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Joyaux de George Balanchine – Ballet de l’Opéra de Paris

Joyaux de George Balanchine fête ses 50 ans ! Ce ballet abstrait de deux heures, rendant hommage aux écoles de danse française, américaine et pétersbourgeoise, a marqué l’histoire de la danse et le répertoire du XXe siècle, dansé aujourd’hui par de nombreuses compagnies. Le Ballet de l’Opéra de Paris, qui l’interprète depuis 2000, a profité de l’anniversaire de Joyaux pour ouvrir sa saison 2017-2018 avec ce ballet. Une reprise portée – ce soir-là – par des interprètes remarquables, rendant toutes les aspérités de ce chef-d’oeuvre complexe. 

(nb : l’Opéra national de Paris n’ayant pas souhaité accréditer DALP sur toute cette série de Joyaux, cette chronique ne s’est pas faite avec une place presse).

Joyaux de George Balanchine – Rubis – François Alu et Valentine Colasante

Des trois parties de Joyaux, Émeraudes est peut-être la plus compliquée à cerner. Hommage à l’école française, elle se sert de la technique du bas de jambes, même si le haut du corps reste marqué balanchinien. Il s’agit surtout d’un esprit, mi-romantique mi-terrien, à saisir et à développer selon chaque interprète, sans caricature. Ouvrant le bal, Dorothée Gilbert et Hugo Marchand sont magnifiquement assorti.e.s, mais le saisissement de cet esprit reste en l’air. Lui surtout, appuie sur le côté romantique bouleversé, peut-être trop terre-à-terre dans ses sentiments, lorsqu’elle garde une certaine distance. Les deux Étoiles rattrapent le tout par une entente qui n’est pas feinte, et chez le jeune danseur une technique du partenariat qui fait des merveilles dans la délicatesse d’Émeraudes. Dorothée Gilbert prend toute son ampleur dans sa variation. Cet esprit si particulier, le voilà justement. Pas vraiment dramatique, mais pas totalement dans l’abstraction, l’Étoile joue sur les nuances des tons, très école française pour le bas de jambe jouant la virtuosité dans la finesse, vraie balanchinienne du haut du corps avec de grands ports de bras libérés.

Myriam Ould-Braham apporte un délicieux contre-point dans la variation de la Sicilienne, rappelant au détour d’un épaulement sa Sylphide vue il y a quelques mois. Du style, toujours, avec intelligence, même si la ballerine gomme les fameuses arabesques en staccato (ce qui a beaucoup déplu aux critiques américaines en juillet dernier). En dehors de ces beaux moments de solistes, Émeraudes tourne cependant un peu en rond, avec un corps de ballet qui hésite lui aussi sur l’esprit, étirant un peu en longueur un ballet pourtant rempli de mystères, et qui avait si joliment commencé.

Joyaux de George Balanchine – Émeraudes – Myriam Ould-Braham et Audric Bezard

Changement d’ambiance avec Rubis. Ici, place à la danse américaine, aux inspirations de la comédie musicale, à la gouaille, à l’humour, aux accents en-dedans. Ici, l’on n’est pas là pour faire joli – aïe, c’est un peu ce qui anime le Ballet de l’Opéra de Paris – mais pour être terre-à-terre sans avoir peur de jongler parfois avec une pointe de vulgarité. Et à ce jeu, le duo du soir Valentine Colasante/François Alu est une petite merveille. Elle n’est pas une ballerine qui fait rêver. Parfait, dans Rubis, l’on n’est pas là pour faire rêver, mais pour s’amuser. Pétillante et truculente, sans oublier un sérieux abattage technique, Valentine Colasante apparaît là dans son meilleur rôle – et donne envie de la voir en Kitri si elle est titularisée dans Don Quichotte en décembre. L’on sait que François Alu est un danseur fantastique. Mais même prévenu.e, sa danse ne cesse d’étonner et de séduire. Lui aussi est dans le jeu, apportant toujours une théâtralité bienvenue dans tout ce qu’il danse. Sans montrer une once de difficulté, il met à merveille en avant toute la complexité de la chorégraphie. Il s’agit d’accents étonnants, de pieds flexes, de déhanchés surprises, de courses au milieu d’une diagonale virtuose, d’un rodéo entre deux pirouettes, de ce mélange de classique et de folklore, de cette façon inattendue de se saisir de la musique : toutes ces surprises qui rendent la danse de George Balanchine si savoureuse et unique en son genre. Le duo s’entend visiblement très bien et s’est raccordé sur ce qu’il avait envie de raconter. L’on rit et l’on glousse en les voyant, si à l’aise dans cet exercice de style, sans pourtant jamais tomber dans la caricature de copier à tout prix la façon de danser américaine qu’ils n’ont forcément pas. 

En face, Hannah O’Neill est plus glamour que jamais, reine du saloon un peu trop jolie pour le lieu, à tel point qu’elle met tous les garçons à ses pieds – au sens littéral du terme. Des jambes interminables à rendre folle toute sa cour, un regard de braise de la fille qui sait rester inaccessible face à ses soupirants (mais dont tout de même elle aurait bien du mal à se passer), Hannah O’Neill est le parfait contre-point au duo, reine du plateau et possédant une véritable autorité scénique sans jamais se départir d’un charme fou. 

Joyaux de George Balanchine – Rubis – Hannah O’Neill

Diamants est là encore dans un autre état d’esprit. Dans son long adage, George Balanchine rend hommage au ballet impérial qui l’a formé, véritable déclaration d’amour au Lac des cygnes de Marius Petipa, sans pourtant jamais copier ou caricaturer. C’est là le génie que de proposer une chorégraphie unique en son genre, qui en même temps rend un si bel hommage à ses maîtres. À ce jeu, Sae Eun Park rayonne. Au-delà de sa technique virtuose, cette danseuse ne cesse de surprendre. L’on pourrait la croire froide, voilà qu’elle propose un lyrisme juste dosé. L’on pourrait la penser mécanique, elle joue avec la musique comme jamais. La ballerine prend tout avec une grande intelligence et esprit, avec beaucoup de finesse et une grâce infinie, mettant si bien en avant les clins d’oeil à Marius Petipa. Son partenaire Florian Magnenet reste un peu plus en retrait, surtout là pour mettre en avant sa ballerine, même s’il se sort honorablement des quelques passages masculins de pure virtuosité. 

Mais la reine en scène reste Sae Eun Park, s’imposant avec une certaine distance, et pourtant sachant toucher les âmes. Preuve des danseuses qui ont du charisme, elle tire tout le corps de ballet vers le haut. Diamants a cela de magique, propre aux grands ballets classiques de George Balanchine : un climax mêlant danse et musique qui explose lors d’un final éblouissant. Si la veille la compagnie était restée monocorde, rendant le ballet bien plat, la voici galvanisée ce soir-là, créant cet effet qui emporte tout sur son passage. Joyaux est visuellement un beau ballet – il suffit d’entendre les exclamations admiratives du public aux trois levers de rideau – porté par une production parisienne magnifique. Mais il souffre de ne rester que beau. Ce soir, les solistes ont su le porter bien haut. La veille, dur contraste, cela se cherchait trop (avec des failles techniques assez gênantes dans Rubis), gommant ce qui rend si uniques ces trois parties et qui font de ce ballet un chef-d’oeuvre toujours surprenant. 

Joyaux de George Balanchine – Diamants – Sae Eun Park et Florian Magnenet

 

Joyaux de George Balanchine par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Émeraudes avec Dorothée Gilbert (la fileuse), Hugo Marchand, Myriam Ould-Braham (la Sicilienne), Audric Bezard, Marion Barbeau, Letizia Galloni et Jérémy-Loup Quer (pas de trois) ; Rubis avec Valentine Colasante, François Alu et Hannah O’Neill ; Diamants avec Sae Eun Park et Florian Magnenet. Dimanche 24 septembre 2017. À voir jusqu’au 12 octobre

 

Commentaires (1)

  • pouiiik

    Merci. J’aime énormément les danseurs cités (notamment Sae Eun Park). Ce devait être une bien belle soirée!

    Vive les Premiers Danseurs et Premières Danseuses si talentueux qui donnent du souffle à l’Opéra.

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