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Le joli renouveau de Dance Theatre of Harlem

Pour la deuxième saison consécutive, le Dance Theatre of Harlem s’est produit dans la prestigieuse salle new-yorkaise du City Center qui fut autrefois la maison du New York City Ballet. Ce fut quatre soirées triomphales pour cette compagnie classique au parcours unique, avec pour la dernière représentation la reprise attendue de Coming Together du chorégraphe espagnol Nuacho Duato et deux créations, Divertimento d’Elena Kunikova et Change de Dianne McIntyre. C’est en fait presque un miracle de pouvoir à nouveau admirer le Dance Theatre of Harlem : criblée de dettes, la compagnie new-yorkaise avait dû se résoudre à se mettre entre parenthèses pour quelques mois. Il fallut presque dix ans pour épurer les comptes et toute la hargne des équipes artistique et administrative pour venir à bout du processus. Ces menaces qui ont pesé sur le Dance Theatre of Harlem ont fait de ce rendez-vous un moment chaleureux aussi bien pour la compagnie que pour le public.

George Balanchine et Arthur Mitchell

George Balanchine et Arthur Mitchell

C’est en 1969, après l’assassinat de Martin Luther King, qu’Arthur Mitchell décide de fonder une compagnie classique pour des danseuses et des danseurs de couleur condamnés à rester en marge des grandes troupes de ballet américaines en raison de leur origine ethnique. Arthur Mitchell est lui-même le  premier danseur afro-américain du New York City Ballet, élevé au rang de Principal par George Balanchine. Mais il faisait alors figure d’exception, même si le grand chorégraphe américain créa pour lui des rôles spécifiques, notamment le pas de deux d’Agon avec Diana Adams et le rôle de Puck du Songe d’une Nuit d’été. Il est difficile à l’imaginer aujourd’hui, mais à l’époque, ce pas de deux  d’Agon fit scandale et la télévision américaine refusa de le montrer jusqu’en 1965, en raison de l’hostilité des états du Sud.

Ce parcours explique en grande partie l’engagement politique d’Arthur Mitchell, qui voulut contribuer à sa manière à la lutte des Noirs américains pour leurs droits civils. C’est dans ce contexte qu’est né en 1969 le Dance Theatre of Harlem, afin de favoriser l’émergence d’artistes de couleur et leur offrir des opportunités. Le succès fut rapidement  au rendez-vous et la compagnie fit le tour du monde dans les années 1980 et 1990. La crise mit un coup d’arrêt brutal à la compagnie, qui aurait pu lui être fatal. Mais depuis quatre ans, la troupe s’est reconstituée avec de nouveaux danseurs et danseuses, dans une configuration plus modeste. De 44, l’effectif est passé à 15, ce qui oblige à repenser le répertoire. Sa nouvelle directrice artistique, l’ancienne danseuse Virginia Johnson, a parfaitement relevé ce défi.

Divertimento- Elena Kunikova

Divertimento– Elena Kunikova

C’est avec Divertimento que s’ouvre le programme. Sur une partition de Mikhaïl Glinka, Elena Kunikova, formée à l’académie Vaganova de Saint-Pétersbourg et ancienne danseuse du théâtre Mikhaïlovski, propose un hommage au ballet classique et à sa technique. “Ce n’est pas une pièce narrative”  précise Elena Kunikova dans sa note d’intention  “mais une représentation des emplois du ballet : l’ingénue, la sylphide et l’aristocrate…“. Merveilleusement servie par trois couples, cette œuvre brève montre en une vingtaine de minutes toute la technique du ballet académique dans une succession ininterrompue d’arabesques, de tours, de sauts, de grands jetés et même de fouettés. Rien de révolutionnaire dans la chorégraphie mais beaucoup d’habileté et la volonté de montrer que le Dance Theatre of Harlem appartient résolument à la galaxie du ballet classique.

Divertimento-Final

Divertimento-Final

La deuxième création est elle aussi sur pointes, fil rouge de la soirée, mais s’inscrit dans un univers plus contemporain. Dianne McIntyre, chorégraphe afro-américaine et véritable icône aux États Unis, signe sa première œuvre sur pointes pour une compagnie classique. Elle le fait à sa manière, très politique dans une pièce exclusivement féminine. Trois danseuses représentent la vision, le courage et l’endurance des femmes afro-américaines. “Elles sont les combattantes du changement“, écrit Dianne McIntyre.

Sur scène, cela se traduit par une danse puissante, dansée sur une musique composée par le saxophoniste américain Eli Fountain. Chaque danseuse fait son entrée séparément dans une demi-pénombre, le corps penché, avant de s’emparer de l’espace chacune puis de se rassembler pour un pas de trois. Il y a alternativement de la peur et de la violence qui s’expriment dans ces pas où se font échos et dialoguent technique classique et danse traditionnelle africaine. Trio magnifique d’où émerge la longiligne Chyrstyn Fentroy, magnifique danseuse sortie de l’école du Joffrey Ballet de Chicago.

Chyrstyn Fentroy- Change

Chyrstyn Fentroy- Change

Rares sont les chorégraphes européens – à l’exception des néo-classiques anglo-saxons – qui ont réussi à trouver leur chemin dans les compagnies américaines. Nacho Duato est de ceux-là. Le Dance Theatre of Harlem a inscrit à son répertoire Coming Together créé en 1991. C’est un ballet qui  convient parfaitement à la troupe car il nécessite une énergie de tous les instants, avec 25 minutes à un rythme d’enfer où alternent glissades, déhanchés perpétuels, portés acrobatiques. On retrouve dans Coming together tout l’art de Nacho Duato, l’un des rares chorégraphes qui, à l’instar de William Forsythe, a su trouver un style en s’emparant et détournant la technique classique pour mieux la restituer.

Il y a là un véritable de tour de force à mélanger sans se répéter pas de deux, pas de trois et ensembles dans des séquences survoltées calquées sur la musique répétitive du compositeur américain Frederic Rzewski. Nacho Duato est un maitre dans l’art d’occuper le plateau et de régler les entrées et les sorties. Conçue pour six danseurs et six danseuses, cette pièce sollicite presque la totalité de la compagnie. Un moment de danse pure et de pur plaisir.

Coming Together-ensemble

Coming Together  de Nacho Duato

Mais les instants les plus touchants de la soirée vinrent après l’entracte, lorsque la directrice artistique Virginia Johnson et la maîtresse de ballet Kelly A. Saunders ont rendu hommage aux ballerines noires. 44 venues d’Amérique et du reste du monde étaient sur scène pour un salut d’une grâce infinie. D’autres, qui n’ont pu être présentes, ont été citées. Dans la salle, à l’évidence, certain.e.s se souvenaient de ce long et difficile parcours pour les danseurs et les danseuses afro-américain.e.s, parcours initié par Arthur Mitchell un jour de 1969 dans un garage d’Harlem de la 152ème rue, où il faisait la classe.

 

Le Dance Theatre of Harlem au City Center de New York. Divertimento d’Elena Kunikova, Change de Dianne McIntyre avec Chyrstyn Fentroy, Coming Together de Nuacho Duato. Samedi 9 avril 2016.

 

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