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Batsheva Dance Company – Momo d’Ohad Naharin

Pour sa nouvelle création Momo, portée par 11 danseuses et danseurs de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin est comme toujours au sommet de l’excellence. Le chorégraphe israélien parvient à renouveler son propos tout en restant fidèle à son esthétique et au style gaga dont il est l’inventeur, basé sur un lâcher-prise et une dé-coordination du corps. Mais il écrit cette nouvelle chorégraphie avec un tempo apaisé, convoquant pour les musicien-ne-s américain-e-s Laurie Anderson et Philip Glass. Porté par une troupe splendide et nimbé dans une magnifique lumière tamisée, Momo est un spectacle qui s’inscrit dans l’histoire de l’oeuvre d’Ohad Naharin. Sans s’auto-citer, mais en remixant les axes fondamentaux de son travail, il conçoit une pièce impeccablement construite, offrant une absolue liberté aux interprètes.

Momo d’Ohad Nharin – Batsheva Dance Company

La Batsheva est aujourd’hui l’une des compagnies de danse contemporaine les plus populaires à l’échelle de la planète. Ce succès mondial, la compagnie le doit à Ohad Naharin. Depuis plus de 30 ans, il bâtit un répertoire exigeant et populaire, fondé sur un style, le Gaga, défini par son inventeur comme “un langage du mouvement développé  qui permet de se connecter à l’existence sensorielle, de stimuler et de renforcer le corps, et de trouver la liberté et le plaisir dans le mouvement“. Sensualité, liberté, plaisir : c’est une triade qui embrasse l’ensemble des créations d’Ohad Naharin, plus d’une trentaine depuis 1990.

Momo, sa nouvelle création, ne fait pas exception, bien que cette création marque une étape particulière dans le travail du chorégraphe. Plus encore qu’à l’accoutumée, Ohad Naharin a sollicité les onze danseuses et danseurs pour concevoir cette pièce. Autre spécificité : Ohad Naharin, compositeur de nombre de ses créations, cède ici la place à l’album légendaire de la compositrice américaine Laurie Anderson et du Kronos Quartet, Landfall, écrit d’après l’expérience intime de la musicienne lors de l’ouragan Sandy. Il y est question de la perte et de la disparition des êtres humains et des animaux emportés par la force d’une nature hostile et déchainée. Ce contexte n’est pas le coeur de Momo, tout juste affleure-t-il à certains moments. 

À quoi reconnaît-on un grand chorégraphe ? La réponse est multiple, mais certains éléments ne trompent pas. L’incipit comme pour toute oeuvre est fondamental. Si d’entrée on capte le public, la partie est à moitié gagnée. Or Ohad Naharin est un maître de l’ouverture. La salle est encore allumée que déjà l’on discerne au fond de la scène à jardin l’entrée subreptice de quatre danseurs masculins, pieds et torses nus, entamant une lente marche cadencée. Au moment où l’on croit qu’ils vont disparaître en coulisses, ils se retournent d’un quart de tour sec pour être face au public. Ils ne nous lâcheront pas durant les 70 minutes que dure Momo. Tel un choeur dans une tragédie antique, ils incarnent le continuum de la pièce.

Momo d’Ohad Nharin – Batsheva Dance Company

Ce quatuor forme la matrice de l’oeuvre. Ils bougent toujours ensemble, soudés dans un geste commun fraternel. Alors qu’un par un, une par une, les autres interprètes les rejoignent sur scène pour un solo que l’on pressent partiellement improvisé dans le plus pur style gaga. Ça se plie, ça virevolte en tous sens dans des costumes dépareillés, du strass doré au danseur en tutu. Se jouent alors deux partitions distinctes : un groupe résolument masculin voire masculiniste à la discipline quasi-militaire qui semble à peine interagir avec les sept autres interprètes qui expriment à l’inverse leurs individualités et leur style propre. Puis l’on voit tout à coup apparaître des barres de danse classique où chacune et chacun s’exerce telle une métaphore de la discipline. Ohad Naharin suggère ce schéma entre un ordre implacable et une absolue liberté, sans jamais pour autant imposer la moindre interprétation. Le chorégraphe pose les éléments d’un récit que le spectateur ou la spectatrice peut construire et dérouler à sa guise.

Ohad Naharin sait depuis toujours qu’une scénographie ne doit jamais encombrer la chorégraphie au risque de lui nuire. On la croirait presque absente quand on voit surgir de la pénombre un mur réalisé par Gadi Tzachor dont on comprend plus tard qu’il est conçu pour l’escalade. Il ne faudrait pas en dire trop mais ce mur devient un élément moteur de la chorégraphie introduisant une danse verticale stupéfiante. Un mot aussi de la lumière conçue par Avi Yona Bueno (Bambi) qui plonge le spectacle dans un clair-obscur, en faisant un superbe objet pictural mouvant. La danse à son zénith ! 

Momo d’Ohad Nharin – Batsheva Dance Company

Momo d’Ohad Naharin avec les danseuses et les danseurs de la Batsheva Dance Company : Chen Agron, Yarden Bareket, Billy Barry, Yael Ben Ezer, Matan Cohen, Guy Davidson, Ben Green, Chiaki Horita, Li-En Hsu, Sean Howe, Londiwe Khoza, Adrienne Lipson, Ohad Mazor, Eri Nakamura, Gianni Notarnicola, Danai Porat, Igor Ptashenchuk et Yoni (Yonatan) Simon. Lundi 27 mars au Grand Auditorium de l’Opéra de Dijon. À voir en tournée du 24 mai au 3 juin 2023 à La Grande Halle de la Villette (Théâtre National de la Danse de Chaillot hors-les-murs). 

 



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