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Giselle par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux – Natalia de Froberville et Oleg Rogachev

Si Giselle s’est fait désirer au Palais Garnier ces dix dernières années, le ballet a plutôt été assidu du Grand-Théâtre de Bordeaux. Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux a ainsi régulièrement repris ce ballet emblématique du romantisme. La reprise 2016 le montre. La troupe est à l’aise dans ce répertoire, mettant en avant ce qui fait sa force : la grande cohérence et la véritable unité de son corps de ballet, même si ses artistes viennent d’écoles différentes. Les protagonistes du soir étaient pour Giselle Natalia de Froberville, soliste invitée du Ballet de Perm, et Oleg Rogachev pour Albrecht. Deux héros.ïnes crédibles et sincères, au partenariat harmonieux et vivant. À cela se sont ajoutés plusieurs jeunes talents repérés dans des seconds rôles. Et un parfum d’intemporalité sur scène. De quoi faire oublier une production parfois vieillissante.

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Giselle – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Pourquoi le public aime-t-il tant Giselle ? Peut-être parce qu’il y a dans ce ballet quantités de références à notre inconscient culturel. On y retrouve les contes de notre enfance aux forêts mystérieuses, les gravures des manuels scolaires, le romantisme littéraire étudié au lycée. Toutes ces petites choses, qui sont beaucoup, et qui rendent ce ballet si unique. Les retrouvailles avec Giselle font toujours du bien (c’est ma prescription personnelle : Giselle, il faut le voir une fois par an, sinon on ne se sent pas bien). Il y avait de tout ça sur la scène du Grand-Théâtre : la forêt sombre, des êtres mystérieux, ces bustes romantiques, des destins tragiques, un parfum du XIXe rendu universel par des artistes d’aujourd’hui.

Natalia de Froberville, invitée de Perm, est une Giselle russe : exubérante, très expressive (trop à mon goût dans la scène de la folie, où j’y aime avant tout la sincérité), un superbe travail de bras. Sa Giselle n’est pas du tout une jeune fille timorée ou nunuche. Au contraire, elle est pleine, débordante, éclatante de vie. La Giselle de Natalia de Froberville est une tornade, qui vit chaque chose avec une telle intensité qu’elle se consume forcément avant l’heure. Sa variation du premier acte est un délice, à la fois d’une grande délicatesse et emportée par cet élan de vie, cette fougue qui caractérise tout son premier acte.

Oleg Rogachev a moins de brio technique, il n’en demeure pas moins un Albrecht convainquant. Véritable bellâtre tête-à-claques à son entrée en scène, il séduit Giselle pour l’amusement, comme un caprice. Mais le prince se laisse vite embarquer – ou plutôt déborder – par la tornade qu’est Giselle. Presque inquiet lorsqu’il s’en rend compte pendant la fête des vendanges (ambiance “Je pensais avoir dragué la moche qui reste sur sa chaise, en fait j’ai séduit la fille la plus populaire du village“), l’Albrecht d’Oleg Rogachev se laisse finalement séduire par Giselle, au point d’en tomber véritablement amoureux. Son désespoir après la mort de cette dernière n’en rend son désespoir que plus crédible. Ce n’est pas le destin qui s’abat sur Albrecht, c’est lui-même le responsable du drame. À ses côtés, Kase Craig apporte un juste contrepoids en Hilarion, véritable personnage de paysan face au Prince, âme terrienne ancrée dans la réalité face à la rêveuse Giselle.

Giselle - Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Giselle – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Natalia de Froberville mise sur la sobriété au deuxième acte, jouant sur sa technique toute en finesse et son beau travail de bras pour faire vivre son fantôme. Oleg Rogachev reste l’amoureux terrassé par sa mauvaise action. Le pas de deux n’est pas un moment d’amour, mais un instant de pardon (de demande comme d’acceptation). Mais le rôle principal de ce deuxième acte ne serait-il pas le corps de ballet ? Il se déploie, là encore, avec une grande cohérence et une véritable homogénéité, sans qu’aucune ballerine ne semble danser de façon automatique. Du monde terrien nous sommes passé.e.s au monde du rêve, au monde des fantasmes, celui où les morts reviennent pour accorder leur pardon. Les six coups de six heures viennent marquer le retour à la réalité.

Certain.e.s habitué.e.s du Ballet de l’Opéra de Bordeaux ont pu râler sur le manque de surprise de ces distributions. La troupe manque en fait de grand.e.s solistes, habitué.e.s des premiers rôles. Mais les jeunes talents ne sont pas loin, Claire Teisseyre en premier lieu dans le rôle de Myrtha. Entrée en tant que remplaçante dans la troupe en 2011, la danseuse formée au CNSMDP s’est vite fait une place, jusqu’à une place de soliste en décembre 2015. Claire Teisseyre propose une Myrtha comme le font souvent les danseuses qui ont encore peu d’expérience des grands rôles. Sa grande variation du début repose avant tout sur sa technique (sûre) et ses belles qualités de saut. Son autorité arrive véritablement une fois que son personnage est confronté aux autres Wilis, et encore plus face aux personnages masculins.

Giselle - Ballet de l'Opéra de Bordeaux

Giselle – Ballet de l’Opéra de Bordeaux

Ainsi un peu timide au début, Claire Teisseyre prend de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure de l’acte. Son geste de fait de plus en plus impérieux, son regard de plus en plus fort, sa posture de plus en plus intimidante. Sans en oublier non plus que Myrtha ne peut rien contre l’amour, ce qui donne tout le contraste au personnage. Idem au premier acte avec le pas de six des vendangeurs. Les deux solistes masculins, Ashley Whittle et Neven Ritmanic, font un début en scène un peu hésitant, comme pour prendre leurs marques, avant de terminer par un final brillant. En espérance que ces jeunes talents aient souvent par la suite l’opportunité de premiers rôles.

 

Giselle de Charles Jude d’après Jean Coralli et Jules Perrot, par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux au Grand-Théâtre de Bordeaux. Avec Natalia de Froberville (Giselle), Oleg Rogachev (Albrecht), Claire Teisseyre (Myrtha), Kase Craig (Hilarion), Guillaume Debut (Wilfred), Pierre Devaux (Prince de Courlande), Nicole Muratov (Bathilde), Ashley Whittle et Neven Ritmanic (les Deux amis), Diane Le Floc’h, Claire Teisseyre, Marina Kudryashova, Marina Guizien, Aline Bellardi et Emilie Cerruti (les Six Amies), Diane Le Floc’h et Marina Guizien (les deux Wilis). Mardi 24 mai 2016. 

 

Commentaires (2)

  • Aventure

    Je n’ai pas pu voir Giselle cette année mais j’ai de bons souvenirs de cette production ! A tenter à la prochaine reprise, peut-être avec les jeunes (ou moins jeunes) talents de cette belle troupe ! (j’aime beaucoup par exemple Marc-Emmanuel Zanoli et Guillaume Debut chez les garçons qui sont là depuis un moment, et qu’on voit assez peu dans des rôles de premier plan, surtout le deuxième) J’ai une petite préférence personnelle chez les filles pour Diane Le Floc’h que je trouve toujours superbe !

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  • Bayadere

    Belle analyse…j’ai quant à moi pu admirer Sara Renda qui m’a totalement convaincue.( jeu dramatique, technique, légereté…)..la plus belle des prestations que j’ai vue de Giselle jusque là ( j’y vais à chaque fois que Bordeaux le met à l’affiche..eh, oui en effet il me faut moi aussi ma dose régulière de Giselle !! et pour les raisons que vous avez évoquées !) Claire Tesseyre majestueuse en Myrtha.bref un vrai régal !

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