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[Festival de danse de Cannes 2021] : Martha Graham Dance Company, Louise Lecavalier, Rosella Hightower

Pour le week-end d’ouverture du Festival de danse de Cannes, l’invitée de prestige était la Martha Graham Dance Company. De retour en France après son passage au Palais Garnier en septembre 2018, la plus ancienne compagnie américaine dirigée par Janet Eilber a ouvert en beauté cette dernière édition dirigée par Brigitte Lefèvre. Le programme composé de pièces cultes permettant d’appréhender le style grahamien comportait aussi une pièce de commande à la chorégraphe américaine Andrea Miller. Autre figure importante de ce premier week-end, la danseuse et chorégraphe québécoise Louise Lecavalier absolument prodigieuse dans un solo d’une grande virtuosité intitulé Stations. Et pour un festival placé sous le signe des femmes, l’hommage à Rosella Hightower, fondatrice il y a soixante- ans de sa célèbre école de danse à Cannes,  tombait aussi à point nommé.

Steps in the street – Martha Graham Dance Company

Pour démarrer la soirée de la Martha Graham Dance Company, Steps in the street (extrait de Chronicle de 1936) impressionne par sa force expressive. En robes noires laissant découvrir les jambes au fur et à mesure des sauts, les interprètes respirent à l’unisson de leur célèbre prédécesseuse. Coude et poing levés, conquérantes, elles occupent l’espace et laissent exploser leur fureur. Pièce écrite en réponse à la montée du fascisme en Europe (Martha Graham refusa de participer aux Jeux Olympiques de Berlin de 1936), elle met en scène neuf danseuses-pasionaria, dont les muscles sont tendus comme des arcs. Leur engagement physique est d’autant plus fascinant qu’il est totalement dépouillé de toute fioriture. La géométrie de l’œuvre est si puissante que les années n’ont en rien émoussé sa force évocatrice.

Dansé par Aurélie Dupont lors de la venue de la compagnie en 2018, Ekstasis est un solo de 1933 ré-imaginé par la chorégraphe française Virginie Mécène en 2017 car il n’en restait aucune trace. Interprété par la sculpturale Natasha M. Diamond-Walker, enveloppée dans une robe en jersey clair moulant qui la transforme en statue vivante, il se savoure comme un moment de grâce. Les pieds ancrés dans le sol, la danseuse se meut lentement en déployant des torsions et ondulations du buste, du haut des épaules jusqu’aux hanches. Auréolée d’une lumière qui lui donne des airs de madone ou de vestale, elle évoque dans le temps très bref que dure ce solo une multitude de représentations féminines. Là aussi, l’interprétation est à la hauteur de l’enjeu.

Ekstasis – Martha Graham Dance Company

En milieu de programme (est-ce forcément la meilleure place ?), comme une passerelle entre les pièces des années 1930 et celle de 1981 de Martha Graham, Janet Eilber, directrice de la compagnie, a souhaité apporter la démonstration que sa troupe peut aussi s’affranchir de son rôle patrimonial et danser des œuvres contemporaines. Scavengers d’Andrea Miller est constituée d’une succession de quatre duos couronnés par un solo qui incarnent la rencontre amoureuse. Quatre couples jouent quatre partitions, hélas pas suffisamment contrastées. Se connaissaient-ils avant ? Viennent-ils de se rencontrer ? Resteront-ils ensemble une fois que nous les aurons quittés ? Le mystère demeure. La pièce reste un plaisant intermède, aussi aérien que la danse de Martha Graham est tellurique.

Après l’entracte, retour au répertoire de la compagnie avec Acts of light, pièce composée par Martha Graham à l’âge de 87 ans. Elle tire son titre d’une lettre écrite par la poétesse Emily Dickinson. Des trois parties, Lament, dansé par sept interprètes, clairement lié au célèbre Lamentation de 1930, retient l’attention. Anne O’Donnell, dansant avec une intensité brûlante, est vêtue d’une robe souple qui évoque, celle du cultisssime solo. Parée de blanc (la couleur du deuil en Orient), elle est portée par les autres danseurs comme pour l’élever et la guérir de son affliction. La partie finale intitulée Ritual to the Sun est originale puisque la chorégraphie prend appui sur les exercices rituels dispensés aux danseurs et danseuses de la compagnie. Leur “barre” quotidienne. Très intéressante photographie de la technique de Martha Graham, elle requiert une profonde discipline athlétique. Certains interprètes y montrent quelques signes de fatigue ou de mise en difficulté, et l’unisson du début de la soirée se perd alors dans cette dernière partie un peu à bout de souffle.

Stations – Louise Lecavalier

Comment dire la joie de retrouver Louise Lecavalier, danseuse et chorégraphe québécoise égérie de la compagnie La La La Human Steps ? Les années ne semblent avoir prise sur cette interprète qui a dépassé la soixantaine. Sa virtuosité est intacte. Dans cette programmation résolument tournée vers les femmes chorégraphes, Brigitte Lefèvre tenait beaucoup à sa présence. Comme on la comprend ! Un charisme singulier, unique, renforcée par le dispositif épuré d’un espace délimité par quatre néons verticaux aux couleurs changeantes. Toute de noir vêtue, crinière blonde de rock star, elle délimite son territoire avec une puissance féline par des déplacements latéraux glissés sur le sol. Sur une musique électro qui sied si bien à cette déambulation, elle prend possession de l’espace.

Présentée en première française, Stations se divise en quatre volets qui plonge Louise Lecavalier dans des états de corps proches d’une transe. Tant d’images surgissent de chacun de ses frémissements, de ses palpitements silencieux, des tremblement de ses mains. Là elle semble porter un enfant, plus loin elle fait mine de jouer du saxophone, encore plus loin, d’implorer un absent. Course contre la montre, course contre les éléments, contre le temps, ces Stations font figure de pauses. Qu’elle nous toise avec une pointe d’ironie ou d’autodérision, nous ignore ou repousse les limites de la recherche d’équilibre en se tenant longuement sur une jambe, elle pousse loin ce corps dont elle dompte chaque élan, chaque pulsion, chaque emballement. C’est parfaitement maitrisé, comme un cheminement intérieur qui se lirait à cœur ouvert.

Exposition hommage à Rosella Hightower

Une autre femme était présente dans tous les esprits en ce week-end d’ouverture. Son nom est indissociable de Cannes. À l’occasion du 60e anniversaire de l’École Supérieure de Danse Rosella Hightower, le Festival a souhaité rendre hommage à cette Danseuse Étoile et grande pédagogue qui a marqué de son empreinte le monde de la danse. Comme le laisse entendre le titre de l’exposition photographique présentée dans les halls du Palais des festivals, la ballerine américaine née en Oklahoma a toujours porté une attention particulière aux autres, qu’ils soient partenaire ou élève.

Première ballerine américaine à s’imposer sur les scènes européennes, Étoile du Grand Ballet du Marquis de Cuevas, Rosella Hightower fonde en 1961 un Centre international de danse devenu  aujourd’hui une école de renommée internationale dirigée par Paola Cantalupo. Des archives photographiques de “Madame Rosella” décédée en 2008 permettent d’égrener les grands moments et les grands partenaires de la danseuse, de Rudolf Noureev à Erik Bruhn. L’exposition permet de la découvrir altière et magnifique dans ses grandes interprétations : Giselle, la Belle au bois dormant ou la Sylphide. Mais aussi avide de transmettre son amour de la danse.

 

Martha Graham Dance Company au Grand Auditorium du Palais des festivals de Cannes. Steps in the street de Martha Graham, avec Leslie Andrea Williams, So Young An, Laurel Dalley Smith, Natasha M. Diamond Walker, Devin Loh, Marzia Memoli, Anne O’Donnell, Kate Reyes, Anne Souder et Xin Ying. Ekstasis de Martha Graham avec Natasha M. Diamond-Walker. Scavengers d’Andrea Miller (création 2021) avec Laurel Dalley Smith, Lloyd Knight, Jacob Larsen, Lloyd Mayor, Marzia Memoli, Anne O’Donnell, Lorenzo Pagano et Leslie Andrea Williams. Acts of light de Martha Graham avec Xin Ying, Lloyd Knight, Anne O’Donnell, Alessio Crognale, Jacob Larsen, Lloyd Mayor, Lorenzo Pagano, Richard Villaverde, So Young An, Laurel Dalley Smith, Natasha M. Diamond Walker, Devin Loh, Marzia Memoli, Lorenzo Pagano, Kate Reyes et Anne Souder, Leslie Andrea Williams. Samedi 27 novembre 2021.

Stations de et par Louise Lecavalier au Théâtre Croisette – Hôtel JW Marriot. Dimanche 28 novembre. À voir  le 3 décembre au Klap Maison de la danse à Marseille, du 6 au 9 décembre au Théâtre de la Ville, espace Cardin à Paris.

L’exposition Rosella Hightower est visible jusqu’au 12 décembre. Ouvert les jours de représentation au Palais des Festivals (1h avant le début des spectacles – accès sur présentation du billet du spectacle).

Le Festival de danse de Cannes – Côte d’Azur France continue jusqu’au 12 décembre.

 



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