TOP

Concordan(s)e #10 à la maison de la poésie

Concordan(s)e est un joli festival qui unit, depuis dix ans, écrivain.e.s et chorégraphes. Les résultats scéniques de ces rencontres entre deux auteur.e.s, ne se connaissant pas avant de créer ensemble entre mots et gestes, sont montrés dans divers lieux d’Ile-de-France, durant les mois de mars et avril. Une soirée organisée à la maison de la poésie le 12 avril donnait l’occasion de découvrir trois des sept duos de cette édition 2016.

L'architecture du hasard d'Ingrid Thobois et Gilles Vérièpe

L’architecture du hasard d’Ingrid Thobois et Gilles Vérièpe

L’architecture du hasard d’Ingrind Thobois et Gilles Vérièpe

Après avoir été l’interprète d’Angelin Preljocaj ou de Frédéric Flamand, Gilles Vérièpe chorégraphie depuis près de vingt ans et est actuellement artiste en résidence au Théâtre de Rungis. Ingrid Thobois est auteure depuis 2007. Elle a publié cinq romans adultes (dont deux ont été primés) et neuf ouvrages jeunesse. Ensemble ils ont choisi de s’interroger sur le chemin, pavé des hasards de l’existence, qui mène à une rencontre.

Elle pénètre d’abord seule sur le plateau, s’assoie, scrute le public, ferme les yeux. Il la rejoint et avec la plus grande délicatesse bouge les membres de la jeune femme inerte, avant de l’amener à se lever pour une étreinte qui tournoie lentement, l’un dans les bras de l’autre, puis tête contre tête. Il la guide, la conduit vers lui, vers son monde fait de danse. Alors le texte entre en scène. Chacun conte l’itinéraire de l’autre, la naissance, l’enfance, les points communs et les différences. Leurs mères sont directrices d’école et enseignante. Elle a des pieds de danseuse qui ne lui servent à rien, elle les lui prêterait bien. Entre anecdotes, moments forts et rendez-vous manqués, ils parcourent ensemble la route qui, sans doute, les a mené l’un à l’autre. Aussi intime qu’universelle, ils créent une pièce d’une grande tendresse, matinée de soupçons d’humour.

L'architecture du hasard d'Ingrid Thobois et Gilles Vérièpe

L’architecture du hasard d’Ingrid Thobois et Gilles Vérièpe

It’s a match de Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme

Autre histoire que celle de Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme. Formée à l’Opéra de Paris, elle a dansé pour Pina Bausch, Jiří Kylián ou Alain Platel, avant de créer sa compagnie : Traces. Il est un écrivain primé des Editions L’Arbalète Gallimard. Leur goût de l’Afrique aurait pu les réunir (il y a longtemps vécu et travaillé tandis qu’elle s’inspire pour sa gestuelle de la danse afro-américaine) mais ils sont sur scène comme chien et chat : des enfants terribles qui se cherchent des noises pour mieux se rapprocher.

Leur combat est espiègle. Alors qu’il git à quatre pattes elle grimpe sur son dos, s’enroule autour de lui, lui fait perdre l’équilibre, tout en gratifiant le public de commentaires plus ou moins amènes sur l’écrivain. Lorsqu’il prend la parole pour s’interroger, avec beaucoup d’humour, sur notre besoin étrange de faire couple, elle piaffe d’impatience, gigote, fait la roue, s’ennuie ostensiblement. Trop d’énergie pour l’écouter sagement disserter. Le monde de l’esprit et celui du corps ne semblent pas faire bon ménage. Pourtant, se provoquant inlassablement, ils ne cessent de se rapprocher. Souvent drôle, leur pièce un peu brouillonne ne manque pas de charme.

It's a match de Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme

It’s a match de Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme

Zéro, un, trois, cinq de Bertrand Schefer, Edmond Russo et Shlomi Tuizer

Le dernier duo de cette soirée est un peu particulier. Il devait être trio, a bien failli être solo. Bertrand Schefer, traducteur, cinéaste et romancier édité chez P.O.L. conte sur scène la genèse de ce rendez-vous. Edmond Russo et Shlomi Tuizer, chorégraphes passés respectivement par le ballet de l’Opéra de Lyon et la Batsheva avant de se rencontrer chez Hervé Robbe puis de fonder leur compagnie Affari Esteri, sont quant à eux absents. C’est le danseur Julien Raso qui fait corps à leur place.

Debout, assis, son texte dans ses mains ou tenu par celles de son comparse, Bertrand Schefer énumère avec humour le cahier des charges : être deux en scène, trois en l’occurrence, inventer une forme assez modulable pour pouvoir être jouée dans une librairie ou sur un plateau, apprendre son texte… Mais lui n’est ni danseur, ni acteur, et adore oublier. D’ailleurs son dernier par cœur remonte à Racine, au lycée surement, ça fait un moment… Les choses se corsent encore à sa rencontre avec les deux chorégraphes. Le projet les enthousiasme mais ils seront probablement absents au moment des représentations. Leurs obligations ne sont pas professionnelles. Ils doivent partir loin, ailleurs, des mois et des mois qu’ils attendent. Sans que le mot ne soit prononcé, l’adoption se dessine. Alors l’écrivain décide de relever le défi et d’être là, de prêter ses mots et son corps à cette belle histoire, accompagné par la danse de Julien Raso. Il le résume joliment avec cette formule “Une présence pour l’absence pour une présence“. Une pièce sensible.

Zéro un trois cinq de Bertrand Schefer, Edmond Russo et Shlomi Tuizer

Zéro un trois cinq de Bertrand Schefer, Edmond Russo et Shlomi Tuizer

Mêler danse et littérature est une idée séduisante qui ne va pourtant pas forcément de soi. Qu’il s’agisse de dire ou de se mouvoir, un.e danseur.se, rompu.e à l’exercice de la scène aura toujours plus de présence qu’un.e auteur.e, habitué.e à la solitude de l’écriture. À l’inverse, un texte, à la compréhension plus immédiate, a vite fait de happer l’attention du public au détriment de la chorégraphie. Difficile, donc, de trouver le juste équilibre. Loin de la performance et chacun.e à leur manière, drôle ou sensible et délicate, c’est pourtant ce que les protagonistes de cette soirée réussissent à faire.

L'architecture du hasard d'Ingrid Thobois et Gilles Vérièpe

L’architecture du hasard d’Ingrid Thobois et Gilles Vérièpe

 

Soirée Concordan(s)e à la maison de la poésie. L’architecture du hasard de et avec Ingrind Thobois et Gilles Vérièpe. It’s a match de et avec Raphaëlle Delaunay et Sylvain Prudhomme. Zéro, un, trois, cinq de Bertrand Schefer, Edmond Russo et Shlomi Tuizer, avec Bertrand Schefer et Julien Raso. Mardi 12 avril 2016.

 

Poster un commentaire