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Viktor de Pina Bausch ouvre la saison danse du Théâtre de la Ville

La saison danse du Théâtre de la Ville ouvre au Châtelet avec Viktor, première pièce réalisée par Pina Bausch en résidence dans un pays étranger. En 1986, trois ans après avoir joué dans E la nave va de Federico Fellini, la chorégraphe est invitée avec le Tanztheater Wuppertal par le Teatro Argentino de Rome. Elle y crée en à peine quelques mois cette superbe fresque, succession de saynètes dont le chatoiement sinistre et lumineux entraîne dans une Rome de fantasmes.

Viktor de Pina Bausch - Dominique Mercy

Viktor de Pina Bausch – Dominique Mercy

La scène ressemble à une tombe. De gigantesques falaises de terre brune, auxquelles s’adossent des échelles monumentales, figurent un espace marqué du signe de la mort. À intervalles réguliers, un homme jette des pelletées de terre sur le plateau. La pièce s’ouvre sur une image à la beauté saisissante : Julie Shanahan, sculptée par sa robe rouge ceinturée de noir, s’avance majestueusement – mais elle n’a pas de bras. Tout au long de la pièce, l’angoisse (angoisse de la mutilation, de la dégradation, de la mort) sourd comme un halo sombre des saynètes sensuelles, absurdes, loufoques ou cyniques qui se succèdent, se répètent, se font écho.

Les strates temporelles se superposent sur des musiques aussi variées qu’on y est habitué.e chez Pina Bausch. Apparemment très peu dansée, la pièce n’en reste pas moins extraordinairement exigeante, physiquement comme émotionnellement, pour ses interprètes. On retrouve avec plaisir les ancien.ne.s danseur.se.s de la compagnie, toujours aussi captivant.e.s – Nazareth Panadero et sa voix rocailleuse, l’élégance de Dominique Mercy, la beauté chaleureuse de Julie Shanahan -, mais aussi de jeunes danseur.se.s, prouvant eux et elles aussi combien le Tanztheater Wuppertal sait encore faire vivre le répertoire de Pina. Brenna O’Mara est particulièrement éblouissante, dans son solo assis où elle fait tourbillonner ses longs cheveux roux, et que reprennent tou.te.s les interprètes  lors du magnifique final.

Viktor de Pina Bausch - Julie Shanahan

Viktor de Pina Bausch – Julie Shanahan

C’est Brenna O’Mara également qui prononce d’une voix spectrale cette phrase énigmatique, “Je suis Viktor“. De ce personnage qui donne son nom à la pièce, nous n’apprendrons rien : qui est-il ? Est-ce cet enfant seul, tout seul, dont Nazareth Panadero raconte avec colère et nostalgie le terrible périple à la recherche d’une âme qui vive ? Jamais l’énigme n’est résolue. C’est encore Brenna O’Mara qui interprète l’une des scènes les plus insoutenables de la pièce, lorsqu’elle arpente en hurlant l’avant-scène, frôlant d’un heurt de pierres son visage terrifié – et nous rappelant ce que les chorégraphies de Pina Bausch ont encore d’actuel et de transgressif.

Viktor pioche ainsi dans les thèmes récurrents de l’oeuvre de Pina Bausch : les affres des relations hommes-femmes explorés avec drôlerie et amertume, la difficile émancipation des femmes, la violence confinant au sadisme qui se renverse soudain en tendresse (ou l’inverse), l’enfance et ses jeux regrettés, un amusement distancié vis-à-vis du ballet classique… Mais le tout déplacé dans une Rome sans doute largement fantasmée. Un lien fort s’établit aussi entre les interprètes et le public, que ce soit dans les soli où quelque chose d’intime semble se dire des danseur.se.s, dans les scènes de groupes de plus en plus fréquentes à mesure qu’avance la pièce… ou encore lorsqu’ils et elles passent dans le public, pour danser une farandole, vendre des cartes postales ou distribuer des tartines beurrées !

Viktor de Pina Bausch

Viktor de Pina Bausch

Viktor semble parfois long, mais laisse des images plein la tête, avec leur surgissement d’échos inconscients. Ainsi de cet homme qui marie un couple de morts, de ce cadavre qu’un réveil tire de sa table d’autopsie, de cette femme qui avec gaieté puis désespoir tente d’appâter une cocotte de papier… Il faudrait voir et revoir le spectacle pour le laisser tisser ses liens et imprégner notre imagination. Certaines images restent inoubliables. Et notamment, ce qui est peut-être l’apogée visuelle et émotionnelle de Viktor : en longues robes chatoyantes, simplement suspendues à des anneaux, des femmes se balancent dans le vide et s’élancent joyeusement vers l’infini.

 

Viktor de Pina Bausch par Tanztheater Wuppertal au Théâtre du Châtelet. Samedi 3 septembre 2016. À voir jusqu’au 12 septembre.

 

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