TOP

Neighbours – Brigel Gjoka et Rauf “RubberLegz” Yasit

C’est sur la dernière création de William Forsythe, A Quiet Evening of Dance, que ces deux danseurs venus d’univers stylistiques différents se sont rencontrés. L’albanais Brigel Gjoka, pilier de la Forsythe Company et l’allemand Rauf “RubberLegz” Yasit, star du breaking aux États-Unis, se sont lancés dans l’aventure d’une création collective, avec la collaboration du musicien Rusan Filiztek et la complicité de William Forsythe, qui a posé un oeil bienveillant sur ce dialogue entre ces deux danseurs. À la fois interprètes et chorégraphes de leurs propres mouvements, ils présentent une pièce intitulée Neighbours (voisins en français) qui fait converger des origines et des univers différents dans un long duo alliant sensualité et virtuosité, dans lequel on retrouve l’influence tutélaire de William Forsythe.

Brigel Gjoka et Rauf “RubberLegz” Yasit- Neighbours

C’est l’histoire d’un coup de foudre entre deux artistes qui ont vécu sur scène un long voyage autour de la terre avec le spectacle A Quiet Evening of Dance, exploration drôle et géniale de William Forsythe révisant à sa manière l’histoire de la danse, du baroque au hip-hop. À l’issue de cette longue tournée triomphale, Brigel Gjoka et Rauf “RubberLegz” Yasit ont voulu jouer les prolongations sur un format plus modeste : à deux dans un studio accompagné par le musicien Rusan Filiztek. Là ont débuté les difficultés. Danser sous la direction de William Forsythe, c’est se mettre au service de son génie chorégraphique. “Honnêtement, le début a été très compliqué “, reconnaît Rauf “RubberLegz” Yasit. William Forsythe avait construit un arc de l’histoire de la danse en mettant à profit les qualités spécifiques des artistes qu’il avait choisis. Il s’agissait cette fois d’inventer une autre conversation entre deux danseurs virtuoses aux styles très disparates. Brigel Gjoka, danseur contemporain, est un pur produit de la Forsythe Company qu’il avait rejointe en 2011. Rauf “RubberLegz” Yasit, allemand d’origine kurde, champion de breaking dance, a brûlé l’asphalte et les planches aux États-Unis où William Forsythe l’avait repéré. Quoi de plus enthousiasmant que de voir ces deux virtuoses aux techniques si différentes, construire une partition à quatre mains et quatre jambes, en évitant l’écueil de paraphraser le maître ? Ils n’y parviennent cependant pas tout à fait.

Tout débute dans la pénombre, l’un derrière l’autre dans un jeu coordonné de bras qui pose l’équation à résoudre : bâtir ensemble un corpus de gestes qui se jouerait tour à tour à deux, en solo, en dialogue ou en miroir. Cette première partie a capella, avec le seul bruit du souffle, nous mène en terrain connu. On y retrouve l’art et la manière de William Forsythe : ce goût pour les accélérations et les ralentis, ce sens du détail dans la recherche du geste juste. On s’amuse avec les danseurs sur le plateau car l’humour est aussi  de la partie. Brigel Gjorka et Rauf “RubberLegz” Yasit cherchent et trouvent des enchaînements où leurs corps s’entrelacent au sol, parfois noués l’un à l’autre. Ils sont l’un et l’autre facétieux avec ces séquences où chacun tente, et parvient, à s’emparer de la phrase chorégraphique de l’autre pour la traduire dans son propre savoir-faire.

Brigel Gjoka et Rauf “RubberLegz” Yasit – Neighbours

Ce dialogue où chacun fait écho à la proposition de son partenaire est une réussite totale et un moment réjouissant du spectacle. Mais le récit semble s’enliser, risquant de se transformer en exercice de style plaisant mais formel. Cette première partie s’achève sur un goût de trop peu et d’inachevé. C’est alors qu’intervient Rusan Filiztek, présent sur scène depuis le début pour nous signaler qu’au silence succèdera la musique. Venu de Turquie, alliant ses propres compositions aux mélodies traditionnelles, aux cordes, aux percussions, au chant, il emplit l’espace et redonne du tonus au spectacle, faisant le pont entre les cultures des deux danseurs, des Balkans de Brigel Gjoka aux racines kurdes de Rauf “RubberLegz” Yasit.

En prélude à cette seconde partie, une scène aussi brève qu’intense montre Brigel Gjoka caché dans un grand tissu de tulle blanc qu’il enlève. Comment ne pas  voir dans ce dévoilement un geste en hommage à la révolution des femmes iraniennes ? Cette séquence a-t-elle été ajoutée ou était-elle prémonitoire ? Viennent enfin le chant et la musique de Rusan Filiztek qui prennent alors le pas sur la danse. Il redonne au spectacle la  profondeur de champ qui lui manquait

Brigel Gjoka et Rauf “RubberLegz” Yasit – Neighbours

Neighbours de et avec Brigel Gjoka et Rauf “RubberLegz Yasit, en collaboration avec William Forsythe. Musique : Rusan Filiztek. Mercredi 23 novembre 2022 à Chaillot Théâtre National de la Danse  avec le Festival d’Automne. À voir en tournée le 3 décembre 2022 au Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France, le 28 mars 2023 à l’Opéra de Lille et les 16 et 17 mai 2023 au Théâtre de Liège (Belgique).  

 




 

Poster un commentaire