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Grand Théâtre de Genève – Sutra de Sidi Larbi Cherkaoui

Sidi Larbi Cherkaoui, tout nouveau directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève, a inclus dans sa première programmation la reprise de Sutra. Une pièce iconique du chorégraphe belge créée en 2008 au Sadler’s Wells de Londres avant de triompher au Festival d’Avignon de la même année. Cette oeuvre singulière dans le répertoire de Sidi Larbi Cherkaoui est née d’un voyage du chorégraphe au temple bouddhiste de Shaolin. Écrite pour 18 moines, un enfant et un danseur, dans une scénographie mobile d’Antony Gormley et une partition originale de Szymon Brzóska, Sutra est une immense vague déferlante où les arts martiaux côtoient la danse contemporaine. Une alliance d’acrobaties extrêmes et de séquences méditatives ouvrant un dialogue fertile et puissant, un pont virtuel entre des cultures et des traditions étrangères les unes aux autres. Sutra est un voyage dans l’espace et le temps sur une chorégraphie virtuose de Sidi Larbi Cherkaoui.

Sutra – Sidi Larbi Cherkaoui

À l’époque de la création de Sutra, Sidi Larbi Cherkaoui est au sommet de sa notoriété. Il enchaîne les spectacles et autant de triomphes. Zero Degrees, son spectacle en collaboration avec Akram Khan, fait le tour du monde et consacre l’art essentiel de ces deux artistes. Déjà avec ce duo, il se frotte à d’autres styles. Lui, belge aux racines marocaines, face à Akram Khan le britannique du Bengale. Ce spectacle est un marqueur dans la carrière des deux danseurs et chorégraphes. Et sans doute fut-il une étape cruciale dans la maturation de Sutra. J’étais un peu coincé dans une zone de confort où je travaillais avec des danseurs et où j’étais entouré de danseurs “, se souvient Sidi Larbi Cherkaoui en repensant à cette année 2007. Son ami, le producteur Hisashi Itoh, lui suggère de se rendre au temple de Shaolin pour rencontrer les moines, un moyen de se ressourcer et d’explorer autrement des choses qui lui sont chères telles que les arts martiaux et le yoga. Ce voyage est à la source de Sutra. Car Sidi Larbi Cherkaoui voyageur n’en reste pas moins chorégraphe. Observant leur méditation et leur pratique du kung-fu, il imagine très vite un spectacle qui serait comme une quête, un dialogue entre lui-même et les moines de Shaolin dont il tente de percer le mystère.

Sutra aurait dû être une parenthèse dans le répertoire de Sidi Larbi Cherkaoui. Cette création s’éloigne en effet de son savoir-faire habituel avec en scène un seul danseur, lui-même à la création, un enfant et 18 moines. Ce n’est pas le format auquel est habitué son public. Paradoxalement, c’est l’un de ses plus grands succès. Sutra a voyagé dans 33 pays, 83 villes, réunissant 250.000 personnes ce qui le place dans les toutes premières places du palmarès des spectacles de danse contemporaine. Et quinze ans après, il n’a rien perdu de sa force initiale. Bien au contraire.

Cette reprise au Grand Théâtre de Genève nous replonge avec bonheur dans ce monde singulier imaginé par Sidi Larbi Cherkaoui. Sutra doit beaucoup au plasticien britannique Antony Gormley qui a conçu une série de vingt caisses en bois d’un mètre 80 de haut sur 60 centimètres de large et de profondeur. Elles se font tour à tour estrades, cercueils, colonnades qui ouvrent des coursives, bibliothèques où se rangent les moines qui les manipulent avec dextérité. Au commencement, il y a l’enfant, acrobate accompli malgré son jeune âge, espiègle tel un trait d’union entre l’homme occidental et les 18 moines de Shaolin. Entre pleins et déliés, fureur et silence, ils exhalent une force superlative où le combat collectif ou singulier est au centre tel un rituel masculin.

Sutra – Sidi Larbi Cherkaoui

Sutra débute tout en douceur dans une atmosphère zen et ouatée. À l’arrière-plan, juchée sur l’estrade de bois, une démonstration solo au sabre et déjà ce sont deux mondes qui se font face.  Derrière la scène, le rideau laisse deviner le quintette composé d’un clavier, de percussions et de cordes. La partition de Szymon Brzóska évite le piège de l’exotisme : cela coule, alternant séquences mélancoliques et épisodes percussifs à l’image de ce que l’on voit sur scène. Sidi Larbi Cherkaoui construit sa chorégraphie en se moulant sur le mouvement naturel des moines du temple de Shaolin. Il se fond dans leur gestuelle : parfois très ritualisée à l’image de l’art du Kung Fu et le maniement du bâton, violente dans les scènes de combat réglées tel un rituel. À la clef se niche leur virtuosité acrobatique, sauts périlleux, cabrioles, chutes dont le spectacle n’est jamais avare.

Dans ce dédale se glissent deux enfants saisissants d’agilité, et l’homme occidental qui vagabonde. Et qui tente un dialogue qui ne s’établit jamais tout à fait, semblant s’interroger en permanence. Sidi Larbi Cherkaoui était cet homme-là lors de la création, accentuant l’aspect introspectif et autobiographique de Sutra. Aujourd’hui, Andrea Bou Othmane lui succède mais le spectacle garde la même vigueur. Dans cette quête vers une civilisation autre, on retrouve un élan universel, résolument humaniste. Aurons-nous mieux compris ce qu’est leur vie, ce qui les anime au plus profond d’eux-mêmes ? Ce n’est pas certain mais voir Sutra c’est un peu comme partir en voyage en terre lointaine. À défaut d’obtenir toutes les réponses, on revient avec les bonnes questions. 

Sutra – Sidi Larbi Cherkaoui

Sutra de Sidi Larbi Cherkaoui, scénographie d’Antony Gormley, musique de Szymon Brzóska. Avec Andrea Bou Othmane et les moines du temple de Shaolin. Samedi 18 février 2023 au Bâtiment des Forces Motrices du Grand Théâtre de Genève.  




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