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Les 90 ans de la Martha Graham Dance Company

Le 18 avril 1926 dans un théâtre de la 48e rue de New York, non loin de Broadway, Martha Graham et sa toute nouvelle compagnie (entièrement féminine) baptisée alors Martha Graham Concert Group donnait son tout premier spectacle sur fonds propres. Une soirée unique qui allait bouleverser le monde de la danse et révéler celle qui allait façonner la manière de penser de générations entières de chorégraphes. 90 ans plus tard, la troupe – qui s’appelle désormais la Martha Graham Dance Company – a donné un gala anniversaire, avec quelques extraits des oeuvres emblématiques de la chorégraphe. Et en invitée de marque : Aurélie Dupont.

Martha Graham-Deaths and Entrances.

Martha Graham-Deaths and Entrances.

Pour cette toute première soirée de 1926, que certains de ses amis prédisaient sans lendemain, Martha Graham était allée faire un tour du côté du Lower East Side pour se fournir en tissu et créer ses propres costumes. Elle le fera toute sa vie, tant le costume chez Martha Graham n’est pas un accessoire décoratif mais partie prenante du geste chorégraphique. 90 ans plus tard, comment faire vivre cet héritage qui a influencé des chorégraphes aussi importants que Pina Bausch ou Mats Ek ? Comment perpétuer un répertoire en évitant l’écueil d’une vision muséale ? Il n’y a pas de réponse facile : Merce Cunningham a choisi de son vivant de dissoudre sa compagnie après une ultime tournée d’adieux post-mortem. Mats Ek semble hésiter mais a, pour le moment, retiré ses œuvres. La Martha Graham Dance Company, forte d’une vingtaine de danseuses et danseurs, continue de diffuser son œuvre, aux États-Unis et à l’étranger. Non sans mal, évidemment, dans un pays où il faut en permanence trouver des financements et les renouveler.

Mais la compagnie se porte bien et a démontré une belle vitalité visible sur scène lors de ce 90ème anniversaire. Elle est adossée désormais à une école chargée de recruter de nouveaux danseur.se.s et de les former au geste de Martha Graham, à quoi s’ajoute un groupe Graham2 constitué des danseuses et danseurs les plus avancé.e.s et qui se produisent sur scène. Janet Eilber, la directrice artistique de la compagnie, est au cœur de cet héritage pour avoir connu Martha Graham et dansé sous sa direction. On peut compter sur sa vigilance pour que ne soit pas altéré ce répertoire. Pourtant, la formule choisie pour ce gala, composé de nombreux cours extraits d’oeuvres, n’était sans doute pas la meilleure pour embrasser l’art incomparable de la chorégraphe américaine.

Blakeley White-McGuire-Tanagra

Tanagra – Blakeley White-McGuire

Ce “best of” chronologique était en effet bien trop court pour permettre au public de s’installer dans l’émotion. La succession d’extraits des ballets emblématiques de Martha Graham eut été une bonne idée avec des pièces plus longues, laissant le temps au public d’entrer dans cet univers si singulier. Passer d’une émotion à l’autre sans avoir le temps de souffler altérait – hélas ! – la concentration.

Subsistent malgré tout quelques pépites et en particulier ce solo fondateur Tanagra que Martha Graham avait dansé lors de ce spectacle inaugural en 1926. Sur la musique de la 3ème Gnossienne d’Erik Satie (un tube aujourd’hui mais inconnu à l’époque), Tanagra offre en quelques instants tout un concentré de l’art de Martha Graham : son goût de la lenteur et du mouvement parfait, son jeu incessant avec le costume qui dans presque toutes les chorégraphies de Martha Graham, est un acteur à part entière. Blakeley White-McGuire évolue avec délice dans la chasuble blanche et éventail en main comme l’avait fait avant elle Martha Graham. Sur le côté, un pouf fait de deux coussins. Chaque pas épouse les accords répétitifs de la musique pour piano d’Erik Satie. On voudrait que ces instants durent toujours.

La troupe de Graham2-Heretic.

La troupe de Graham2 – Heretic.

Vint ensuite Heretic (1929), interprété par le groupe Graham2. C’est une pièce de jeunesse où déjà affleurent le vocabulaire et la thématique chers à Martha Graham. La danse semble figurer un combat entre une femme, rôle de soliste vêtue de blanc interprété par Jessica Sgambelluri, et un groupe asexué (mais dansé exclusivement par des femmes comme à la création) recouvert de justaucorps et de bonnets noirs. Danse de feu qui électrise mais trop courte pour percevoir cette atmosphère si particulière du monde hiératique de Martha Graham.

Pour célébrer cet anniversaire, Janet Eilber avait convié une invitée de prestige, Aurélie Dupont, qui dansait pour la première fois des chorégraphies de Martha Graham. Le résultat fut surprenant et sans aucun doute l’un des temps forts de cette trop courte soirée. Dans l’extrait de Acts Of Light (1981), la danseuse française parvient à laisser éclater sa technique et son style classiques dans une œuvre qui ne l’est pas. Enserrée dans un costume qui est presque une camisole de force, Aurélie Dupont semble tout à fait à l’aise dans cette gestuelle lente et appuyée, plus ferme et musclée que la technique classique et dont Martha Graham disait : “C’est comme si vous vous étiriez à l’intérieur de votre propre peau…” L’effet est en tout cas réussi.

Aurélie Dupont-Acts of Light.

Aurélie Dupont – Acts of Light.

C’est moins vrai de l’extrait de Appalachian Spring (1944) dont la partition fut composée spécialement pour le ballet de Martha Graham par Aaron Copland. C’est un des chefs-d’œuvres de la chorégraphe mais le bref extrait interprété par Aurélie Dupont (La Mariée) et Lloyd Mayor (Le Marié) ne rend pas justice à cette œuvre. Hors de son contexte, on n’y voit qu’un duo d’amour plaisant mais désincarné quand la pièce entière est une réalisation magistrale.

Dommage ! Il aurait été plus judicieux de montrer des œuvres entières afin de se nourrir du style de Martha Graham. De la même manière, on comprend que la compagnie souhaite aussi élargir son répertoire et inviter de nouveaux chorégraphes car on ne vit pas que sur un héritage, aussi riche soit-il. Mais la présentation de la création du suédois Pontus Lidberg Woodland n’ajoutait rien à ce gala : cette pièce qui est à l’évidence un hommage gavé de citations des pièces de Martha Graham n’est pas sans qualités mais elle semblait comme diluée dans un programme bien trop court pour prendre la mesure de celle qui inventa – rien de moins ! – la danse moderne.

Woodland-Pontus Lidberg.

Woodland – Pontus Lidberg.

 

Gala pour les 90 ans la Martha Graham Dance Company au New York City Center. Extraits de ses ballets Tanagra (avec Blakeley White-McGuire), Heretic (avec Jessica Sgambelluri), Lamentation, Acts of Light (avec Aurélie Dupont), Celebration, Appalachian Spring (avec Aurélie Dupont et Lloyd Mayor), Woodland de Pontus Lidberg. Lundi 18 avril 2016.

 

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