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Phia Ménard – VORTEX et L’après-midi d’un foehn

L’artiste inclassable Phia Ménard fête les dix ans de sa pièce iconique VORTEX, ainsi que son pendant pour jeune public L’après-midi d’un foehn. Deux oeuvres qui font partie d’une trilogie autour du vent, acteur majeur sur le plateau produit par une série de ventilateurs qui enserrent une scène circulaire. De l’air, une artiste  et des sacs plastique à foison : voilà ce qui relient VORTEX et L’après-midi d’un foehn, pièces à la fois très techniques quand il s’agit d’activer le vent artificiel mais qui sont aussi un geste qui relève de l’Arte povera avec la revendication de matériau pauvre. Présentées conjointement, elles n’ont rien perdu de leur force sismique et persistent avec le temps à nourrir et perturber avec bonheur nos imaginaires.

VORTEX de Phia Ménard 

Le vent ! Cet élément entêtant, indomptable, contre lequel il est souvent impossible de lutter mais qu’il faut subir. Les artistes qui ont joué à Avignon, pays de mistral, vous diraient toutes et tous à quel point il fait partie du spectacle pour le meilleur… mais si souvent pour le pire. Phia Ménard s’en est saisi à rebours : faire du vent sinon un allié du moins un moteur du spectacle. VORTEX comme L’Après-midi d’un foehn font ainsi explicitement référence à deux types de vents, le premier agissant comme un tourbillon violent sous les latitudes polaires quand le second est sec et chaud et sévit en montagne. L’un et l’autre peuvent avoir des effets dévastateurs. Comment en recréer l’illusion sur scène ? Phia Ménard et sa compagnie Non Nova l’ont expérimenté en tâtonnant pour tenter de l’apprivoiser : “Nous avons travaillé le vent de manière pragmatique durant trois ans, et l’avons testé lors de multiples tentatives qui viennent plus de l’artisanat que de la recherche scientifique”, rappellent Phia Ménard et son dramaturge Jean-Luc Beaujault dans la feuille de salle.

Le résultat, c’est un dispositif circulaire commun, un plateau noir encadré par des ventilateurs qui referment l’espace. VORTEX et L’après-midi d’un foehn débutent ainsi de la même manière, avec la confection à partir d’un sac plastique rose, et doté d’une paire de ciseaux, d’une forme qui plus tard s’envole sous la poussée du vent. Dans les deux pièces, on entend la sublime musique de Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune, jeu de mot et clin d’oeil superbe à cette oeuvre dont Vaslav Nijinski  a fait un ballet.

Mais faut-il en dire beaucoup plus, au risque d’aliéner le plaisir de la découverte ? On peut peut-être ajouter que L’après-midi d’un foehn met sur scène une femme ou un homme selon les jours, qui se transforment en maitre ou maitresse de ballet implacable faisant tourbillonner ces danseuses de plastique, évoquant les merveilleuses Nanas de Niki de Saint-Phalle. Elles tentent bien de prendre leur envol et d’échapper à qui les manipule ou d’appeler à la rescousse sur scène quelques forces du mal représentées par des formes en plastique noir. En vain ! Il y a dans cette courte pièce une puissance qui ravit aussi bien les adultes que les très jeunes enfants. Et c’est sans doute l’un des plus beaux spectacles pour jeune public que l’on puisse voir aujourd’hui.

L’après-midi d’un foehn de Phia Ménard

VORTEX penche davantage vers le côté sombre. À la fée ou au sorcier s’est substitué un géant engoncé dans un complet qui déborde partout, le visage entouré de plastique blanc, totalement invisible. De manière identique, les ciseaux façonnent habilement cette poupée de plastique rose. Mais l’histoire bascule : les danseuses semblent irrésistiblement prendre leur autonomie en même temps que leur envol. Là où un foehn, aussi violent soit-il, semblait pouvoir être maîtrisé, le Vortex anéantit tout sur son passage. Il détruit et le géant se défait au sens propre du terme, se déleste de ce qui l’empèse, et qui est aussi fait de plastique, ce matériau si familier dans nos vies et pourtant nuisible quand il survit pour l’éternité. Phia Ménard, qui a endossé ce costume lourd et pesant, joue avec virtuosité avec ce vortex infernal dans une lutte à mort, qui voit sa transformation telle une chrysalide.

” Drôle de pièce! “, nous dit Phia Ménard à la fin du spectacle. VORTEX fait partie de ses oeuvres qui ne se livrent jamais complètement. Elle nous offre une multitude de possibles et d’interprétations. Elle fait appel en permanence à notre imaginaire, à notre vie intérieure, interroge sur ce que l’on est et qui l’on est, nous montre ce que qu’est la transformation physique et l’idée de se trouver à la bonne place. Avec ce que produit le vent, élément ingrat et infidèle qui ne fait tourner les moulins que quand bon lui chante. Il y a des oeuvres qui ne passent pas la barrière du temps. Non pas qu’elles furent mauvaises mais inscrites dans l’époque de leur création et qui cessent tout à coup de résonner. VORTEX et L’après-midi d’un foehn sont des pièces qui entrent aujourd’hui dans le répertoire, destinées à continuer leur chemin et pourquoi pas à se transmettre. 

L’après-midi d’un foehn de Phia Ménard

Phia Ménard au Théâtre de Chaillot. VORTEX de et avec Phia Ménard ; L’après-midi d’un foehn de Phia Ménard avec Cécile Briand ou Silvano Nogueira – Compagnie Non Nova . Mercredi 17 novembre 2021. À voir en tournée du 22 janvier au 13 mai.

 



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