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Un trio de Chorégraphes du XXIe siècle au New York City Ballet

En prélude aux créations de ce printemps du britannique Christopher Wheeldon et du français Nicolas Blanc, le New York City Ballet propose en ouverture de saison une piqure de rappel avec trois œuvres récentes par trois chorégraphes porte-flambeaux de la galaxie néo-classique : Estancia de Christopher Wheeldon (2010), Pictures at an exhibition d’Alexeï Ratmansky (2014) et Everywhere We Go de Justin Peck (2014). Et il y a une cohérence dans ce programme intitulé Chorégraphes du XXI siècle. Tous les trois, à des degrés divers, ont en effet façonné le répertoire contemporain du New York City Ballet fondé sur ce renouveau du néo-classicisme post Balanchine.

Pictures at an exhibition- ensemble

Pictures at an exhibition  d’Alexeï Ratmansky

L’œuvre d’ouverture, Estancia, est d’ailleurs en étroite filiation avec l’histoire de l’autre père fondateur du NYCB, Lincoln Kirstein. Assistant en 1941 à Buenos Aires d’une représentation d’un ballet composé par l’argentin Alberto Ginastera, Lincoln Kirstein commanda sur le champ une partition pour sa troupe, l’American Ballet Caravan, qui sera dissoute avant que George Balanchine n’ait le temps de la chorégraphier.

70 ans plus tard, Christopher Wheeldon s’y est risqué. Ce ballet narratif en un acte, qui se passe dans la pampa argentine, raconte comment un jeune homme de la ville séduit une fille de la campagne entourée de chevaux et de gauchos. La musique, dont une partie est chantée, reprend des thèmes folkloriques argentins. Le ballet débute sur l’entrée du jeune homme de la ville interprété par Tyler Angle. Belles lignes, arabesques impeccables, sauts d’une absolue propreté : ce solo permet de voir l’un des danseurs les plus élégants de la compagnie. Il est rejoint plus tard par Tyler Peck, pas tout à fait crédible en jeune fille de la campagne mais à la danse somptueuse. Leur pas de deux est le sommet d’un ballet où Christopher Wheeldon semble s’être égaré : corseté par un argument qu’il ne fait jamais sien, ce qu’il donne à voir sur scène est bien pauvre avec des ensembles trop fades. Tout aussi pénible l’incarnation des chevaux des gauchos par des danseurs. On souffre pour Andrew Veyette qui ne méritait pas un tel traitement.

Estancia- Tiler Peck et Tyler Angle.

Estancia de Christopher Wheeldon – Tiler Peck et Tyler Angle

Alexeï Ratmansky est lui insaisissable ! Il est tout simplement partout en printemps new-yorkais, avec quatre soirées – rien de moins ! – dès le mois de mai avec la nouvelle saison de l’American Ballet Theatre et deux reprises pour le NYCB dont ce Pictures at an Exhibitioncréé en 2014. Pour ce ballet non narratif, Alexeï Ratmansky, grand musicien et fin connaisseur du répertoire russe, a choisi la version pour piano de Modeste Moussorgski, moins souvent interprétée que celle orchestrée par Maurice Ravel. C’est le talentueux Cameron Grant qui est au clavier. C’est un pianiste qui aurait pu faire une carrière de soliste mais qui, par passion, a choisi le New York City Ballet où il officie depuis 1984. Il faut espérer qu’il fera le voyage à Paris où ce ballet sera présenté aux Etés de la Danse, tant son jeu fait partie intégrante du plaisir de la représentation.

Aussi à l’aise dans la reconstruction des ballets narratifs que dans les œuvres sans sujet, Alexeï Ratmansky offre ici une pièce majeure de son répertoire. Le décor est une projection déclinée d’un tableau Carrés de Couleur avec cercles concentriques du troisième russe de cette création, Vassily Kandinsky . C’est devant cette reproduction que s’ouvre ce ballet pour dix danseurs et danseuses, regroupé.e.s au centre dans un ensemble joyeux qui rappellerait l’atmosphère d’une cour de récréation. Il y a quelque chose de tendrement enfantin dans cette œuvre où chaque opus de la partition se traduit par un solo, un pas de deux, un ensemble. À mesure que les danseuses et les danseurs évoluent sur scène, les projections et les variations du tableau de Kandinsky changent, se transforment ou disparaissent. Le plus surprenant sans doute est cette impression d’improvisation constante quand le ballet est évidemment très écrit.

Pictures at an exhibition-ensemble.

Pictures at an exhibition d’Alexeï Ratmansky

Il y a aussi cet esprit de troupe qui émane de ces dix danseurs et danseuses, dont pas moins de sept Principals. Tous et toutes sont remarquables, mais je relève tout spécialement un moment phénoménal avec un pas de deux virtuose exécuté par Sara Mearns et Amar Ramasar, où l’on a le sentiment que les deux artistes ne font plus qu’un. Ce miracle existe quand la musicalité est à son paroxysme et on peut compter sur Alexeï Ratmansky pour avoir détaillé avec la troupe les moindres nuances de la partition.

C’est le chorégraphe maison qui referme cette soirée. Everywhere We Go de Justin Peck fut créé en mai 2014. Deux mois plus tard, le maître de ballet en chef du NYCB Peter Martins nommait Justin Peck, toujours soliste de la compagnie, chorégraphe en résidence. Et on comprend pourquoi en découvrant ce ballet, l’un des plus ambitieux du jeune prodige américain. 40 minutes de musique orchestrale spécialement composée par l’américain Sufjan Stevens, chanteur compositeur multi instrumentistes et 25 danseur.se.s sur scène. Everywhere We Go installe de manière magistrale le style de Justin Peck : un art de la construction et de la déconstruction des ensembles qui évoque évidemment George Balanchine. On ne sait jamais où les danseurs et les danseuses vont se regrouper et sous quelle forme géométrique : cercles et diagonales se déploient avec une aisance qui surprend en permanence. Son art du pas de deux est encore conventionnel, mais il y a constamment un souci du détail et une attention à la personnalité de chaque danseur et de chaque danseuse.

Everywhere We Go-Tiler Peck et Amar Ramasar

Everywhere We Go de Justin Peck – Tiler Peck et Amar Ramasar

Le retour sur scène de Robert Fairchild, l’un des danseurs les plus charismatiques du New York City Ballet, n’est pas pour rien dans le plaisir d’Everywhere We Go (et il faut en profiter avant son exil provisoire à Londres l’an prochain pour la reprise d’Un Américan à Paris). Il incarne plus que tout autre l’esprit et le charme du New York City Ballet : une technique flamboyante, un humour dans le geste et une énergie explosive. Il est entouré par six autres Principals dont Sterling Hyltin, Tiler Peck, Amar Ramasar ou Andrew Veyette déjà sur scène dans l’un des deux ballets précédents. Cette inépuisable générosité des artistes, c’est aussi cela le New York City Ballet.

 

21st Century Choreographers par le New York City Ballet au David H.Koch Theater New York. Estancia de Christopher Wheeldon avec Tiler Peck, Tyler Angle et Andrew Veyette. Pictures at an exhibition d’Alexeï Ratmanskt avec Sterling Hyltin, Lauren Lovette, Sara Mearns, Gretchen Smith, Indiana Woodward, Tyler Angle, Adrian Danching-Waring, Gonzalo Garcia, Joseph Gordon et Amar Ramasar. Everywhere We Go de Justin Peck avec Sterling Hyltin, Rebecca Krohn, Tiler Peck, Andrew Veyette, Robert Fairchild, Amar Ramasar et Teresa Reichlen. Dimanche 24 avril 2016 au. À voir aux Etés de la Danse au Théâtre du Châtelet du 28 juin au 16 juillet.

 

Commentaires (1)

  • Annso31

    Super retour, merci danse avec la plume pour ces petits tours du monde à travers vos articles (et oui il n’y a pas que l’opéra de paris !!). Hâte de découvrir ce programme par moi-même aux étés de la danse.

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