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Le Lac des Cygnes de Peter Martins au New York City Ballet – Sara Mearns et Tyler Angle

C’est une rentrée quelque peu inhabituelle pour le New York City Ballet qui a ouvert sa saison d’automne avec une série de Lac de Cygnes, dans la production du directeur de la compagnie Peter Martins. Depuis son entrée au répertoire en avril 1999, le succès ne se dément pas. Toutes les représentations sont complètes et ce n’est pas le moindre des paradoxes tant Le Lac des Cygnes ne fait pas partie de la tradition du NYCB. George Balanchine, le fondateur du NYCB, n’était pas fan du Lac des Cygnes, il préférait La Belle au Bois Dormant. Mais sous la pression amicale du co-fondateur de la compagnie Lincoln Kirstein, le chorégraphe avait élaboré une version étonnante, une sorte d’épure du Lac des Cygnes, fondant les deux actes blancs du ballet. Swan Lake de George Balanchine est régulièrement à l’affiche du NYCB mais la version complète de Peter Martins est désormais un tube du répertoire.

Swan Lake-NYCB

Le Lac des Cygnes – New York City Ballet

Pour cette première de la saison, Sara Mearns dans le double rôle d’Odile/Odette et Tyler Angle en Prince Siegfried ont porté ce Lac des Cygnes multi étoilé. Pas moins de 9 “Principals” (l’équivalent du titre d’Étoile) sont à l’affiche, entre les rôles secondaires et les danses de caractère. C’est dire tout le soin apporté à une production par ailleurs inégale. Les décors et les costumes du peintre danois Per Kirkeby défient ainsi l’entendement  pour un ballet narratif où la scénographie doit servir l’histoire et apporter du sens. Rien ici qui ne puisse suggérer un palais pour l’anniversaire du Prince et les costumes se réduisent à un lot de robes et de justaucorps aux couleurs criardes.

Ce premier acte distillerait vite une forme d’ennui sans la virtuosité éblouissante de Daniel Ulbricht qui vole le show dans le rôle du bouffon. Sauts, tours, pirouettes s’enchainent à une allure d’enfer, laissant à peine le public respirer. Et c’est bien l’une des insuffisances de cette production : pour rester fidèle sans doute à une tradition du NYCB, la partition de Tchaïkovski défile à un tempo infernal. Quatre actes en un peu plus de 2 heures, c’est une forme de record pour Le Lac des Cygnes.

Sara Mearns as Odette in Swan Lake New York City Ballet Production Credit Photo: Paul Kolnik ©2010 Paul kolnik studio@paulkolnik.com nyc 212-362-7778

Le Lac des Cygnes – Sara Mearns

Pourquoi pas après tout ? Sauf que ce choix se révèle compliqué, voire périlleux, lorsque vient l’acte 2 et l’entrée en scène d’Odette,  sublimement incarnée par Sara Mearns. La carrière météorique de la ballerine est intimement liée à ce ballet qu’elle interpréta pour la première fois sur scène à l’âge de… 19 ans ! Cette danseuse lyrique à la technique impeccable possède ce talent dramatique qui fait souvent défaut aux danseur-se-s du NYCB tant ils n’ont pas coutume de raconter des histoires. À l’inverse, Sara Mearns nous emmène immédiatement dans le monde d’Odette. Elle fait partie de ses danseuses qui imposent un charisme incontestable : dès son entrée à l’acte 2, on ne voit plus qu’elle. Elle illumine la scène et compose un personnage complexe, sans mièvrerie mais avec ce qu’il faut à la fois d’abandon et de majesté.

La danse est assurée, précise, mais à ce rythme effréné, il faut bien du talent à Sara Mearns pour exprimer toutes les nuances. L’étoile, qui maitrise ce rôle parfaitement, y parvient toutefois mais un tempo plus apaisé aurait sans doute permis d’enrichir l’adage qui, dans la version de Peter Martins, reprend point par point celui de George Balanchine.

Swan Lake- Sara Mearns

Le Lac des Cygnes – Sara Mearns

Son partenaire, Tyler Angle est hélas bien en deçà. À sa décharge, il n’est guère servi par une chorégraphie qui le soumet à la diète et le réduit au rôle de faire-valoir. Il s’en acquitte au demeurant parfaitement mais sans alchimie aucune avec Sara Mearns. Jamais on ne comprendra comment il parvient à séduire Odette et pourquoi elle tombe immédiatement amoureuse de Siegfried.

Le partenariat fonctionne mieux dans l’acte 3, celui du “Black Swan” comme on dit au NYCB. Sara Mearns évite de faire ce que font trop souvent les ballerines qui sur-jouent le rôle d’Odile, croyant en accentuer le côté maléfique. Il y a de l’autorité dans son personnage mais rien d’outré ni de vulgaire. Cette interprétation sert idéalement la narration. Sara Mearns parvient à établir  ce jeu de miroir qui nous fait nous aussi douter de son identité . Elle parvient à tromper le Prince mais aussi le public. Son Odile est en tout point séduisante et qu’elle ait trébuché dans les fouettés n’entache nullement sa prestation.

Swan Lake- Acte 4- final

Le Lac des Cygnes (final) – New York City Ballet

J’allais en oublier Rothbart et pour cause : affublé d’un costume orange grotesque qui le fait ressembler à un cousin de Spiderman, rien ne suggère jamais qu’il puisse être ce sorcier maléfique décrit dans le livret. Dommage car Silas Farley est un danseur qui mérite mieux que ce rôle étriqué.

Comment finir Le Lac des Cygnes ? Depuis sa création, les chorégraphes ont quelque peu maltraité l’histoire pour lui adjoindre parfois un happy end. Peter Martins ne tombe pas dans ce piège : Odette, après une ultime rencontre avec Siegfried, disparaît dans la coulisse côté cour entourée de cygnes blancs et noirs qui en interdisent l’accès au Prince. Libéré-e-s des contraintes techniques, Sara Mearns et Tyler Angle livrent alors un pas de deux lyrique et infiniment musical. C’est poignant. Enfin l’émotion surgit. Il était temps !

Sara Mearns-SwanLake-Acte2

Le Lac des Cygnes – Sara Mearns

 

Le Lac des Cygnes de Peter Martins par le New Yrok City Ballet, au Theatre David H; Koch/Lincoln Center NYCB. Avec Sara Mearns ( Odette/Odile), Tyler Angle ( Siegfried), Silas Farley ( Rothbart), Daniel Ulbricht (Jester), Megan Fairchild, Tyler Peck, Ana Sophia Scheller et Joaquin de Luz (pas de quatre), Rebecca Krohn et Amar Ramasar. (la danse espagnoles). Mardi 22 septembre 2015.