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Légende d’amour au Théâtre Mariinsky – Mille et un délices

C’est un ballet qui sollicite les sens et qui dégage des effluves d’encens, d’épices et d’eau de rose. Schéhérazade excepté, aucune oeuvre chorégraphique ne restitue de manière aussi vive l’Orient fantasmé de l’Occident avec ses mille couleurs chaudes et sa violence âpre. Légende d’amour, créé en 1961 au Théâtre Mariinsky – alors Kirov – par Youri Grigorovitch, Arif Melikov et Simon Varsaladzé, fait appel à l’âme orientale de la Russie, celle qui enivre les terres du Sud du pays. On y retrouve pêle-mêle l’Orient passionnel des Romantiques, l’esthétique bigarrée des Ballets russes (1909-1929) et l’obsession soviétique pour les grandes fresques épiques qui délivrent, l’air de rien, un message politique. Se lisant comme un conte oriental, ce ballet change de ton quand il est interprété par la troupe pétersbourgeoise, qui excelle dans l’art de la danse de caractère sans toutefois égaler la puissance volcanique du Bolchoï. S’il est né à Saint-Pétersbourg, le style Grigorovitch trouve une résonance plus juste à Moscou, où il s’est épanoui ces dernières décennies. Qu’a gardé le Théâtre Mariinsky de cet héritage soviétique ? Un charme suranné. Oksana Skorik, Olesya Novikova et Evgueni Ivanchenko se sont emparés de Légende d’amour. 

Légende d’amour de Youri Grigorovitch – Oxana Skorik

C’est la majesté froide et la psychologie complexe d’Oksana Skorik qui porte le ballet. On connaissait l’enfant chétive de Perm, on la retrouve Etoile confirmée d’une des meilleures compagnie de danse du monde. Sa stature imposante et l’autorité qu’elle a développée sur scène au fil des années confèrent une gravité intime à Légende d’amour. Sa Reine déchue et languissante rappelle le serpent aux tronçons déchirés du poème des Orientales de Victor Hugo. Quand Oksana Skorik – allitération en “k” suggestive – étire ses longs membres en torsions inspirées de miniatures persanes et de céramiques égyptiennes, elle figure tous les tourments d’un coeur déchiré entre deux être aimés.

Ferkhad, héros du peuple triomphant et homme doublement convoité, gagne ses lettres de noblesse en la personne d’Evgueni Ivanchenko. Danseur élancé d’origine turkmène, il rassemble le meilleur des deux mondes : les postures nobles héritées des canons de la danse pétersbourgeoise, l’impulsivité farouche des grands héros de l’Eurasie. Plus impressionnant encore, le corps de ballet masculin exalte une virilité stéréotypée mais efficace qui contraste avec les poses lascives des femmes voilées. Les ensembles fougueux, en alternance avec des monologues déchirants, captivent d’un bout à l’autre du spectacle.

Légende d’amour de Youri Grigorovitch – Evgueni Ivanchenko

Il fallait bien un peu de douceur dans ce ballet cruel qui emprunte à la poésie orientale tragique. C’est la douce Olesya Novikova, première danseuse à l’aura d’Etoile, qui apporte une grâce virginale aux sombres tableaux des palais de la Reine avilie. Dans le rôle de Shirine, la soeur à l’agonie sauvée par le sacrifice de son aînée, Olesya Novikova est une bulle de champagne sur pointes. La danseuse ne se repose pas uniquement sur son physique de poupée de porcelaine, avec grands yeux couleur ciel et chevelure d’ébène. Au-delà de son infini charme juvénile, sa technique est fine, sensée, expressive et sa danse moelleuse, incarnée avec ce qu’il faut de retenue pour porter haut et fort les couleurs de la maison.

La symbolique politique de Légende d’amour et la production surannée de la version du Théâtre Mariinsky apparaissent peut-être un peu datées. Mais face à tant de talent chorégraphique, d’ingéniosité scénographique et d’investissement artistique, l’envoûtement est total. Peu de ballets enivrent les sens à ce niveau et rares sont les compagnies capables de danser, voire d’incarner, le génie de Youri Grigorovitch. Une petite exposition était d’ailleurs dédiée à ce dernier dans les salons du Théâtre Mariinsky, alors que s’achevait au Bolchoï le festival tenu en l’honneur de ses 90 ans. Qu’il soit loué selon sa grandeur !

Légende d’amour de Youri Grigorovitch – Ballet du Mariinsky

 

Légende d’amour de Youri Grigorovitch par le Ballet du Mariinsky au Théâtre Mariinsky. Avec Olesya Novikova (Shyrin), Evgueni Ivanchenko (Ferkhad), Oxana Skorik (Mekhmeneh Bahnu) et Roman Belyakov (Vizier). Mardi 28 février 2017.

 

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