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Body and Soul de Crystal Pite – Ballet de l’Opéra de Paris

Deux ans et deux mois après sa création pour le Ballet de l’Opéra de Paris, Body and Soul de  Crystal Pite est de nouveau programmée durant cette saison. Tant d’événements sont venus depuis bousculer le cours de nos vies que sa découverte semble remonter à beaucoup plus longtemps. Deuxième création après la déferlante The Seasons’ Canon, cette pièce en trois actes très contrastés brille d’une lumière singulière. On y retrouve certains thèmes chers à la chorégraphe canadienne comme la tension permanente entre l’individu et le groupe. Mais comme en 2019, malgré les pépites que recèlent les deux premiers actes, impossible de se laisser emporter entièrement. La faute peut-être à ce court dernier acte un peu décevant par sa facilité.

Body and Soul de Crystal Pite – Ballet de l’Opéra de Paris

 

D’emblée, le premier acte intrigue par l’atmosphère qui s’en dégage. “Le plafonnier s’allume d’un coup, révélant deux figures dans une petite pièce. Figure 1 est étendue au sol. Figure 2 fait les cents pas.” La voix de Marina Hands résonne dans la salle du Palais Garnier. Fil rouge de la pièce, elle déroule sur des rythmes différents un texte écrit par Crystal Pite. Si dans la scène 1, elles sont incarnées par Takeru Coste et Adrien Couvez, Figure 1 et Figure 2 font indifféremment référence à un homme ou une femme ou un groupe d’individus. La construction en miroir captive tant chaque duo ou ensemble s’emparent des situations dictées par la voix de la comédienne pour écrire une histoire inédite : une conversation amoureuse, l’adieu à un défunt, une amitié qui tourne mal.

Ses mains bougent sans cesse : touchant son menton, son front, sa poitrine, (gauche droite gauche droite gauche.), son cou, sa bouche, sa hanche.” Les gestes décrits semblent d’une grande simplicité. Pourtant, chacun.e se les approprie et les mixe pour des compositions plus complexes leur donnant ainsi une vie propre.  Toucher l’autre, le soulever, prendre appui sur lui, le consoler, mais aussi l’affronter, le repousser, s’en détourner.  Dans la dernière scène de cet acte, Alice Renavand transcende toutes les Figures 1 et 2. Mater dolorosa toute en retenue, l’Étoile illumine de sa présence ces quelques minutes et donne corps aux mots de Crystal Pite avec l’intensité qu’on lui connait. Rarement, ce mariage entre texte et mouvement a créé quelque chose d’aussi abouti et si peu artificiel comme on le constate dans d’autres pièces contemporaines. À ce titre, le dialogue amoureux entre Marion Barbeau et Simon Le Borgne pourrait bien devenir culte. Comme une réminiscence, se superposent des images du pas de deux du Parc de Preljocaj intitulé Abandon. Étrange juxtaposition ? Peut-être pas.

Body and Soul de Crystal Pite – Alice Renavand et le Ballet de l’Opéra de Paris

Le deuxième acte, plus lyrique, se concentre sur les corps des danseurs et danseuses dans l’épure d’un plateau vide. Les 24 Préludes de Chopin sont autant de prétextes à la rencontre. Équilibres, jeux de contrepoids, portés acrobatiques, chaque extrait déroule une composition chorégraphique, sur laquelle plane l’influence de William Forsythe, qui n’est jamais aussi intelligente que dans les mouvements d’ensemble. Comment ne pas se laisser happer par ces unissons parfaits qui sidèrent par leur beauté plastique ? Ce sont là la signature et la force de cette chorégraphe. Et son supplément d’âme aussi.

Curieusement, on aimerait presque en rester là. Laisser à son devenir incertain cette humanité en mouvement. Mais notre mémoire de public se souvient qu’après un précipité, le troisième acte joue une carte toute autre. Des cintres descend une forêt fantasmagorique dorée. Exit Chopin. La pop de Teddy Geiger, hyper entrainante il faut le reconnaître, sature l’espace. Le  rythme nous prend dans ses filets. Combinaisons intégrales en latex noir, les bras prolongés de pinces, pointes pour les filles, les danseuses et danseurs envahissent le plateau scintillant comme une colonie de fourmis ou de soldats. Si on finit par s’habituer à cette vision inquiétante, limite martiale, il faut sans doute une âme d’entomologiste pour se laisser séduire par ce dernier acte trop grouillant. Crystal Pite nous perd un peu. D’autant que le côté très show-off de cette dernière partie ne parvient pas à dissimuler l’affaiblissement de la composition chorégraphique. Reste la joie palpable de la quarantaine d’artistes de la compagnie de s’approprier l’univers singulier de cette chorégraphe. Les cris en coulisses après le tomber du rideau sont là pour le confirmer.

Body and Soul de Crystal Pite – Ballet de l’Opéra de Paris

Body and Soul de Crystal Pite par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Léonore Baulac, Alice Renavand, Marion Barbeau, Héloïse Bourdon, Hannah O’Neill, Silvia Saint-Martin, Aurélia Bellet, Letizia Galloni, Eléonore Guérineau, Caroline Osmont, Aubane Philbert, Caroline Robert, Juliette Hilaire, Charlotte Ranson, Eugénie Drion, Marion Gautier de Charnacé, Ninon Raux, Seehoo Yun, Hugo Marchand, Marc Moreau, Jérémy-Loup Quer, Sébastien Bertaud, Alexandre Gasse, Axel Ibot, Simon Le Borgne, Florent Melac, Daniel Stokes, Mathieu Contat, Adrien Couvez, Yvon Demol, Grégory Dominiak,  Mickaël Lafon, Isaac Lopes-Gomes, Maxime Thomas, Hugo Vigliotti, Alexandre Boccara, Takeru Coste, Jérémie Devilder, Loup Marcault-Derouard et Rubens Simon. Lundi 31 janvier 2022. À voir jusqu’au 20 février.

 



Commentaires (1)

  • MD

    Je suis allée voir ce spectacle le 5 février. Je suis totalement d’accord avec vous… ou presque ! J’aime tant Body and Soul, les deux première parties sont effectivement sublimes. J’aime la voix de Marina Hands, les préludes de Chopin, les gestes et les mots remplis de sens, les lignes des danseurs, les moments d’ensemble, le mélange de force et de douceur qui se dégage du tout… En ce qui concerne la troisième partie, la transition est peut-être trop brutale, ce qui empêche de profiter des premières minutes. Mais après la première apparition de l’être sauvage, je trouve que cette partie regagne en intérêt : les ensembles sont de nouveaux saisissants, les combinaisons brillent dans la lumière, les danseuses sur pointes donnent vraiment l’impression de voir évoluer des insectes dans un monde post-apocalyptique (et pas besoin d’être entomologiste pour apprécier, je vous assure !). Crystal Pite me récupère, par l’harmonie et l’originalité de l’ensemble que finalement, j’en viens à vraiment apprécier. J’attendais le final explosif avec impatience, qui ne m’a pas déçue ! Finalement, j’adore ce ballet, du début à la fin, avec une mention spéciale dans cette distribution à Alice Renavand, qui a été splendide.

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