis/Orion) et Jacopo Bellussi (Endymion). Ce quintette de Premiers et Premières Solistes, le plus haut grade de la compagnie, est aujourd’hui le cœur de la troupe, rompus aux exigences du maître des lieux, féru de portés acrobatiques tels qu’aucun chorégraphe n’ose les imaginer. La compagnie est à l’unisson, techniquement acérée même s’il manque encore ici et là une parfaite synchronisation.

Ce furent de belles retrouvailles, avec une ovation finale sans fin du public, tout au bonheur de retrouver le Ballet de Hambourg. Sylvia était le choix gagnant pour ce retour, ballet à la fois joyeux et nostalgique, et permettant de faire danser tout le monde entre cinq solistes et une compagnie au complet après ces longs mois d’arrêt. Dans le programme de cette ouverture de saison, dont le mot d’ordre est “retour vers le futur”, John Neumeier évoque aussi à demi-mot sa succession. Il y parle ainsi de sa mission, celle d’ancrer un répertoire dans cette compagnie qu’il a façonnée “en honorant les traditions de la technique du ballet classique, influencé par tous les courants de la danse contemporaine afin de créer pour le présent et le futur” . Ses propos résonnent comme la profession de foi d’une œuvre colossale. Hambourg est sans nul doute l’une des capitales mondiales du ballet et John Neumeier un de ses plus grands maîtres.

Sylvia de John Neumeier – Madokai Sugai (Sylvia) et Alexandr Trusch (Aminta)

Sylvia de John Neumeier par le Ballet de Hambourg à l’Opéra de Hambourg. Avec Madoka Sugai (Sylvia), Alexandr Trusch (Aminta), Anna Laudere (Diane), Christopher Evans (Love/Thyrsis/Orion) et Jacopo Bellusi (Endymion). Mercredi 8 septembre 2021. À voir jusqu’au 17 septembre et les 20, 21 mai et 23 juin.

 




 

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