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Double murder – Hofesh Shechter

Le chorégraphe israélien Hofesh Shechter est de retour sur les scènes françaises avec un programme intitulé Double murder, composé de Clowns créée en 2016 pour le Nederlands Dans theater et présentée en 2018 au théâtre des Abbesses et The Fix, une nouvelle pièce. Une soirée qui a emporté largement l’adhésion du public, debout et survolté. Si l’art vivant, et la danse en particulier, nous ont terriblement manqués, fallait-il pour autant céder à une liesse excessive ? La question se doit d’être posée. Et quid de cette soirée ambiance post-Covid ? Si Clowns est une brillante composition pour dix danseurs et danseuses survoltées, qui porte la marque de fabrique de son chorégraphe et vieillit très bien, The Fix apparaît plus faible et convainc moins.

Double murder – Hofesh Shechter

Il s’avance sur le devant de la scène, le ton badin comme s’il allait nous donner les consignes à respecter pour le bon déroulement de la soirée. Frédéric Despierre, danseur dans la compagnie Hofesh Shester, est plutôt là pour saluer le bonheur des retrouvailles avec le public par un hip hip hip hourra collectif. Puis, il rejoint le reste des interprètes pour se lancer dans un prélude tourbillonnant au son d’un french cancan très frenchy. Paris, we are back !

Mais rapidement, les sourires virent aux rictus. Sans transition, les interprètes enchaînent sur Clowns et l’ambiance prend une teinte plus sombre. Sous la guirlande de guinguette, la gaîté de ces personnages en chemises à jabot et redingotes un peu défraichies apparaît soudain factice. La violence éclabousse l’apparence festive de la pièce. Ne nous y trompons pas. Si une danseur embrasse son partenaire dans le cou, c’est pour mieux lui trancher la gorge juste après. Mais cette violence n’est-elle qu’une mascarade où tout le monde se contente de faire semblant ? On se le demande à voir ces morts se remettre debout et devenir à leur tour bourreaux.

Double murder – Hofesh Shechter

Comme souvent chez Hofesh Shechter, le jusqu’au-boutisme confine au stakhanovisme au rythme de la partition techno hypnotique élaborée par le chorégraphe lui-même. Les inspirations s’entrechoquent entre danses tribales et danses folkloriques. On retrouve les mouvements si caractéristiques du style du chorégraphe, très ancrés dans le sol et à la fois en suspension. Soudain se glisse une figure de danse de cour. Toutes les époques se mêlent dans cette évocation de cabaret forain macabre. Que veut-il dénoncer si ce n’est la violence dans laquelle nous baignons ? Ces simulacres d’exécutions résonnent avec force dans notre société en proie au terrorisme. Les interprètes insufflent une telle intensité à chaque tir ou décapitation impromptus que des frissons nous parcourent l’échine. Hofesh Shechter réussit là une brillante reprise de cette pièce où le clown incarne la figure effrayante de nos pires cauchemars contemporains.

Après un entracte salutaire pour digérer le choc, place à The Fix, dont la France a le privilège de la création – au Théâtre du Châtelet dans le cadre de la saison hors les murs du Théâtre de la Ville. La pièce que Hofesh Shechter présente comme une “pièce partenaire” à l’ambiance apaisée qui serait un “antidote à l’anarchie meurtrière et toxique de Clownsest née dans un village reclus d’Italie en plein confinement. Cet isolement a-t-il impacté le propos du chorégraphe ? Que cherche-t-il à réparer de nos errements ? Au lieu de s’entre-tuer, isolés dans une bulle sensible et bienveillante, les personnages se frôlent, s’attirent et se dissolvent dans la douceur. L’ambiance survoltée de la première partie laisse place à une étrange atonie. Le fait d’associer les deux pièces tel un Janus aux deux visages, l’une tournée vers le passé, l’autre projetée vers un avenir plein d’espoir, fait sens. Sauf que le juxtaposition nuit à la deuxième, plus faible dans l’intensité. Même dérangeante, on préfère de loin la cruauté de Clowns qui raconte si justement nos turpitudes collectives.

Double murder – Hofesh Shechter

À la fin de The Fix, un danseur descend dans le public, non sans avoir pris soin de couvrir au préalable son visage d’un masque. Il s’avance vers un spectateur, le regarde fixement puis l’enlace. Les autres interprètes lui emboîtent le pas, flacon de gel hydroalcoolique autour du cou pour s’en frictionner les mains avant les étreintes. Curieusement, le geste, aussi symbolique soit-il, genre free hugs, me laisse de marbre. Le public lui est en transe, embarqué par cet élan d’amour qui au lieu d’en contrebalancer la violence, affadit curieusement la puissance de la première pièce.

 

Double murder (Clowns/The Fix) de Hofesh Shechter. Avec Miguel Altunaga, Robinson Cassarino, Frédéric Despierre, Rachel Fallon, Mickaël Frappat, Natalia Gabrielczyk, Adam Khazhmuradov, Yeji Kim, Emma Farnell-Watson, Juliette Valerio. Théâtre du Châtelet. Mardi 12 octobre 2021. À voir du 13 au 16 décembre au Grand théâtre des cordeliers, Scène nationale à Albi. En tournée en France jusqu’en 2022.

 



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