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Paris quartier d’été – Anne Teresa de Keersmaeker, Violin Phase

Entre les deux rosaces de l’église Saint Eustache, sur une estrade de sable blanc, Anne Teresa de Keersmaeker danse. Pour la voir, il a fallu faire plusieurs heures de queue. Mais l’attente était rendue moins longue par la perspective de voir cette immense artiste interpréter, à quelques mètres du public, l’une de ses pièces phare et une oeuvre majeure dans l’histoire de la danse : Violin Phase. C’est cette chorégraphie qui a lancé la carrière de la chorégraphe belge (un an avant qu’elle ne fonde sa compagnie Rosas), c’est aussi un puissant manifeste esthétique. Belle ouverture pour le festival Paris quartier d’été !

Anne Teresa de Keersmaeker, Violin Phase

Anne Teresa de Keersmaeker, Violin Phase

Cela fait trente trois ans qu’Anne Teresa de Keersmaeker danse Violin Phase. Ce court solo (de 17 minutes) constitue le deuxième mouvement de Fase, pièce composée sur la musique minimaliste de l’un des inventeurs du déphasage, le compositeur américain Steve Reich. Comme la musique, la danse d’Anne Teresa de Keersmaeker procède par répétition et accumulation de mouvements. La danseuse-chorégraphe tourne avec une précision d’horloge, sur elle-même, en cercle, d’un point cardinal à un autre, en traçant dans le sable une rosace parfaitement géométrique. Ses bras, ses pieds, jusqu’aux orientations de son regard, sont millimétrés. Et pourtant, la maîtrise du mouvement est telle qu’il semble complètement spontané, émanation corporelle de la musique. C’est ce mélange d’extrême rigueur et d’apparent relâchement qui fascine dans Violin Phase. 

Anne Teresa de Keersmaeker, Violin Phase

Anne Teresa de Keersmaeker, Violin Phase

La danse parfois se fait flamenco dans les bras, évoque les derviches tourneurs. Mais elle a aussi une dimension parodique dans le costume, robe légère offerte au vent, chaussures de petite fille et soquettes blanches, culotte blanche parfois découverte par le tournoiement. Décalage supplémentaire de cette chorégraphie, par rapport à elle-même et par rapport au temps : à quelle époque la situer ? Anne Teresa de Keersmaeker a un don pour nous faire perdre la notion du temps, comme la musique obsédante de Steve Reich. Lorsqu’il vit Violin Phase pour la première fois en 1998, le compositeur fut réellement enthousiaste : “Jamais je n’avais vu une telle révélation chorégraphique à propos de mon travail. Elle avait totalement compris l’essence de mes oeuvres de jeunesse.

Au fur et à mesure que la musique se complexifie, devient dissonante, les gestes gagnent en amplitude et en complexité, la jambe s’élève dans des fouettés, le corps se replie plus profondément pour prendre son élan. Mais toujours l’émotion est là, parfois dans le simple relâcher de la nuque. Et dans le sable, le mouvement inscrit toujours des traces, la musique par son intermédiaire se fait graphique.

L’ambiance ce soir, où Anne Teresa de Keersmaeker dansait devant l’autel de l’église Saint-Eustache, sous la haute clé de voûte et entre les vitraux, était particulière. Assis juste au pied de l’estrade, le public voyait au plus près son regard concentré en lui-même. Et l’abandon au mouvement, pourtant si mesuré, pouvait prendre des allures d’extase mystique. À la fin de cette oeuvre hypnotique, il est difficile d’applaudir tout de suite. Anne Teresa de Keersmaeker commence d’ailleurs par quitter l’estrade. Lorsqu’elle revient, c’est pour saluer la public, mais aussi les trois rosaces, celle qu’elle a tracée, celles de l’église. Anne Teresa de Keersmaeker, chercheuse perpétuelle, ne cesse de se renouveler dans ses créations. Mais elle interprète son oeuvre de jeunesse avec une intensité inchangée. Violin Phase n’a rien perdu de sa force.

La soirée se poursuivait avec un flash mob inspiré de Rosas danst Rosas dans le jardin Nelson Mandela qui jouxte l’église.

 

Violin Phase, de et par Anne Teresa de Keersmaeker. Musique de Steve Reich. Eglise Saint Eustache. Mardi 14 juillet 2015.

 

Pour voir le travail d’Anne Teresa de Keersmaeker l’an prochain en France

Triptyque Bartok / Beethoven / Schönberg à l’Opéra de Paris, au Palais Garnier du 21 octobre au 8 novembre 2015

Work / Travail / Arbeid au Centre Pompidou, du 26 février au 6 mars 2016

La Nuit Transfigurée (création), au Théâtre de la Ville, du 7 au 15 juin 2016

Vortex Temporum, au Théâtre de l’archipel de Perpignan, le 21 novembre 2015

Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke, au Théâtre de Gennevilliers, du 25 au 29 novembre 2015 

Counter Phrases (création), à la Maison de la Musique Nanterre, les 3 et 4 février 2016

 

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