TOP

Festival d’Automne – Un portrait de Marlene Monteiro Freitas

Le Festival d’Automne 2022 a mis en valeur le riche travail de Marlene Monteiro Freitas, avec huit propositions couvrant tout le spectre de l’artiste Cap Verdienne. Théâtre, danse, installations plastiques, la chorégraphe refuse de s’enfermer dans un quelconque format et construit une œuvre totale dont la musique est le dénominateur commun. Ce portait aura permis de revoir Bacchantes, Prélude pour une purge (2017), carnaval dansé et déjanté, son plus grand succès public à ce jour. Mais aussi de découvrir sa vision du Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg et de déguster un drôlissime mano a mano intitulé RI TE Paris intermission avec Israel Galván et son flamenco de rupture. Consécration méritée pour Marlene Monteiro Freitas, reine absolue de l’in-discipline.

Bacchantes, Prélude pour une purge de Marlene Monteiro Freitas

Ce format des Portraits du Festival d’Automne est un vrai bonheur de spectateur. Il permet au public aguerri de revoir des pièces qui, bien que récentes, ont fait date et ont déjà évolué. Pour les plus novices, de les découvrir. Et pour tous de se frotter à la nouveauté des créations. Les huit pièces du portrait Marlene Monteiro Freitas proposées par le festival en 2022 s’inscrivent dans ce projet : Une démarche entre découverte et rétrospective, selon son directeur Emmanuel Demarcy-Mota. Marlene Monteiro Freitas ne revendique pas cependant ce focus comme une anthologie mais y voit un autre regard rendu possible par un certain nombre de pièces dans un temps condensé “. L‘artiste n’est pas une inconnue pour le public français. Elle fut déjà invitée par le Festival d’Automne et Montpellier Danse avait présenté sa création Canine Jaunâtre pour la Batsheva Dance Company en 2018. L’année précédente, on découvrait Bacchantes, Prélude pour une purges, succès phénoménal qui ne s’est jamais démenti avec une tournée colossale et ininterrompue en Europe, au Japon et aux États-Unis.

Et on ne peut imaginer meilleure entrée en matière que Bacchantes, Prélude pour une purge dans l’œuvre de Marlene Monteiro Freitas. Tous les déterminants de son travail y sont concentrés :  le grotesque comme un pas de côté, des costumes qu’elle a elle-même imaginés : bermudas blancs ou bleus, chaussettes montantes, gants le plus souvent à une seule main, toute une esthétique vestimentaire qui refoule le beau au profit du loufoque. Et sur scène un bric-à-brac composé d’un entrelacs de micros ou de sièges inconfortables. Nulle ne s’y entend mieux que Marlene Monteiro Freitas pour installer sur scène un univers qui absorbe par son incongruité. Le spectacle débute ainsi par une drôle de fanfare qui descend du haut de la salle, concert de trompettes à la fois joyeuses et inquiétantes, prélude à un carnaval postmoderne gigantesque, bacchanale en écho aux orgies dionysiaques de la pièce d’Euripide.

Bacchantes, Prélude pour une purge de Marlene Monteiro Freitas

La tragédie grecque sert surtout de tremplin à Marlene Monteiro Freitas pour faire défiler des séquences résolument clownesques mais chorégraphiées avec précision. Les 13 danseuses, danseurs, musiciennes et musiciens secouent le public sans le prendre à rebrousse-poil. La radicalité de Marlene Monteiro Freitas n’a rien de cérébrale, elle est diaboliquement incarnée. Elle nous mène jusqu’au final, deus ex machina avec un Boléro de Ravel dansé par la troupe au complet faisant se lever la salle tout uniment. Cela fait cinq ans que Bacchantes, Prélude pour une purge font le tour du monde et il ne semble pas devoir se terminer de sitôt.

On repère cet univers singulier de Marlene Monteiro Freitas dans sa mise en scène du Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg. Elle nous aide à pénétrer dans la musique atonale du compositeur viennois, moins facile d’accès, grâce à un dispositif drôle et ingénieux : un parallélépipède sur deux niveaux, servant de fosse d’orchestre pour les interprètes du Klangforum Wien et la chanteuse Sofia Jernberg sous la direction d’Ingo Metzmacher. Musiciens et musiciennes entrent, errant dans cet espace, apostrophant le public. Le piano est en morceaux et désarticulé. Affublée de chasubles, Marlene Monteiro Freitas ne cesse de faire bouger les interprètes, insufflant un mouvement perpétuel à ce cycle de poèmes écrit par Albert Giraud et superbement interprétés par Sofia Jernberg dans leur version allemande. On regrette qu’un sur-titrage n’ait pas été prévu pour goûter pleinement ce Pierrot Lunaire extravagant.

Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg – Mise en scène Marlene Monteiro Freitas

Ce Portrait avait pour point d’orgue un face-à-face entre Marlene Monteiro Freitas et Israel Galván. Ce dernier a toujours aimé se frotter à d’autres savoir-faire que le sien. L’affiche suffit déjà à faire saliver. Croiser ainsi deux artistes ancrés dans une recherche stylistique radicale est une promesse alléchante. Le résultat ne déçoit pas. Présenté comme un travail de répétition et montré dans le studio de l’Espace Cardin, ce dialogue entre monstres sacrés est un régal. Un fond de scène en contreplaqué orné d’un néon, deux chaises posées au sol, ils s’amusent à pénétrer dans l’univers de l’autre. Israel Galván a revêtu chemise et pantalon blanc que l’on imagine dessinés par Marlene Monteiro Freitas. Bottines jaunes pour lui, bleues pour elle, un gant  à la main droite et le tour est joué. Intitulé RI TE Paris intermission, ce mano a mano est une mise en dérision en miroir l’un de l’autre. Marlene s’essaye avec bravoure et talent au zapateo flamenco quand Israel s’initie brillamment aux grimaces clownesques chères à la chorégraphe. On espère que ces deux artistes parviendront à trouver le temps de poursuivre cette aventure qui est davantage qu’un exercice de style.

Encore une fois le Festival d’Automne nous a offert une saison danse exceptionnelle, entre ce riche portrait dédié à Marlene Monteiro Freitas mais aussi un focus sur Noé Soulier. Deux chorégraphes exigeants, soucieux de bâtir une œuvre. En 2023 leur succèderont le chorégraphe américain Trajal Harrell. On en salive d’avance !

Israel Galván et Marlene Monteiro Freitas

Portrait Marlene Monteiro Freitas proposé par le Festival d’Automne.

Pierrot Lunaire de Marlene Monteiro Freitas avec le Klangforum Wien dirigé par Ingo Metzmacher et Sofia Jernberg (chant). Samedi 26 novembre 2022 à la Grande Halle La Villette. 

Bacchantes, prélude pour une purge de Marlene Monteiro Freitas avec Andreas Merk, Cláudio Silva, Flora Détraz, Gonçalo Marques, Henri “Cookie” Lesguillier, Hsin-Yi Hsiang, Johannes Krieger, Lander Patrick, Marlene Monteiro Freitas, Micael Pereira, Miguel Filipe et Tomás Moital, Yaw Tembe. Jeudi 1er décembre 2022 au 104. 

RI TE Paris Intermission de et par Marlene Monteiro Freitas et Israel Galván. Vendredi 16 décembre 2022 à l’Espace Cardin.  




Poster un commentaire