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Soirée Forsythe/Brown/Bel – Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon ouvre sa saison avec trois chorégraphes qui font fondamentalement partie de son ADN : William Forsythe avec The Second detail, Set and reset/Reset de Trisha Brown et la création Posé, arabesque, temps lié en arrière, marche, marche de Jérôme Bel. C’est d’ailleurs autour de ce dernier que le programme s’est construit. Sa création laisse dubitative, comme si le chorégraphe était resté à la porte de son idée. William Forsythe surprend toujours, et sait lui vraiment faire des clins d’oeil à l’histoire de la danse tout en restant furieusement moderne. Entre les deux, la pièce de Trisha Brown proposait une danse d’une beauté.

The Second detail de William Forsythe – Ballet de l’Opéra de Lyon

The Second detail est un William Forsythe typique : une musique de Thom Willems, une technique classique poussée dans ses retranchements et ses extensions, des variations féminines au milieu d’ensembles, des allures dégingandées, des artistes entrant.e.s et sortant.e.s de scène en marchant, de simples académiques (gris cette fois-ci). Forsythe sans surprise ? Jamais ! Le chorégraphe a cela de génial que, même en appliquant ses recettes que l’on connaît par coeur, sa danse ne cesse de surprendre, subjuguer, réjouir, emporter. Un clin d’oeil à Marius Petipa par là avec des variations de solistes, une référence à George Balanchine par-ci avec des ensembles à la danse tonique, mais tout est absolument moderne et résolument novateur. Voilà le chorégraphe qui a digéré ses maîtres et a créé quelque chose de nouveau sans les renier. “Le ballet classique est une expérience créative de l’échec. Il n’y a aucune arabesque absolue. Il n’existe pas de réalisation parfaitement réussie d’une chorégraphie. Il faut s’efforcer d’échouer mieux, selon la formule de Samuel Beckett… et tenter de repousser les limites du corps comme rechercher de nouvelles formes“, explique William Forsythe. Voilà, tout est dit, encore une fois.

Le Ballet de l’Opéra de Lyon faisait sa rentrée avec cette pièce. Et le jour de la première, la troupe était un peu en mode diesel, demandant quelques minutes avant de se fondre dans la pièce, alors que The Second detail demande d’emblée une énergie percutante. Mais la troupe connaît bien le chorégraphe, et au fur et à mesure d’oeuvre, elle s’est coulée avec plus de naturel et d’amplitude dans cette danse acérée. Julia Weiss notamment, nouvelle recrue de la compagnie, a proposé une formidable première variation, ses longues jambes et ses bras de cygnes s’amusant avec délice des pièges diaboliques de la chorégraphie. The Second detail s’adresse d’ailleurs plus aux danseuses qu’aux danseurs, avec de savoureuses variations, tandis que les hommes sont plus dans une énergie de groupe, presque de corps de ballet pendant que Madame la Ballerine a droit au-devant de la scène (lorsque l’on parlait de clin d’oeil à George Balanchine…). Loin de l’énergie athlétique que propose certaines compagnies (notamment allemandes) dans le répertoire Forsythe, le Ballet de l’Opéra de Lyon joue plus sur les longues lignes et un très intéressant travail du haut du corps, tout en finesse. 

The Second detail de William Forsythe – Ballet de l’Opéra de Lyon

Set and Reset/Reset de Trisha Brown apparaît ensuite comme une longue respiration de plénitude. Les six danseurs et danseuses sur scène apparaissent en duo, trio ou groupes pour une sorte de longue improvisation structurée. Leur mission : répondre à des règles aussi simples que précises comme “Étudiez l’alignement“, “Jouez avec la visibilité et l’invisibilité“, “Restez simple” ou “Si vous ne savez pas quoi faire, alignez-vous“. Le Ballet de l’Opéra de Lyon danse depuis longtemps Trisha Brown, en a compris les codes. À aucun moment leur danse ne ressemble à une improvisation, tout semble au contraire très étudié. Le geste est beau, cherchant la pureté, sans fioritures ni geste perturbant. Mais je ressens toujours une certaine frustration à voir danser le répertoire de Trisha Brown par une autre troupe que la sienne. Il y a chez ses artistes une façon d’être ancré dans le sol, une science du changement du centre de gravité qui n’appartient qu’à eux et elles. Et j’ai toujours l’impression que les autres manquent de poids finalement, même si le Ballet de l’Opéra de Lyon a très bien compris toute la complexité de Set and Reset/Reset.

Set and Reset/Reset de Trisha Brown

La création de Jérôme Bel, qui terminait la soirée, excitait la curiosité, comme à chaque fois. Surtout parce que lui-même avec tenu au programme de cette soirée. Le titre de son oeuvre était plutôt alléchant : Posé arabesque, Temps lié en arrière, marche, marche. Les puristes auront reconnu la chorégraphie de la célèbre descente des Ombres, qui ouvre le dernier acte de La Bayadère de Marius Petipa. Tous les artistes du Ballet sont sur scène, et démarrent la pièce en reprenant sur la musique cette fameuse chorégraphie. Sauf que chacun et chacune a créé son propre costume. Un tutu délirant par là, une simple tenue de travail de l’autre, des plumes pour l’une, du brillant pour le suivant, une caricature du Prince pour le troisième, une tenue de diva pour la quatrième : tout le monde se montre en Ombre avec toute sa personnalité et son exubérance, alors que ce passage est l’un des symboles de l’uniformité du corps de ballet. Le plus beau, c’est que ça marche. Parce que l’on peut tout faire avec le ballet classique, s’amuser avec, le triturer, le tordre. Cette descente des Ombres devient furieusement XXIe siècle, l’époque où danseurs et danseuses ont le droit d’avoir des corps différents et de montrer leur personnalité à chaque instant, ce qu’ils et elles sont. 

Mais, mais, mais… Le souffle retombe assez vite. Car l’on pensait que cette descente des Ombres serait le début d’une drolatique relecture de l’acte elle n’en est en fait que la fin. Alors que la chorégraphie initiale se mue, les danseurs et danseuses continuent leur lente chaîne de Posé arabesque, Temps lié en arrière, marche, marche. Même une fois la musique finie. Ils et elles descendent la scène comme ça. Puis la remonte. Puis la traverse en fond de scène. Puis la prenne en diagonale, toujours en Posé arabesque, Temps lié en arrière, marche, marche. L’on se demande s’ils.elles n’auraient pas continué une fois de plus si les applaudissements n’avaient surgi au bout de 20 minutes. Et moi de rester perplexe. Mais qu’est-ce qui est passé par la tête de Jérôme Bel ? Voulait-il commettre un acte de rébellion ? Peut-être que cela l’était en 1980, mais certainement plus aujourd’hui. Ne reste qu’un vague ennui et l’impression que le chorégraphe est resté au seuil d’une porte diaboliquement intéressante qu’il venait lui-même d’ouvrir. Et qui aurait fait de cette soirée un programme magistral, fermant la parenthèse que William Forsythe avait si génialement ouverte au début. Mais cela, forcément, aurait demandé plus de travail, l’envie de creuser cet acte des Ombres pour mieux le distordre. Paresse intellectuelle ou simple mépris du ballet classique, à juger qu’il ne nécessite pas d’aller plus loin ? L’effet dans ce cas est plutôt ironique, car – et ce n’était sûrement pas la volonté de Jérôme Bel – Posé arabesque, Temps lié en arrière, marche, marche rend un superbe hommage à Marius Petipa : cette diagonale, même avec des corps différents, même en costumes délirants, reste d’une stupéfiante beauté.

Posé arabesque, Temps lié en arrière, marche, marche de Jérôme Bel – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Soirée Forsythe/Brown/Bel par le Ballet de l’Opéra de Lyon à l’Opéra de Lyon. The Second detail de William Forsythe avec Jacqeline Bâby, Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Samuel Colbey, Noëllie Conjeaud, Adrien Delépine, Marie-Laetitia Diederichs, Alvaro Dule, Tyler Galster, Caelyn Knight, Marco Merenda, Marissa Parzei, Raúl Serrano Núñez et Julia Weiss ; Set and Reset/Reset de Trisha Brown, avec Dorothée Delabie, Aurélie Gaillard, Coralie Levieux, Elsa Monguillot de Mirman, Albert Nikolli et Paul Vezin ; Posé arabesque, Temps lié en arrière, marche, marche de Jérôme Bel, avec Jacqeline Bâby, Kristina Bentz, Edi Blloshmi, Samuel Colbey, Noëllie Conjeaud, Dorothée Delabie, Adrien Delépine, Marie-Laetitia Diederichs, Alvaro Dule, Tyler Galster, Simon Galvani, Sarkis Grigorian, Caelyn Knight, Ludovick Le Floc’h, Coralie Levieux, Graziella Lorriaux, Marco Merenda, Elsa Monguillot de Mirman, Albert Nikolli, Chiara Paperini, Marissa Parzei, Lore Pryszo, Roylan Ramos, Raúl Serrano Núñez, Paul Vezin et et Julia Weiss. Jeudi 14 septembre 2017. 

 

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