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Staatsballet Berlin – La Belle au bois dormant de Marcia Haydée

Le Ballet de Berlin a refermé sa saison avec l’entrée au répertoire deLa Belle au bois dormant, dans la version que Marcia Haydée avait originellement chorégraphiée pour le Ballet de Stuttgart. La ballerina assoluta brésilienne, égérie de John Cranko, a personnellement supervisé les répétitions de ce ballet iconique du répertoire dont les décors et les costumes ont été dessinés par Jordi Roig pour cette production berlinoise. Marcia Haydée y offre une vision très personnelle du ballet de Marius Petipa, faisant de la Fée Carabosse un personnage central qui danse. Dinu Tamazlacaru s’est glissé magistralement dans le personnage alors que Yolanda Correa faisait  des débuts impeccables dans le rôle d’Aurore, entourée de Murilo de Oliveira qui dansait lui aussi son premier Prince Désiré. Une distribution de luxe complétée par Elisa Carrrillo Cabrera en Fée Lilas et servie par un corps de ballet de très grande qualité.

La Belle au bois dormant de Marcia Haydée – Ballet de Berlin

Cette Belle au bois dormant de Marcia Haydée au Ballet de Berlin s’est faite attendre ! D’abord reportée pour des raisons financières, la pandémie s’est chargée de prolonger le suspense. Elle a enfin trouvé son chemin et fait une entrée au répertoire tonitruante : pas moins de quatre distributions dans lesquelles se  sont succédé toutes les stars d’une compagnie qui n’en manque pas. Marcia Haydée rappelle dans le programme l’importance de ce ballet dans sa vie et sa carrière. Elle avait trois ans lorsque sa mère l’emmena au Théâtre Municipal de Rio de Janeiro pour y voir les Ballets Russes de Monte-Carlo. L’ultime pièce de la soirée était le dernier acte de La Belle au bois dormant. Je ne me souviens de rien du reste du programme mais je n’ai jamais oublié le mariage d’Aurore et je crois que ce fut déterminant dans mon désir de devenir une danseuse“, confie Marcia Haydée. Si elle ne se considère nullement chorégraphe, elle ne manque pas d’idées pour proposer une rédaction séduisante, qui est déjà au répertoire d’une dizaine de compagnies depuis sa création à Stuttgart en 1987.

Avec cette Belle au bois dormant, Marcia Haydée déplace la focale et fait basculer l’histoire pour mettre au centre du récit la Fée Carabosse. Le rôle devient ainsi le pivot de l’histoire. Le personnage doit beaucoup à son créateur, Richard Cragun, partenaire indéfectible de Marcia Haydée, première Carabosse de sa production de Stuttgart. Ensemble, ils ont ré-imaginé ce personnage. “Carabosse une diva et nous avons observé à l’époque comment Maria Callas utilisait ses mains pour s’en inspirer“, se rappelle Marcia Haydée.

La Belle au bois dormant de Marcia Haydée – Ballet de Berlin

Pour la production berlinoise, Jordi Roig, collaborateur de longue date de Marcia Haydée, a dessiné un rideau de scène avec une Fée Carabosse géante, drapée d’un long manteau rouge. Dès l’ouverture, elle traverse l’avant-scène de jardin à cour en marquant une pause au centre, jouant de ses longs doigts en direction du public. Dinu Tamazlacaru, désormais invité Principal du Ballet de Berlin, habite le rôle avec panache et virtuosité (endossant aussi le rôle du Prince Désiré lors de cette série). Non contente d’en faire le personnage clef du ballet, Marcia Haydée a imaginé plusieurs variations classiques et non pas des danses de caractère comme c’est l’usage. Il saute, tourne, déploie ses arabesques, investit la scène avec de longs manèges. Ce parti-pris permet de nuancer le personnage, de lui offrir d’autres couleurs que celles de la fée maléfique. Au fond, sait-on pourquoi Carabosse a été exclue des festivités royales pour la naissance d’Aurore ? Le corollaire de cette approche, c’est le duel entre La Fée Lilas et la Fée Carabosse qui structure la narration, et la rend au passage d’une parfaite limpidité dans un combat entre le Bien et le Mal. Elisa Carillo Cabrera est une Fée Lilas irréprochable : un travail de jambes d’une expressivité idéale, des bras interminables indiquant toutes les nuances et un face-à-face percutant avec Dino Tamazlacaru.

Aucun ballet ne repose autant sur tous les rôles, à la fois parce qu’ils sont très nombreux mais aussi parce que les personnages principaux tardent à arriver. C’est le plaisir coupable de La Belle au bois dormant où la Princesse Aurore se fait désirer – sans jeu de mots ! – durant presque 40 minutes. Son arrivée sur scène est d’autant plus guettée par le public. Yolanda Correa interprétait ce soir-là sa toute première Aurore, sans jamais trembler, avec une autorité et une facilité déconcertante. C’est peut-être le rôle le plus exigeant du répertoire. Car si son entrée est retardée, Aurore occupe ensuite la scène sans discontinuer, entre sa variation et le fameux Adage à la Rose, tellement redouté tant il exige de qualités techniques exceptionnelles, avec ces fameux tours sur pointe qui s’achèvent sur un équilibre toujours périlleux. Mais pas la moindre fausse note pour Yolanda Correa. La danseuse cubaine maîtrise son sujet de bout en bout avec une exceptionnelle coordination des bras et des jambes et des équilibres tenus comme il se doit. Aurore n’est pas le rôle du répertoire le plus complexe à interpréter dramatiquement mais ses exigences techniques sont colossales.

La Belle au bois dormant de Marcia Haydée – Dinu Tamazlacaru ( la Fée Carabosse)

C’est aussi l’un des plaisirs de cette production berlinoise : l’excellence des solistes. Auxquels s’ajoute Murilo de Oliveira, demi-soliste prometteur de la compagnie pour son premier Prince Désiré. Le corps de Ballet affiche également de belles qualités et une grande rigueur. Les solistes du dernier acte, où se succèdent les divertissements, manient technique et humour avec conviction. Jordi Roig, qui fut danseur avant de se consacrer entièrement à la scénographie, a réinventé un décor classique de toiles peintes splendides et une série de tutus acidulés. Il règne une parfaite harmonie dans cette production de La Belle au bois dormant qui vient compléter avec bonheur le répertoire académique du Ballet de Berlin déjà bien fourni.

Nombreux sont les balletomanes en France qui déplorent que La Belle tarde à se réveiller à l’Opéra de Paris. Certes, l’American Ballet Theatre présenta en septembre 2016 la version passionnante d’Alexeï Ratmansky mais la dernière série de la rédaction de Rudolf Noureev date maintenant  de presque neuf ans. C’est beaucoup, beaucoup trop pour un ballet au cœur du répertoire académique et qu’une compagnie classique se doit de danser régulièrement. On ne saurait trop conseiller de tenter une échappé belle à Berlin. La Belle au bois dormant de Marcia Haydée sera reprise pour une nouvelle série la saison prochaine. Qu’importe la date , toutes les distributions sont de haute volée à Berlin. Et si l’on s’y prend bien, on peut aussi faire un doublé avec Le Lac des Cygnes de Patrice Bart, programmé en même temps. Avouez que ça ne se refuse pas !

 

La Belle au bois dormant de Marcia Haydée d’après Marius Petipa par le Ballet de Berlin. Avec Yolanda Correa (La Princesse Aurore), Murilo de Oliveira (Le Prince Désiré), Dinu Tamazlacaru (La Fée Carabosse) et Elisa Carillo Cabrera (La Fée Lilas). Mardi 28 juin 2022 au Deutsche Oper Berlin. À voir lors de la saison 2022-2023 de la compagnie

 




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