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Carmen de Johan Inger – Compagnie Nationale de Danse d’Espagne

Avoir une Carmen à son répertoire sonne comme une évidence pour la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne. Mais comment réinventer cette histoire et ce personnage sans tomber dans les clichés de l’espagnolade ? Johan Inger, qui vient pourtant de Suède, relève le pari avec brio, proposant avec cette Carmen un ballet contemporain aux personnages puissants et troublants, assumant une forte narration – et qui a raflé un Benois de la Danse en 2016. Le ballet se place par ses costumes vers les années 1970, mais la trame n’en reste pas moins universelle. La Compagnie Nationale de Danse d’Espagne, dirigée depuis quelques années par José Martinez et en plein renouveau, y trouve matière à s’exprimer. Kayoko Everhart a en tête, Carmen “badass”, aussi furieusement sensuelle que moderne. 

Carmen de Johan Inger – Compagnie Nationale de Danse d’Espagne

Le chorégraphe Johan Inger continue de porter l’adage que, décidément, le meilleur de la création contemporaine se trouve au NDT. C’est dans cette troupe qu’il a dansé dans les années 1990, là aussi qu’il est devenu chorégraphe résident dès 2008. Sa danse mature, à la forte théâtralité (comme souvent pour des chorégraphes affilié.e.s NDT), sonne comme un coup de poing. Car aucun des gestes n’est vain. La danse – simplement contemporaine dirons-nous pour la décrire, terrienne, vivante – est là pour créer des personnages, une ambiance, une tragédie. Le chorégraphe démarre pourtant son spectacle avec une note d’abstraction – le seul point inutile du ballet d’ailleurs – avec la présence de Niño. Elle peut représenter  Micaëla (absente dans la version de Johan Inger), la naïveté posant son regard sur cette histoire terrible, pourquoi pas l’enfant imaginé de Carmen et Don José. Le problème n’est pas tant la présence de ce personnage, qui revient comme un leitmotiv tout au long du ballet. Le problème est qu’elle, ou il, semble arriver de nulle part, n’apportant ni contre-champs, ni profondeur, ni contraste spécifique à l’histoire racontée. Personnage inutile, qui a au moins le mérite de ne pas gâcher le reste.

Le ballet démarre donc vraiment après ce premier solo de Niño. L’usine est sans âge, mais pourrait ressembler à une prison. Les portes noires claquent, les chefs sont des matons, les regards intrusifs privent de toute intimité. Les costumes font penser aux années 1970 dans une Espagne conservatrice, mais finalement le ton de la danse ne la bloque pas à un temps donné, sauf celui de tout lieu de domination de travailleurs et travailleuses pauvres. Au milieu de cet univers dur et engoncé, le ballet des filles sonne comme un tourbillon de liberté. La plus belle est la blonde, mais la plus furieuse est Carmen. Sa danse est celle d’une femme libérée, dans sa tête et sa sexualité, sachant atteindre par tous les moyens sa liberté. Une Carmen “badass”, bagarreuse, mais aussi pleine de contrastes. Kayoko Everhart sait la faire femme forte, mais aussi jeune fille romantique, presque fleur bleue lorsqu’elle est face à la rock star Escamillo. Face à lui, sa danse se faite gracieuse, coulante. Face à Don José, la voici dominante, faussement offerte, sensuelle jusqu’au bout des ongles mais toujours pour elle-même, par pour le plaisir des hommes. Doan Vervoot sait lui aussi montrer un personnage complexe. Son Don José est l’image de l’homme engoncé dans une éducation religieuse, n’osant même poser son regard sur une femme. Carmen le rend fou, lui fait perdre tous ses repères. Sa danse se fait égarée, perdue, tourbillonnante. Puis plus directive et froide quand ses principes machistes reprennent le dessus et tuent la femme qui a osé lui dire non. 

Carmen de Johan Inger – Compagnie Nationale de Danse d’Espagne

Voilà donc une Carmen concentré (1h30), qui va à l’essentiel de la narration, sans surplus, juste. La musique de Georges Bizet a été intelligemment retouchée, reprenant les thèmes si chers à nos oreilles (la partition de Carmen est souvent galvaudée, et pourtant quelle beauté) transformé par une réorchestration plus simple et faisant appel à des instruments populaires. À l’image de la musique, l’histoire de Carmen est ancrée dans nos imaginaires. Pour la faire revivre, il n’y a pas forcément besoin de grand-chose ou de beaucoup d’effets. Johan Inger l’a bien compris en allant au plus juste des émotions et personnages, avec une danse belle, mais surtout de chair et de sang. 

 

Carmen de Johan Inger pat la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne à la Maison de la Danse de Lyon. Avec Kayoko Everhart (Carmen), Daan Vervoort (Don José), Leona Sivôs (Niño), Escamillo (Issac Montlor) et Toby William Mallitt (Zúñiga). Mercredi 8 février 2017. À voir en tournée en France jusqu’au 22 juillet.




 

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