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Ballet de Lorraine – Loïc Touzé et Maud Le Pladec

Comme son directeur Petter Jacobsson a coutume de le faire, pour son premier programme de la saison, le Ballet de Lorraine proposait une soirée mettant en présence deux chorégraphes aux parcours et aux visions très distinctes. Une juxtaposition fructueuse qui permet de confirmer une nouvelle fois combien cette compagnie excelle à s’approprier des esthétiques différentes. D’un côté, NO OCO de Loïc Touzé, pièce sobre et sans effets de manche, saisit par son austérité poétique. À l’opposé, Static Shot de Maud Le Pladec présentée quelques semaines auparavant à la Nuit Blanche de Paris, emporte par sa fougue et sa débauche d’énergie. Une soirée entre ombre et lumière qui séduit par son exigence.

NO OCO de Loïc Touzé – Ballet de Lorraine

Cela fait un moment que le travail a été amorcé entre les artistes du Ballet de Lorraine et Loïc Touzé. Pandémie oblige, la création de NO OCO a été repoussée à ce début de saison 2022-2023. C’est à une sorte de communion à laquelle nous convie le chorégraphe. Le spectacle commence alors que les lumières de la salle ne sont pas encore éteintes. Au début, personne ne bouge vraiment. Quelques-uns se figent. D’autres avancent vers le devant de la scène. Chaque pas semble infime, mais participe à faire converger chaque individu vers le groupe.

J’ai compris que la danse apparait volontiers à la seule condition que le danseur, lui, se retire, comme s’il n’y avait pas assez de place pour la danse et le danseur en même temps. Ce paradoxe est, pour un interprète, sans aucun doute la chose la plus difficile à réaliser.” peut-on lire dans la note d’intention rédigé par Loïc Touzé. Elle éclaire sur ce qui se joue sur cette scène. NO OCO signifie en creux en portugais, cet espace qui empêche les gens de se rapprocher les uns des autres. Il y a comme fil rouge de cette pièce l’incapacité à faire corps. Comment s’appuyer les uns sur les autres pour trouver une unité sans pour autant y parvenir ? Chacun.e est tendu vers l’autre mais demeure seule.e.

La lenteur de NO OCO la rend peut-être difficile d’accès, certain.e.s la jugeront même aride, mais il s’en dégage quelque chose de très puissant qui dépasse le cadre des murs du théâtre. Sa construction saute au visage sans pour autant qu’elle soit parfaitement lisible de prime abord. C’est assurément une pièce qui mérite d’être revue pour l’appréhender comme elle doit l’être. De mieux comprendre ce qui circule entre les danseurs et les danseuses, cette alchimie qui transforme une suite de gestes en chorégraphie.

Static Shot de Maud Le Pladec – Ballet de Lorraine

Ensuite, il faut bien un entracte, pour les interprètes comme pour le public, pour passer à gué entre les deux pièces. Encore sous l’émotion du fado chanté en fin de NO OCO, la musique électro de Static Shot nous percute et nous fait entrer de plain-pied dans un tout autre univers. Un chaud-froid chorégraphique déroutant et très séduisant. Même s’ils sont rompus à ce type d’exercice, big up pour les danseurs et danseuses de la compagnie qui endossent le costume avec autant de talent et de plasticité !

Au minimalisme de la première pièce s’oppose ainsi une surabondance gestuelle certes très répétitive et très intense. Ce qui frappe dans le mouvement ad libitum et quasi mililitaire de ces corps qui semblent exécuter le même pas, ce sont les infimes disparités qui donnent du relief à la composition. Là, un pied s’attarde une seconde de plus en arrière. Ici, un bras se fait plus tranchant. L’ensemble est réglé au cordeau mais chacun insuffle sa façon d’être au plateau. Mon regard se surprend à bloquer sur une robe jaune ou un débardeur pailleté (formidables costumes de la maison Koché). Puis à continuer sa course comme subjugué.

Mais attention, Static Shot n’est pas qu’une débauche tapageuse de mouvements. Bien sûr, la pièce est jalonnée de clins d’œil, de Bob Fosse à Beyoncé. Il y a du Chorus Line et du Run the World dans cette façon de se déhancher et de bouffer l’espace. Mais, derrière l’apparent bling-bling se jouent peut-être les mêmes difficultés à faire groupe, à trouver une cohésion, à aller à la rencontre de l’autre si semblable et si autre. Ne nous y trompons pas et saluons la pertinence d’avoir associé ces deux pièces en une seule soirée !

Static Shot de Maud Le Pladec – Ballet de Lorraine

Programme 1 du Ballet de Lorraine à l’Opéra National de Lorraine à Nancy. NO OCO de Loïc Touzé et Static Shot de Maud Le Pladec par les interprètes de la compagnie. Jeudi 20 octobre 2022.

 



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