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Monaco Dance Forum – L’Heure Exquise de Maurice Béjart avec Alessandra Ferri

C’est avec Alessandra Ferri dans l’Heure Exquise de Maurice Béjart qu’a débuté le Monaco Dance Forum, le festival des Ballets de Monte Carlo qui invite chaque fin d’année d’autres chorégraphes et compagnies. Malgré la pandémie, le festival a pu se dérouler normalement cette saison, avec en ouverture une oeuvre singulière qui tente de transférer le génie de Samuel Beckett dans une pièce chantée et chorégraphiée conçue pour une ballerine vieillissante. Alessandra Ferri, 58 ans, a voulu reprendre L’Heure Exquise. Plus qu’un ballet, la pièce est exercice de style brillant mais parfois  frustrant, qui montre toutefois le talent intact de cette immense danseuse.

Alessandra Ferri – L’Heure Exquise de Maurice Béjart

Alessandra Ferri ne saurait se résoudre aux adieux. J’ai eu le privilège d’assister en 2015 à son ultime représentation avec l’American Ballet Theatre, où elle incarnait une Juliette incandescente. Son talent et ses capacités techniques sont encore aujourd’hui intacts. Dans L’Heure Exquise de Maurice Béjart, La Prima Ballerina Assoluta italienne, qui enflamma les publics de la Scala et du Royal Ballet, conserve la même grâce : tout est fluide, les arabesques impeccables, les tours sans défaut, les épaulements d’un subtil raffinement, ses manèges d’une précision sans pareille. On ne voit pas à qui on pourrait la comparer si ce n’est à Maïa Plissetskaïa qui, dans un tout autre style, mena sa carrière quasiment jusqu’au bout de sa vie.

Et il y a quelque chose de sublime à voir Alessandra Ferri défier le temps et refuser le diktat qui pousse vers la sortie les danseuses dès que les années de jeunesse sont passées. Certes, le corps a ses limités, parfois dictées par l’âge. Mais combien de danseuses ou de danseurs ont été cassés très jeunes quand d‘autres ont su préserver leur corps et ont dû quitter la scène alors que leurs moyens étaient inchangés. Alessandra Ferri avait tout d’abord décidé de se retirer après un spectacle d’adieux avant de se raviser. En 2013, elle retrouvait ainsi la scène, dansait John Neumeier ou Wayne McGregor, reprenait Marguerite et Armand de Frederick Ashton avec le Royal Ballet. À chaque fois, un triomphe ! Non pas comme un hommage, mais parce que l’âge ne semble avoir aucune prise sur Alessandra Ferri. Sa danse est tout aussi tonique, faisant émaner la même énergie qu’à ses débuts.

On comprend ce qui a pu séduire la danseuse italienne dans L’Heure exquise. Maurice Béjart propose là une adaptation fidèle du chef-d’œuvre de Samuel Beckett Oh les beaux jours créé par une légende du théâtre Madeleine Renaud. Maurice Béjart avait imaginé cette pièce pour une autre légende, la danseuse italienne Carla Fracci récemment disparue. Le chorégraphe a calqué la scénographie originale, où l’on voyait Madeleine Renaud dans le personnage de Winnie enfouie dans un monticule de sable. Seuls dépassaient la tête et le haut du buste. Maurice Béjart a transformé ce monticule en le composant d’une multitude de chaussons de danse usagés. Métaphore du vieillissement et de la démence sénile qui sont le thème de la pièce de Beckett, où le personnage de Winnie se remémore tout haut ses souvenirs en dialoguant avec son mari qui ne répond jamais. Il fallait bien trouver une astuce pour libérer Alessandra Ferri et cet amas de 2.000 chaussons s’ouvre par le milieu, permettant à la danseuse d’avancer sur la scène en compagnie de Carsten Jung, ancien danseur du Ballet de Hambourg. Ils nous offrent alors un pas de deux tout en élégance, alors que le personnage de la ballerine semble revivre son passé. Alessandra Ferri irradie la salle Garnier de l’Opéra de Monaco. Elle avance jusqu’à l’extrême bord de l’avant-scène, parle en italien mais l’on comprend tous les mots, et se révèle une magnifique actrice.

Alessandra Ferri et Carsten Jung – L’Heure Exquise de Maurice Béjart

Car L’heure Exquise est autant, et peut-être davantage, un moment de théâtre que de danse. C’est là que se niche une forme de frustration quand on attend la danseuse Alessandra Ferri. La voir esquisser des pas splendides, bien droite en équilibre sur ses pointes, met l’eau à la bouche. Mais il faudra se contenter de peu et accepter la règle du jeu : Maurice Béjart a écrit une pièce sur mesure pour une ballerine vieillissante qui revit ses rôles anciens symbolisés par cette montagne de chaussons. Alessandra Ferri livre là toute son âme à travers les expressions de son visage capable des plus fines nuances. C’est évidemment courageux ou culotté de reprendre L’Heure exquise tant le sujet interroge l’altération des capacités physiques et mentales. Co-produit par le Royal Ballet, Alessandra Ferri a dansé l’Heure Exquise il y a quelques semaines à Londres, 40 ans après avoir foulé la scène de Covent Garden. Que dire de plus ?

 

L’Heure Exquise de Maurice Béjart avec Alessandra Ferri et Carsten Jung, à la Salle Garnier de l’Opéra de Monte-Carlo – Samedi 11 Décembre 2021.

 




 

 

 

 

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