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Retour à Berratham d’Angelin Preljocaj

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6 octobre 2015

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Après un accueil mitigé dans la Cour d'honneur du Palais des papes, c'est dans une version resserrée et remaniée que Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj investit le Théâtre National de Chaillot, pour près d'un mois. Mais malgré les changements opérés et de très beaux moments dansés, le spectacle et son mélange du texte et de la danse ne parvient toujours pas à totalement convaincre.

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

Dans cette pièce, Laurent Mauvignier l'auteur et Angelin Preljocaj le chorégraphe nous narrent l'après-guerre, le temps de l'occupation dans une société ravagée par la violence et les exactions. Un monde où les hommes ne sont plus que lâches ou tortionnaires et les femmes leurs premières et sempiternelles victimes. Un jeune homme, qui avait quitté la ville avant le conflit, revient à Berratham pour retrouver Katja, celle qu'il aime. Errant dans les rues où il ne reconnait rien, il ne trouve qu'une communauté criminelle et des ruines.

La scène inaugurale séduit. Tandis que les trois récitants, de leurs mots, plantent le décor, un chœur de jeunes femmes entame en ligne une danse précise, aiguisée. Et leurs gestes disent l'inexorable de la tragédie qui va être contée. Malheureusement, malgré quelques tableaux d'une grande force, la magie n'opère que peu souvent par la suite. Car texte et danse, au lieu de s'enrichir, appauvrissent mutuellement leur impact.

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

En commandant cette "tragédie épique" à Laurent Mauvignier, Angelin Preljocaj s'essaie à la création d'un nouveau genre. Le texte récité par trois comédiens sur scène tient du livret, servant de trame à la danse qui se déploie le plus souvent sur la musique des mots. L'expérience est tentante, surtout pour un amoureux des lettres qui n'en ai pas à son premier essai : du livret qu'il commande à Pascal Quignard pour L'Anoure, au Funambule où il dit, seul en scène, le long poème éponyme de Jean Genet, en passant par sa première collaboration avec Laurent Mauvignier pour Ce que j'appelle oubli. Mais cette fois le mariage n'est pas heureux. Car qui se laisse imprégner par la poésie des mots de l'écrivain en oublie de regarder la danse. Et qui se laisse emporter par l'émotion des gestes en oublie d'écouter la poésie des mots.

Alors bien sûr, il reste les superbes lumières de Cécile Giovansili-Vissière, la scénographie efficace bien qu'un peu convenue d'Adel Abdessemed, et surtout de magnifiques moments dansés où le vocabulaire d'Angelin Preljocaj, brillamment exécuté par ses onze interprètes, déploie toute sa force. La scène du mariage, alors que les jupettes des danseuses s'envolent, rappellent ses brillantes Noces tandis que la mariée nue qui se débat, Katja, a tout de la jeune sacrifiée du Sacre du Printemps. La nuit d'amour est bouleversante et les scènes de luttes survoltées.

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

Mais l'ensemble laisse une impression mêlée de surenchère et de frustration. Surenchère des mots ajoutés à la danse, qui empêchent le public de ressentir pleinement le tragique de Berratham. Surenchère dans le drame aussi, tant les viols, meurtres et rapines s'enchaînent inexorablement. Pour toucher et toucher profondément, il est souvent plus efficace de montrer l'horreur d'un seul événement. Le Grand Voyage de Jorge Semprun qui, simple récit de son trajet vers Buchenwald, contient en germe toute l'abjection de la Shoa n'est-il pas totalement bouleversant ? Frustration enfin de ne pas voir la danse d'Angelin Preljacaj, vive, nerveuse, précise, se déployer plus largement. Car on devine qu'exécutée seule, elle aurait été mieux à même de sensibiliser au funeste destin de Katja et de son jeune amoureux.

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj

 

Retour à Berratham d'Angelin Preljocaj au Théâtre National de Chaillot. Chorégraphie et mise en scène d'Angelin Preljocaj. Texte de Laurent Mauvignier sur une commande d'Angelin Preljocaj. Scénographie d'Adel Abdessemed. Lumières de Cécile Giovansili-Vissière. Création sonore de 79D assisté de Didier Muntaner. Musiques additionnelles de Georg Friedrich Haendel, Fatima Miranda et Abigail Mead. Costumes de Sophie Ghellert. Avec Virginie Caussin, Laurent Cazanave, Aurélien Charrier, Fabrizio Clemente, Baptiste Coissieu, Margaux Coucharrière, Emma Gustafsson, Verity Jacobsen, Caroline Jaubert, Emilie Lalande, Barbara Sarreau, Niels Schneider, Liam Warren et Nicolas Zemmour. Mardi 29 septembre 2015.

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