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[Festival Cadences] Cie Art Move concept, Sylvain Groud, le théâtre du Corps Pietragalla-Derouault

Cela faisait longtemps que l’on avait envie de jeter un œil au festival Cadences à Arcachon. Le week-end de clôture proposait une programmation variée qui permettait de pouvoir circuler du Théâtre Olympia, récemment labellisé Scène conventionnée d’Intérêt National “Art en territoire”, au Théâtre de la Mer en extérieur. Avec un détour par la capitainerie du port pour le Bal chorégraphique mené par le chorégraphe Sylvain Groud, directeur du CCN Roubaix Hauts-de-France/Ballet du Nord. Et pour la dernière soirée, le Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault a présenté la première de sa nouvelle création La Leçon d’après Eugène Ionesco. Une pièce pour sept interprètes dans laquelle Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault continuent leur exploration de l’œuvre du dramaturge de l’absurde.

À bientôt – Compagnie Mâle

Passer deux jours au festival Cadences à Arcachon permet de se rendre compte combien le cœur d’une ville peut décider de battre à l’unisson de l’art vivant. Y compris ses alentours puisque des spectacles avaient également lieu “hors les murs” : de Biganos à Lacanau, en passant par le Cap-Ferret et la Teste de Buch. En journée, le théâtre de la Mer, situé sur la plage du centre-ville d’Arcachon offre un panorama des plus magiques. L’océan Atlantique et la ligne d’horizon, difficile de trouver plus beau fond de scène, surtout quand la météo flirte avec l’été indien. S’y sont succédées plusieurs compagnies émergentes qui trouvent là un bel écrin pour présenter leurs créations.

C’est ainsi que l’on a pu découvrir la compagnie Mâle fondée par Johana Malédon, jeune chorégraphe originaire de la Guyane française formée à la danse jazz, à la danse contemporaine et à la danse suspendue, qui a réuni trois autres danseuses autour d’elle. Avec À Bientôt, elle livre une première pièce aux accents revendicatifs qui sonnent juste. Le quatuor nous embarque dans une aventure de sororité qui interroge les stéréotypes auxquels les corps féminins sont toujours assignés. Ces quatre femmes puissantes oscillent entre séduction, folie, quête émancipatrice et violences subies. Le regard masculin est convoqué de manière implicite. Bien construite autour de mouvements d’ensemble et de solos qui s’intercalent avec justesse, cette pièce gagnerait peut-être à être resserrée sur la fin, mais touche par l’engagement et la singularité des quatre interprètes.

Anopas de Soria Rem et Medhi Ouachek, Cie Art Move Concept.

Soria Rem et Mehdi Ouachek ont créé leur compagnie Art Move Concept il y a dix ans. Leur création Anopas est née d’une carte blanche donnée à la compagnie par Mourad Merzouki dans le cadre des festivals Kalypso et Karavel. Cette pièce pour neuf danseurs et danseuses mêle avec poésie danse hip-hop, danse classique, danse contemporaine et arts du cirque. Créée durant la pandémie en novembre 2020, elle a d’abord été présentée du grand plateau des Gémeaux à Sceaux et diffusée sur le web. On la découvre deux ans plus tard avec curiosité. Les clins d’œil à Buster Keaton et Charlie Chaplin, deux figures chères aux deux chorégraphes foisonnent. Ces “pas” auxquels fait référence le titre sont ceux empruntés par chacun des interprètes. Leurs parcours similaires ou distincts ont nourri la réflexion qui a accompagné ce spectacle. Mettre leurs pas dans ceux des autres. Faire un pas de côté. Emboîter le pas de ceux qui les ont précédés.  De quoi faut-il se délester pour trouver son propre chemin ? Qu’est-ce qui rapproche les individus ? Qu’est-ce qui les sépare ? Les questions qui traversent cette épopée chorégraphique sont d’une actualité brûlante.

Le dimanche, presque toutes les danseuses (surtout) et danseurs d’Arcachon semblaient s’être donné rendez-vous sur le front de mer pour la Barre sur le port (à chacun son nom ! Le Temps d’aimer et sa gigabarre ayant créé des émules). Toutes les générations se côtoient et malgré le manque de place, chacun.e se prête avec application aux exercices demandés par Marie-Claude Pietragalla. Pédagogue, attentive, corrigeant ici et là quelques postures maladroites, la danseuse fait un carton plein. Et quand La danse des chevaliers s’élève pour accompagner les grands battements, un frisson traverse l’assemblée.

En fin d’après-midi, à la capitainerie du port, le Bal chorégraphique, imaginé par Sylvain Groud confirme combien danser ensemble est un acte rassembleur qui libère. Pendant près de deux heures, des amateur.rices, dont deux en fauteuil roulant, prennent part à une création collective débordante d’une énergie communicative et salvatrice. Sur une quinzaine de tubes iconiques mixés par une DJ, un happening festif prend forme sous nos yeux. Difficile de ne pas se joindre à cette chorégraphie collective (j’avoue, j’ai cédé). Entre lâcher prise et exigence artistique, l’histoire qui se construit entre Sylvain Groud, ses  interprètes et les habitant.e.s d’Arcachon constitue un moment de défoulement orchestré beau à regarder et à partager.

La Leçon – Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault

Ce n’est pas la première œuvre de Ionesco à laquelle s’attaquent Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault. Dix ans après Les chaises et M. & Mme Rêve, tous deux ont choisi d’adapter ce “drame comique“, ainsi que le présentait son auteur, qu’est La Leçon. Il est ici question de la relation entre un professeur excentrique et sa jeune élève qui va tourner au meurtre. Soit à la fois une satire burlesque de l’enseignement, et une critique à l’égard du pouvoir dictatorial. On peut comprendre leur envie de s’attaquer à cette œuvre (au passage toujours visible au théâtre de la Huchette à Paris dans sa mise en scène de création !). Dénoncer l’absurdité de la vie et des rapports sociaux, mais surtout les rapports de domination psychologique et physique entre un maître et son élève à travers un univers parodique offre une matière à danser qui résonne avec des thèmes toujours d’actualité, notamment dans le milieu chorégraphique.

Rien à redire sur l’interprétation. Elle est impeccable. Julien Derouault donne corps et voix aux excès de cet enseignant avec beaucoup de charisme et d’ambiguïté. Autour de lui, les jeunes interprètes de la compagnie se lancent dans cette comédie qui vire à la mascarade avec énergie. Ils s’approprient la démesure de ce texte. Toutefois la chorégraphie, malgré quelques beaux moments d’unisson, déçoit par son côté répétitif. On attend l’étincelle, en vain. Et si l’escalade verbale s’impose, la danse aurait dû suffire pour dépeindre le climat de tension qui va crescendo.  Ce qui interroge surtout, c’est l’absence de prise de recul face à au dénouement de la pièce qui est tout de même, ce qu’à l’époque de Ionesco on ne qualifiait pas encore de la sorte, un féminicide. La dénonciation au-delà de celle contenue dans les mots manque à ce spectacle, au final peut-être un peu trop respectueux de l’œuvre du dramaturge.

La Leçon – Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault

Festival Cadences 2022 à Arcachon.

Anopas de Soria Rem et Medhi Ouachek, Cie Art Move Concept. Avec Simhamed Benhalima, Lucie Dubois, Manon Mafrici, Kevin Mischel, Jackson Ntcham, Artëm Orlov, Mehdi Ouachek, Soria Rem, Inès Valarcher. Samedi 24 septembre 2022 au Théâtre Olympia. À voir à Bron (69) le 11 octobre et en tournée.

À bientôt de Johana Malédon par la compagnie Mâle. Avec Hanaë Ferloni, Natacha Gourvil, Margot Libanga, Johana Maledon, Sarah Mendoza. Dimanche 25 septembre 2022 au Théâtre de la mer. À voir les 8 et 9 décembre au théâtre Romain Rolland de Villejuif dans le cadre du Festival Kalypso.

Bal chorégraphique de Sylvain Groud. Dimanche 25 septembre 2022 à la Capitainerie du port.

La Leçon. Chorégraphie, mise en scène : Marie-Claude Pietragalla, Julien Derouault. Avec Julien Derouault, Caroline Jaubert, Clara Béral, Amélie Lampidecchia, Solène Messina Ernaux, Robin Sallat, Antonin Vanlangendonck. Dimanche 25 septembre 2022 au Théâtre Olympia.  À voir du 14 octobre au 3 décembre au Théâtre de la Madeleine à Paris.

 



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