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Centre National de la Danse de Pantin – Exposé-es

Le Centre National de la Danse de Pantin et le Palais de Tokyo s’associent pour l’événement Exposé-es, mêlant expositions, spectacles et performances, qui questionne les années SIDA et leur impact sur les artistes. Et particulièrement les danseurs. Un ensemble qui interroge ainsi la vulnérabilité du corps, mais aussi sur la manière dont cette sinistre épidémie a modifié son approche. Le plasticien et danseur guadeloupéen Jimmy Robert décline cette problématique dans l’exposition Pausing au CND, en miroir d’une série de spectacles et de performances. L’on y retrouve deux figures emblématiques de ces années SIDA : la sud-africaine Robyn Orlin vivant dans un pays décimé par l’épidémie, et le danseur et chorégraphe français Dominique Bagouet, emporté par la maladie en 1992. Deux oeuvres fortes sont au programme : We must eat our suckers with the wrapper on…#Variation 1 (Robyn Orlin, 1991) et Jours étranges (Dominique Bagouet, 1990). Deux pièces contemporaines créées il y a plus de 20 ans et qui résonnent toujours dans le monde d’aujourd’hui.

Jimmy Robert – Plié

Le monde de la danse a payé un lourd tribut à l’épidémie de SIDA. On se souvient de Rudolf Noureev disparu en 1993 après avoir monté dans un ultime effort La Bayadère dont il rêvait à l’Opéra de Paris. Jorge Donn, mort quelques mois plus tôt à l’âge de 45 ans. Dans cette triste constellation figure le plus doué des chorégraphes de sa génération : Dominique Bagouet, disparu lui aussi en 1992 à seulement 41 ans. D’autres ont survécu tel l’américain Bill T. Jones (71 ans), lui-même séropositif et dont le compagnon est mort du SIDA. Son œuvre est nourrie des questions suscitées par la maladie, la peur, la mort, la perte d’être chers stoppés en plein vol. Alors que le monde se remet à peine d’une autre pandémie, Exposé-es tombe à point. Ne serait-ce que parce que le SIDA n’a pas disparu. Certes, la recherche a fait des pas de géant et les trithérapies ont enlevé l’arrêt de mort qui menaçait chaque personne infectée. Mais le mal est toujours là. Presque rien n’a changé (en Afrique du Sud)”, s’insurge Robyn Orlin. “Le gouvernement refuse de voir les problèmes que pose le SIDA et ne fait rien pour éduquer ni sensibiliser la population. La honte empêche tout échange sur la question”.

Une excellente raison pour revisiter We must eat our suckers with the wrapper onde la chorégraphe. Créée il y a 22 ans, cette pièce mettait en exergue les manquements coupables des autorités sud-africaines dans sa gestion d’une épidémie qui endeuillait ce pays comme nulle part ailleurs. En dépit du contexte éprouvant de l’époque, alors que la mort rôdait un peu partout, Robyn Orlin imaginait une pièce gorgée d’espoir et d’humour. Elle en propose aujourd’hui une variation plus brève, un solo conçu avec la danseuse Mosie Mamaregane. La chorégraphe conserve un dispositif identique : une caméra suspendue en plongée surplombant la danseuse, telle une épée de Damoclès, dont l’image est projetée sur quatre écrans qui l’entourent. Le public, assis à terre, l’encercle alors qu’elle trône au centre engoncée dans une chasuble rouge vif qui la dissimule. Peu à peu, elle s’ouvre au public et chacune ou chacun est invité à prendre un bout des interminables traînes de sa robe écarlate. Ainsi il n’y a plus qu’un groupe, unique, solidaire, partageant un destin commun comme un manifeste contre la discrimination dont furent victimes les malades du SIDA , les communautés noires ou homosexuelles stigmatisées, celle des junkies aussi considérés comme des parias. Robyn Orlin et Mosie Mamaregane nous rappellent aujourd’hui que la lutte continue, comme le criaient les danseuses et les danseurs il y a 20 ans.

 We must eat our suckers with the wrapper on ( production de 2001) de Robyn Orlin

Dominique Bagouet a éprouvé dans sa chair la maladie. En 1990, lorsqu’il crée Jours étranges, le SIDA qui finira par l’emporter, le ronge. Il n’y a pourtant rien de mortifère dans cette pièce ludique, à défaut d’être joyeuse. Sa structure est assez particulière et peu conforme aux méthodes de travail de la compagnie de Dominique Bagouet. Le chorégraphe, qui écrivait tout scrupuleusement, a demandé aux danseuses et aux danseurs d’improviser sur le thème du jeu. Catherine Legrand, interprète historique de la compagnie, a collaboré comme assistante à la création de Jours étranges. Elle est partie intégrante de ce processus créatif et remonte la pièce avec bonheur pour différents interprètes.

La structure apparente en est simple : trois danseurs et trois danseuses très dissemblables physiquement dans leurs vêtements de tous les jours, pas de décor. Deux diagonales et on s’interpelle de part et d’autre comme pour régler la chorégraphie qui se joue devant nous, avec comme musique cinq titres de l’album des Doors Strange Days intercalés de silence. Il y a là une vision psychédélique d’un clubbing nappé d’humour noir, une manière solitaire de danser, une atomisation des individus. On se touche moins, on se frôle à peine, le monde s’est désintégré : “Je me souviens de ces soirées à tendance ‘beatnik’, bercées par la voix chaude de Jim Morrison, le climat de ces ‘Strange Days’ correspondait parfaitement au désarroi de notre adolescence”, écrivait Dominique Bagouet dans sa note d’intention en juillet 1990.

Le plasticien et danseur français Jimmy Robert n’appartient pas à la génération SIDA. Mais noir, homosexuel, son univers artistique est nourri de cette problématique. “Au pic de la crise du SIDA, les femmes et les lesbiennes en particulier comptaient parmi les rares individus qui osaient toucher des corps d’hommes gay mourants, la plupart dans un grand isolement…”, écrit Jimmy Robert en exergue du catalogue de son exposition Pausing. Il y explore la manière dont des images ou des sculptures peuvent devenir chorégraphies. C’est un autre prisme pour observer une épidémie qui continue à hanter le monde. 

Jours étranges de Dominique Bagouet 

Exposé-es.

Jours étranges de Dominique Bagouet remonté par Catherine Legrand, avec Yann Cardin, Meritxell Checa Esteban, Elise Ladoué, Théo Le Bruman, Louis Macqueron, Annabelle Pulcini. Samedi 25 mars 2023 au CND Pantin. 

We must eat our suckers with the wrapper on…Variation#1 de Robyn Orlyn, avec Mosie Mamaregane. Samedi 25 mars 2023 au CND Pantin.*

Pausing- exposition de Jimmy Robert, à voir au CND Pantin et au Palais de Tokyo de Paris jusqu’au 13 mai 2023

 




 

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