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Paquita, du pittoresque au pictural – Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer

Paquita est un de ces ballets classiques qui naquirent à Paris au XIXe siècle mais qui n’y survécurent pas. En 2001, alors qu’il n’en restait en France que d’éparses variations, Pierre Lacotte a ravivé ce ballet qui est devenu la vitrine du savoir-faire français à l’étranger. La démarche consistait plus à “redonner vie aux choses retrouvées” qu’à laisser en l’état les vestiges exhumés, selon les mots de chorégraphe. Et quelle meilleure renaissance pour Paquita qu’une double prise de rôle par de jeunes danseur-se-s ? Si le partenariat entre Hannah O’Neill et Mathias Heymann était tout feu tout flamme, rayonnant d’aplomb et de virtuosité pyrotechnique, Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer exhalent davantage la douceur d’une espièglerie toute enfantine, fragile et touchante.

Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer - Paquita

Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer – Paquita

Pendant que l’exposition Velazquez bat son plein au Grand Palais, l’Opéra Garnier se pare également des couleurs d’une Espagne d’antan, à deux siècles d’écart. Même bleu saphir, même rouge rubis, mêmes collerettes évoquées par les plateaux des tutus. Sur toile comme sur scène, le faste de l’Empire côtoie la familiarité des tavernes. L’affiche de l’exposition est placardée dans tout Paris : L’Infante Marguerite en bleu, angélique et timide, évoque un peu l’émergence de Léonore Baulac en soliste. Résolument picturale, Paquita est également pittoresque, avec ses danses villageoises (qui rappellent l’insouciance populaire du premier acte de Giselle) et ses poncifs sur l’Espagne (nécessairement gitane, bariolée et joyeuse, farouche, fière et sanguinaire). Cet exotisme de pacotille, Marc Moreau l’accentue en conférant à son gitan Iñigo des airs d’impétueux toréador. Le ballet Paquita fait plaisir aux yeux avant de ravir l’esprit.

Mais quelle est cette jolie créature au teint délicat, aux yeux d’azur, à la chevelure dorée – rose blanche dans ce bouquets de roses rouges ? Théophile Gautier

Blonde et pâle, Léonore Baulac incarne une Paquita de porcelaine et, comme le veut le livret, une gitane de façade. Dans le premier acte, elle est piquante et effrontée à souhait comme si Camille de Fleurville – la petite fille modèle de la Comtesse de Ségur – s’était encanaillée au contact momentané de gens du voyage. Des gitans l’ont enlevée alors qu’elle était enfant et il ne lui reste de son passé que l’énigmatique médaillon d’un homme de bien. Évoluant à son aise dans son milieu d’adoption, Paquita est un modèle d’intégration. Mais au-delà de son acculturation, son sang bleu reprend souvent le dessus. C’est “la rose blanche dans ce bouquets de roses rouges” qu’évoquait Théophile Gautier à la vue de Carlotta Grisi, créatrice du rôle. Elle est parfois un peu ailleurs, un peu rêveuse, un peu en retrait, à la recherche de ses origines.

Léonore Baulac

Léonore Baulac

Lucien d’Hervilly, officier français de Napoléon, devient le réceptacle de ces aspirations. Jérémy-Loup Quer s’impose tout d’abord par de belles lignes dans son uniforme militaire. Il montre une technique prometteuse mais son interprétation n’est pas encore affirmée. Dans le lot de danses de caractères qui émaillent le ballet, les rôles principaux ont ainsi tendance à être noyés dans la masse. Au milieu de cette espagnolade virevoltante, Léonore Baulac et Jéremy-Loup Quer restent un peu trop sages et se montrent réticents à dévorer la scène à pas de géants.

Les couleurs vives du premier acte se sont estompées au profit d’étoffes pastel soyeuses, censées figurer le bon goût de la noblesse française (civilisée, elle). En conséquence, le jeu de Léonore Baulac, lumineuse et juvénile, évolue avec la révélation de son origine sociale au deuxième acte. Quand elle découvre qu’elle est la fille d’un aristocrate, Paquita semble ne pas avoir l’ombre d’une pensée vis-à-vis de ses anciens compagnons, avec lesquels elle gambadait pourtant gaiement quelques minutes auparavant. A présent vêtue convenablement – d’une robe distinguée – Léonore Baulac devient princière et romantique tout en conservant la légèreté d’une bulle dans le tutu champagne de son mariage lors du final. A ses côtés, Jérémy-Loup Quer est un partenaire attentif. Mais outre l’émotion fébrile qui les lie, l’alchimie artistique du couple n’est pas encore au sommet. La technique quant à elle est maîtrisée, malgré quelques passages délicats imputables à la fatigue de cette fin de série.

Jérémy-Loup Quer - Paquita

Jérémy-Loup Quer – Paquita

Le grand pas, apothéose du ballet Paquita, se savoure comme une cerise confite sur le gâteau. Il a surtout permis à Hannah O’Neill d’affirmer sa présence brillante sur scène, son enthousiasme débordant et sa prédilection pour les rôles de caractère. Ravissants, Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer ont plutôt fait la bouche en cœur. Comment étinceler dans le personnage de Paquita ? On dira d’une danseuse trop maniérée qu’elle n’est pas crédible en gitane. Paquita n’est pourtant pas Carmen. Trop folâtre, une autre danseuse ne serait plus crédible en aristocrate. L’arbitrage doit être subtilement opéré et l’interprétation doit être évolutive sans être manichéenne.

Laura Hecquet avait réussi à insuffler assez de malice à sa Paquita pour dévoiler un potentiel à la fois comique et autoritaire puis, en jeune fiancée, sa silhouette élancée et sa technique sobre avaient servi la métamorphose de son personnage. Hannah O’Neill et Amandine Albisson ont montré un beau tempérament ainsi qu’un charisme certain, ici employé à bon escient. Léonore Baulac est restée une fille de bonne famille, attachante et rieuse, ce qui n’est nullement contraire à l’argument.

Paquita, de Pierre Lacotte

Paquita de Pierre Lacotte

Réécrire l’Histoire“, le titre s’étale aujourd’hui – et dans un autre contexte – sur tous les journaux. De l’occupation napoléonienne de l’Espagne, dans les arts, il reste surtout en mémoire le terrifiant Tres de Mayo 1808 de Goya, à mille lieues des tableaux allègres de Paquita chorégraphiés par Joseph Mazilier. La Monarchie de juillet, alors en déclin, célébrait quelque part le règne de Napoléon Bonaparte. Peu avant la première en 1846, le ballet était d’ailleurs appelé L’Empire. A l’époque, il avait été présenté à la salle Le Peletier, comme le rappelait Pierre Lacotte en séance de travail. En 2015, Paquita est dansée au Palais Garnier, bâtiment commandé par… Napoléon III. La boucle est bouclée.

 

Paquita de Pierre Lacotte par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Léonore Baulac (Paquita), Jérémy Loup-Quer (Lucien d’Hervilly), Marc Moreau (Inigo), Pascal Aubin (Don Lopez de Mendoza), Fanny Gorse (Dona Serafina), Bruno Bouché (Le Général, Comte d’Hervilly), Marie-Solène Boulet (La Comtesse), Juliette Hilaire et Ida Viikinkoski (deux espagnoles), Pauline Verdusen, Séverine Westermann et Daniel Stokes (pas de trois). Samedi 16 mai 2015.

 

Commentaires (7)

  • Elisa

    Merci pour tous vos comptes-rendus sur ce ballet. Pour ma part, je suis allée à la représentation du 13 mai (Renavand – Magnenet/ Loup-Quer – Bézard), c’était ma première Paquita et j’avoue être sortie avec un goût d’inachevé. La blessure de Florian Magnenet, remplacé par intermittence par Jérémy Loup-Quer m’a complètement distraite, en particulier dans le Grand Pas. Je n’ai pas non plus trouvé que le couple Renavand-Magnenet rayonnait particulièrement ensemble et survolait techniquement le ballet. Cela peut s’expliquer par la blessure de l’un et la fatigue de l’autre qui enchaînait Paquita entre deux Manon. Résultat: j’en ressors un peu déçue alors que j’ai trouvé ce ballet enthousiasmant et les variations vraiment superbes (les grands sauts, wouahou!). Une mention spéciale également pour Daniel Stokes: j’ai beaucoup apprécié sa danse dans le pas de trois et dans l’acte 2.

    Je ne sais pas si vous avez pu voir cette représentation mais j’aurais beaucoup aimé avoir le retour de l’une d’entre vous (ou de lecteurs) sur cette distribution. Merci par avance.

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  • Un grand merci pour votre compte-rendu! Vos analyses sont toujours extrêmement intéressantes et bien menées.

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  • Sarah

    J’ai moi aussi assisté à la représentation du 13 et je partage votre sentiment même si j’ai finalement passé une excellente soirée. Ce ballet est, comme vous le dites, tout à fait enthousiasmant, jubilatoire même et le Grand pas grandiose. Il est vrai que les interprêtes n’étaient pas tout à fait à la hauteur techniquement, les équilibres d’Alice Renavand sont bien précaires et les 32 fouettés ratés mais elle compense par une pantomine que je trouve maîtrisée (je l’ai trouvée à ce titre brillante dans Manon). Il est vrai que Magnenet ne m’a pas laissé un souvenir imperissable, bien moins que Daniel Stokes en tout cas. Nous avons vraiment vu le même spectacle !

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  • Agnès

    J’adore aussi vos chroniques. Mais je persiste à dire que je si le corps de ballet et le pas de trois avec Florimond de la représentation de Paquita du 15 mai étaient magnfiques, les deux rôles principaux, Lénonore Baulac (qui hélas remplaçait Amandine Albisson et qui est quand même tombée dans un rôle d’étoile à l’Opéra Garnier!) et Jérémy-Loup Quer ont été une immense déception. Leurs prestations ne m’auront pas laissé un souvenir inoubliable, loin de là et j’espère ne pas trop les revoir. Je me suis déjà exprimée sur le sujet et je suis ravie de voir que vous avez manifestement eu beaucoup plus de chance le 16 mai.

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  • Agnès

    Oui, excellente idée, les matinées. Débuts de semaine, je ne sais pas car j’adore aller à l’opéra le lundi,mardi. Ou bien créer des soirées spéciales jeunes talents.
    L’Opéra m’a répondu un mail très aimable dans lequel la responsable des relations avec le public précise qu’il faut laisser les jeunes talents s’exprimer. Certes. Pas pour autant faire leurs dents sur les spectateurs. (Le billet dans Ballenaute n’était pas tendre !)
    Comme je l’ai répondu, je ne suis pas fan de la hiérarchie en général mais les étoiles et premiers danseurs d’aujourd’hui ont largement eu le loisir d’exprimer leurs talents dans des rôles adéquats avant d’accéder à des rôles phares.
    Cela dit, je suis tout à fait consciente de la diversité du répertoire du ballet de l’Opéra de Paris ce qui lui confère peut-être cette excellence unique.
    Chapitre clos: je vais revoir les Enfants du Paradis lundi et irai revoir la Fille Mal Gardée en juillet et m’en réjouis d’avance.

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