TOP

[Festival Pouce ! ] – (La Bande à) Laura de Gaëlle Bourges

La 11e édition du festival jeune public Pouce ! s’est tenue au mois de février à La Manufacture CDCN à Bordeaux et en région Nouvelle-Aquitaine. Parmi les onze spectacles proposés dans une volonté de “partager une danse exigeante et plurielle“, DALP a pu découvrir (La Bande à) LAURA de Gaëlle Bourges, créée en novembre dernier dans le cadre du dernier festival d’Automne. Dans cette pièce pétillante d’impertinence portée par quatre performeuses, la chorégraphe prend comme point de départ le célèbre tableau de Manet, Olympia, qui fit scandale en 1865 lors de sa présentation au salon de Paris. Elle donne corps à quelques célèbres œuvres picturales avec une économie d’effets pourtant très spectaculaires. Cette succession de tableaux vivants ravit et questionne justement  la place des femmes dans l’histoire de l’art en résonance avec des problématiques contemporaines.

(La Bande à) Laura de Gaëlle Bourges

Depuis 2011, le festival Pouce !, initié par Lise Saladain, directrice déléguée à La Manufacture CDCN propose des pièces pour le jeune public. Cette année, onze spectacles dont trois créations ont été présentées à Bordeaux ainsi que dans différents lieux de la région Nouvelle-Aquitaine. Dotée d’une implantation territoriale unique, ce centre de développement chorégraphique national se situe sur deux lieux, l’un à Bordeaux et l’autre à La Rochelle. Comme le souligne Lise Saladain, “ce festival veille à la diversité des esthétiques et propose une programmation exigeante tout en s’adressant au jeune public de la Région Nouvelle-Aquitaine“. Au-delà d’une programmation de spectacles de danse, à destination d’un jeune public, Pouce ! se révèle un lieu d’échanges et de réflexions pour les professionnel·le·s engagé·e·s comme La Manufacture pour le développement de la danse à l’attention des enfants.

Pour cette 11e édition, même si quelques pièces étaient destinées à un tout jeune public, les propositions des compagnies invitées étaient davantage orientées vers les adolescents. C’est le cas de la pièce (La Bande à) LAURA de Gaëlle Bourges qui jette un point de vue décalé et passionnant sur l’invisibilisation des femmes, notamment des modèles, dans l’histoire de l’art, grande source d’inspiration de cette chorégraphe. Une autre façon de raconter les grands tableaux marquants telle la célèbre Olympia de Manet visible au musée d’Orsay. Ce n’est pas la première fois que la chorégraphe entreprend d’explorer l’histoire de l’art avec un prisme féministe. Déjà dans La Belle indifférence, en 2010, elle s’inspirait des nus féminins de la peinture sur lesquels elle superposait des récits de travailleuses du sexe.

(La Bande à) Laura de Gaëlle Bourges

Olympia d’Edouard Manet constitue l’un des grands scandales de l’Histoire de la peinture au XIXe siècle. Il montre au premier plan, une femme nue, un cordon lacé autour du cou et une fleur accrochée à l’oreille, alanguie sur un lit. Derrière elle, une femme de chambre noire en robe blanche, qui tend un magnifique bouquet de fleurs. Pendant plus d’un siècle, personne ne s’est vraiment demandé qui était le modèle qui avait posé pour la femme noire, ni interrogé sur le fait que Victorine Meurent, le modèle de la courtisane nue, était elle-aussi peintre. Tel est le point d’orgue du spectacle de Gaëlle Bourges qui s’amuse à recréer sur le plateau une série de tableaux, de Un Atelier aux Batignolles de Fantin-Latour (1870), jusqu’au Déjeuner sur l’herbe : les trois femmes noires de Mickalene Thomas (2010), en passant par La Vénus d’Urbin du Titien (1538). Une façon d’évoquer combien la place des femmes a grandement été minorée voire passée sous silence. Que savait-on de Laure, la camériste noire, rebaptisée Laura par Gaëlle Bourges, avant 2019 et l’exposition Le modèle noir présentée à Orsay en 2019 ?

Deux toiles blanches tendues sur des châssis en bois. Paravents, décors, elles sont les fils rouges de la pièce. Déplacées par les quatre performeuses qui se glissent tout à tour dans la peau des peintres de l’époque ou des modèles, elles se déploient au gré de la reconstitution de différents tableaux. Ce qui se joue sous nos yeux est la fois intrigant, mystérieux et magique. Tout le travail de Gaëlle Bourges et de ses interprètes consiste à rendre visible ces images qui appartiennent à notre mémoire collective sans jamais en proposer sous forme de projection vidéo une reproduction. Avec quelques accessoires, des postures savamment travaillées, des gestes lents et calculés, le tableau prend vie sous nos yeux, pas tout à fait le même et pourtant si étrangement similaire, même si la nudité en a été retirée. Ou si les rôles masculins se conjuguent au féminin et inversement.

(La Bande à) Laura de Gaëlle Bourges

Tout au long de la pièce, une narratrice conte l’histoire de ces tableaux, les resitue dans leur époque, décrit aussi la vie artistique de cette fin du XIXe siècle, glisse des éléments sociologiques sur l’histoire des femmes. La voix interpelle sur la place des modèles noirs dans l’art occidental, celle des femmes modèles en général, les rapports entre les femmes et les hommes, cette distribution toujours inégale des rôles. Librement inspiré des textes qui accompagnent les déambulations muséales, le discours est ici incontestablement plus critique, plus cash, plus revigorant que le ton lénifiant de certains audioguides. Une invitation pour les enfants et les parents à porter un regard critique sur la place des modèles dits “noirs” dans l’art occidental, et sur celle des femmes modèles en général, quelquefois elles-mêmes artistes, en tout cas souvent oubliées au profit des peintres pour lesquels elles ont posé.

 

(La Bande à) LAURA de Gaëlle Bourges à La Manufacture – CDCN Nouvelle Aquitaine, dans le cadre du festival jeune public Pouce !. Avec Carisa Bledsoe, Helen Heraud, Noémie makota, Julie Vuoso. Jeudi 10 février 2022. À voir en tournée du 10 au 12 mars au Grand Bleu à Lille (59), du 22 au 26 mars à La Rose des Vents, Scène nationale Villeneuve d’Ascq (59), les 31 mars et 1er avril au Festival Kidanse, L’échangeur CDCN – Maison de la Culture d’Amiens (80). Autres dates sur le site de la compagnie.

 




 

Poster un commentaire