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Royal Ballet – Soirée Kyle Abraham/Crystal Pite/Christopher Wheeldon

La saison de printemps du Royal Ballet fait alterner les grands classiques et les pièces contemporaines. Entre la reprise du Lac des cygnes et celle de A Month in the Country de Frederick Ashton, la compagnie londonienne offre une de ces soirées mixtes qui lui sont chères. Au programme , une création du chorégraphe américain Kyle Abraham The Weathering entouré par deux grands noms d’aujourd’hui : la canadienne Crystal Pite avec Echo Solo et le chorégraphe associé du Royal Ballet Christopher Wheeldon avec DGV: Danse à grande vitesse. Une affiche séduisante qui mélange sur scène les stars de la troupe et le corps de ballet. Si les pièces de Crystal Pite et Christopher Wheeldon n’ont rien perdu de leur efficacité et de leur énergie, Kyle Abraham peine à séduire et ne semble jamais trouver le bon tempo pour cette seconde collaboration avec le Royal Ballet.

The Weathering – Kyle Abraham

Kyle Abraham a irradié  de son art chorégraphique la scène new-yorkaise depuis 2010, en créant pour sa propre compagnie A.I. M. mais aussi en élargissant ses collaborations grâce notamment à une rencontre  décisive avec Wendy Whelan. L’ex-Principal du New York City Ballet l’a en effet sollicité pour construire son premier programme en solo après avoir quitté la compagnie, persuadée qu’il y avait une osmose possible entre son langage et la danse académique. De fait, Kyle Abraham n’aime pas être rangé dans la case trop réductrice du hip hop et rappelle à l’occasion qu’il a aussi suivi un enseignement de danse classique. Après avoir chorégraphié chez Paul Taylor et Alvin Ailey, le NYCB l’a à son tour sollicité. Il en résulta une première pièce en 2018, The Runaway, et l’on peut voir sur le site du New York City Ballet le solo introductif de cette oeuvre commentée et superbement dansée par Taylor Stancey. Celles et ceux qui ne le connaissent pas y découvriront un chorégraphe délicat et inventif. Sa seconde collaboration prit la forme d’un film en raison du confinement. When We fell fut l’une des pièces les plus abouties créées virtuellement durant la pandémie. La France l’a vu passer au Festival de Marseille, à la Maison de la Danse de Lyon , au Théâtre de la Ville et il revient au mois de juin aux Théâtres des Abbesses à Paris avec sa dernière création An Untitled Love, annoncée comme un portrait amoureux de la communauté afro-américaine. C’est une identité qu’il revendique dans son travail tout comme son homosexualité, ce qui place Kyle Abraham dans la galaxie de Bill T.Jones dont il fut l’un des meilleurs interprètes.

The Weathering pour le Royal Ballet est sa première grande collaboration avec une compagnie classique européenne. S’il aborde avec sa propre troupe des thèmes tels que la violence de rue ou le système carcéral américain, Kyle Abraham a voulu traiter ici de la douleur de la perte des autres dans une pièce divisée en neuf parties, faisant alterner ensembles, solos, pas de deux. Le chorégraphe américain a eu à coeur de montrer sa maîtrise du vocabulaire du ballet classique, et il y réussit magnifiquement, avec l’aide de onze danseuses et danseurs de la compagnie. Trop peut-être ! Les sauts, les arabesques, les tours rapides, la vitesse, les extensions, il y a là tout un précis du langage académique néo-classique auquel Kyle Abraham ajoute une touche personnelle en imposant une souplesse extrême des bustes. C’est fort plaisant et agréable à regarder, mais il y manque du style. Cette sensation de la perte des êtres chers qu’il avait l’ambition de porter ne nous parvient pas, si ce n’est peut-être dans l’épilogue. Paradoxalement, The Weathering s’affiche plutôt comme une pièce joyeuse, lumineuse, parfois mélancolique.

Crystal Pite – Solo Echo

Du style et une écriture structurée, c’est précisément ce qui définit l’art aussi bien de Crystal Pite que de Christopher Wheeldon. La chorégraphe canadienne est devenue en quelques années une star dont chaque compagnie veut une oeuvre à son répertoire. Le Royal Ballet compte déjà Flight Pattern créé en 2017, récompensé d’un prestigieux Olivier Awards et une création est annoncée l’an prochain. Solo Echo appartient au répertoire chambriste de Crystal Pite, imaginé pour le Nederlands Dans Theater : sept danseuses et danseurs et cette même puissance dans l’art des combinaisons et la construction de grappes humaines où le groupe ne fait qu’un. Bâtie sur les sonates pour piano et violoncelle de Johannes Brahms, Echo Solo ne dépare pas dans l’univers de Crystal Pite où le geste est plus important que celles et ceux qui l’accomplissent. C’est dans ces moments où le groupe devient une entité organique que la chorégraphe enthousiasme. 

Christopher Wheeldon, le régional de l’étape et artiste associé du Royal Ballet, est à la tête d’une oeuvre  désormais conséquente et multiple. DGV: Danse à Grande Vitesse appartient à son registre néo-classique non narratif, ces pièces abstraites chères au New York City Ballet où il fut danseur. Il eut l’occasion de voir et de danser les oeuvres du maître de lieux, George Balanchine, génie de la géométrie dans l’espace de la scène. Personne n’a su mieux organiser un groupe sur le plateau, les entrées et les sorties. Christopher Wheeldon en a fait son miel en observant le répertoire balanchinien. DGV: Danse à Grande Vitesse a été créé pour le Royal Ballet en 2006, puis repris par le NYCB, au répertoire de nombreuses compagnies aujourd’hui. Quatre couples principaux  un ensemble de 18 interprètes sur la musique de Michael Nyman : ces ingrédients sont maniés magistralement par Christopher Wheeldon. Il imagine pour chaque couple un pas de deux aux couleurs différentes, résolument langoureux par exemple pour Marianela Nuñez et Ryoichi Hirano qui surfent sur le minimalisme musical de Michael Nyman. Une pièce agréable, jolie qui cherche et trouve facilement l’assentiment du public. C’est peut-être ce qu’on peut reprocher à l’ensemble d’une soirée d’excellente facture mais parfois un peu trop lisse.

Marianela Nuñez et Ryoichi Hirano – DGV, Danse à grande Vitesse

 

Soirée Kyle Abraham/Crystal Pite/Christopher Wheeldon par le Royal Ballet. The Weathering de Kyle Abrahams avec Anne Rose O’Sullivan, Fumi Kaneko, Liam Boswell, William Bracewell, Nicol Edmonds, Brayden Gallucci, Daichi Ikarashi, Joshua Junker, Aiden O’Brien, Calvin Richardson et Joseph Sissens ; Echo de Crystal Pite avec Luca Acri, Lukas B. Brændsrød, Harry Churches, Ashley Dean, Benjamin Ella, Isabella Gasparini et Hannah Grennell ; DGV, Danse à grande Vitesse de Christopher Wheeldon avec Gina-Storm Jensen, Matthew Ball, Yasmine Naghdi, William Bracewell, Marianela Nuñez, Ryoichi Hirano, Mayara Magri et Joseph Sissens. Lundi 24 mars 2022 au Royal Opera House de Londres. 

 



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