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Les Ballets de Monte-Carlo – Faust de Jean-Christophe Maillot

Le mois de décembre, temps fort pour les Ballets de Monte-Carlo, s’est achevé au Forum Grimaldi avec la reprise de Faust, ballet créé par Jean-Christophe Maillot en 2007, rarement programmé depuis. C’est donc pour beaucoup une découverte, et pour la compagnie un travail colossal avec des distributions totalement renouvelées. Le chorégraphe français, maître du ballet narratif, s’écarte de son goût pour le récit au profit d’une série de scènes oniriques construites sur la Faust-Symphonie de Franz Liszt. Aux personnages de Faust, Marguerite et Méphistophélès, Jean-Christophe Maillot ajoute l’incarnation de la Mort qui devient la figure centrale du ballet. Solistes au top et compagnie itou ! Avec Faust, les Ballets de Monte-Carlo prouvent une nouvelle fois qu’ils demeurent une compagnie d’excellence dirigée par le chorégraphe classique français le plus créatif d’aujourd’hui.

Faust de Jean-Christophe Maillot – Laura Tisserand et Ashley Krauhaus

Jean-Christophe Maillot n’était pas en terre inconnue lorsqu’il aborda Faust avec les Ballets de Monte-Carlo en 2007. Il venait de mettre en scène l’opéra de Charles Gounod à Wiesbaden, labourant toutes les versions littéraires du mythe de Faust dont les origines remontent au XVIe siècle. Le dramaturge britannique Christopher Marlowe en livra ainsi une adaptation dont s’inspira Goethe. Ce fut l’œuvre de toute une vie pour l’écrivain allemand et son Faust inspira aussi bien Gounod qu’Hector Berlioz pour son chef-d’œuvre La Damnation de Faust. Mais Jean-Christophe Maillot cherchait une autre partition. Il envisagea une création contemporaine qui ne put aboutir. C’est alors qu’il découvre la Faust-Symphonie de Franz Liszt, très rarement interprétée et qui offrait un matériau musical idéal pour un ballet, permettant de construire une série de scènes oniriques explorant les aspects métaphysiques du mythe de Faust : la promesse d’une connaissance universelle en échange de son âme, l’amour impossible pour Marguerite qui commet un matricide et un infanticide et que Faust ne pourra sauver ni du déshonneur ni de la mort. Le chorégraphe y ajouta une composition contemporaine de son frère Bertrand Maillot.

Faust de Jean-Christophe Maillot – Les Ballets de Monte-Carlo

L’œuvre de Goethe est aussi passionnante que touffue. Jean-Christophe Maillot évite l’écueil d’une narration exhaustive pour livrer la quintessence du mythe de Faust : la recherche vaine de la connaissance universelle entravée par la finitude de la vie, le fantasme de l’éternel féminin. Méphistophélès n’est au fond que le miroir que l’on nous tend, celui des compromissions que l’homme est prêt à commettre pour parvenir à ses objectifs.

C’est là que s’impose comme une évidence une figure qui n’existe dans aucune des versions de Faust : celle de la Mort qui, dans la rédaction de Jean-Christophe Maillot, vole la vedette au rôle-titre. Elle apparaît dès le prélude du ballet à l’avant-scène, à jardin, marchant lentement moulée dans un justaucorps noir, les mains prolongées par des ongles hypertrophiés. Aussi effrayante qu’attrayante et dotée d’une forte charge érotique. Les photos du programme sont là pour nous rappeler que Bernice Coppieters créa le rôle. Celles et ceux qui l’ont vue en 2007 vous confieront sous le sceau du secret qu’elle est indépassable dans ce personnage. On veut bien les croire mais l’ancienne soliste vedette des Ballets de Monte-Carlo a transmis son savoir-faire et tout ce qu’elle a pu construire pour ce rôle à cette nouvelle distribution. Laura Tisserand offre ainsi une prestation remarquable. Élancée, infaillible sur ses pointes, dotée d’un jeu de bras suave et doucereux qui enserre ses proies, sa danse est splendide et nuancée. Nul besoin d’en faire trop pour s’imposer alors qu’elle rôde un peu partout du début à la fin. Son partenaire satanique Jaeyong An, grimé de noir et de rouge, joue un Méphistophélès pervers à souhait. Ce couple infernal est le centre de gravité du ballet. Faust et Marguerite, dansés vaillamment par Francesco Mariottini et Ashley Krauhaus, semblent être les objets manipulés et parfois envoûtés par Méphistophélès et la Mort.

Faust de Jean-Christophe Maillot – Les Ballets de Monte-Carlo

La structure symphonique de l’œuvre de Franz Liszt permet à Jean-Christophe Maillot de bâtir une pièce chorégraphique limpide de bout en bout. Le premier mouvement met en scène tous les personnages, les deux couples flanqués de quatre diables, des âmes de Faust et des esprits de Marguerite. Trois groupes bien distincts y interagissent, exposant la virtuosité chorégraphique de Jean-Christophe Maillot. Le deuxième mouvement est le moment chambriste du ballet où les deux couples interagissent, Faust cédant à la tentation homo-érotique que lui suggère Méphistophélès. Marguerite y succombe de son côté dans le baiser de la Mort triomphante du troisième mouvement.

Jean-Christophe Maillot a dédié son ballet à Maurice Béjart. Il ne faut pas y voir une réminiscence stylistique mais davantage une référence au travail spécifique du chorégraphe sur des œuvres symphoniques. Peu en France s’y sont risqués, à part Maurice Béjart. Qui reste un maître en la matière. Les danseuses et les danseurs des Ballets de Monte-Carlo se sont prêtés à l‘exercice avec musicalité, affichant comme toujours une technique impeccable. Et ces représentations de Faust terminèrent en beauté cette période festive de la compagnie, qui va bientôt repartir sur les routes. Avec en prime une invitée de choix : l’ancienne ballerine du Bolchoï Olga Smirnova, qui a quitté Moscou au début de l’invasion de l’Ukraine pour rejoindre le Het Nationale Ballet d’Amsterdam. Elle sera en 2023 l’invitée régulière de la compagnie. Dès janvier, elle sera à Séville Juliette dans la chorégraphie de Jean-Christophe Maillot. On la retrouvera en avril dans le rôle-titre de La Belle à Monaco. À ne pas manquer ! 

Faust de Jean-Christophe Maillot – Jaeyong An et Francesco Marriottini

Faust  de Jean-Christophe Maillot par Les Ballets de Monte-Carlo. Avec Francesco Mariottini (Faust), Laura Tisserand (la Mort), Jaeyong An (Méphistophélès), Ashley Krauhaus (Marguerite). Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo. Jeudi 29 décembre 2022 au Grimaldi Forum.

 



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