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La Montagne au festival Parade(s) de Nanterre – Danser pour combattre la peur

Le Collectif Bonheur Intérieur Brut s’est fait connaître cette année par son spectacle Ticket, présenté au Musée national de l’histoire de l’immigration. Ce “spectacle documentaire” (suivi d’une discussion) en faveur de la liberté de circulation faisait embarquer le public dans un camion semblable à ceux dans lesquels des milliers de réfugié.e.s, contraint.e.s par des politiques migratoires criminelles, traversent l’Europe au péril de leur vie. En ouverture du Festival d’arts de la rue Parade(s), qui eut lieu à Nanterre du 3 au 5 juin, le Collectif BIB présente une plus ancienne pièce, également politiqueLa Montagne, créée en 2013 avec la chorégraphe Kaori Ito.

La Montagne - Collectif Bonheur Intérieur Brut (à Soissons)

La Montagne – Collectif Bonheur Intérieur Brut (à Soissons)

Sur la Place du Marché de Nanterre, le Collectif BIB a installé son dispositif : trois grandes pentes gris anthracite, très inclinées et à l’allure glissante. Le public est debout, rassemblé au pied de l’installation ; beaucoup d’enfants sont présents, des personnes venues par curiosité – et presque tou.te.s resteront. Une forte musique interrompt soudain les discussions. Au sommet de “la montagne” apparaissent peu à peu les six interprètes du collectif, quatre hommes et deux femmes vêtu.e.s dans les gris et les bleus. Bleus, ils se détachent sur le gris de la montagne ; gris, ils dessinent leurs silhouettes sur le ciel encore clair.

Commence alors une chute entravée : chuter pour se relever, courir de toutes ses forces au sommet, chuter à nouveau… Les bras s’agrippent, les corps se renversent, sont aspirés par le ciel, créant des images saisissantes de beauté. De l’effort tangible des interprètes naît l’émotion du public.

Mais l’originalité du dispositif ne s’arrête pas là : rapidement, les interprètes se dispersent, et avec eux le décor. La montagne devient triple, ses pentes roulantes font fuir le public puis le rassemblent à nouveau. Sur chaque pente, des séquences se jouent, et à chacun.e de choisir où porter son regard. Ici, deux danseur.se.s interprètent un maladroit mais passionné tango ; là, un homme aux cheveux gris se fait poursuivre par le croque-mitaine de son enfance ; là encore, deux femmes regardent fièrement vers le ciel, s’épaulent pour se donner courage. Pas de chaos dans la valse des pentes ou le catapultage des saynètes, mais un ballet d’images et d’émotions, qui crée une proximité rarement éprouvée entre le public et les interprètes, mais aussi entre les spectateur.rice.s.

La Montagne - Collectif Bonheur Intérieur Brut (à Aurillac)

La Montagne – Collectif Bonheur Intérieur Brut (à Aurillac)

La Montagne m’avait bouleversée la première fois que je l’ai vue, en août 2013 au Festival d’Aurillac. Elle venait alors d’être créée, et avait davantage d’âpreté, convoquant le public à devenir témoin de scènes et discours parfois très durs – sur les humiliations faites aux enfants à l’école, sur le harcèlement sexuel… La pièce semble désormais plus douce, davantage portée sur le courage que l’on se donne à affronter ensemble les épreuves que sur ces épreuves elles-même. J’ai un peu regretté ce manque de contrastes, que ne permet pas de combattre une musique par moments sirupeuse.

Mais La Montagne a toujours les mêmes effets de catharsis et d’encouragement à faire corps pour faire face, à être solidaires pour ne plus craindre nos peurs. Ce spectacle résonne de mille échos, d’autant plus forts dans un contexte politique où la peur est omniprésente. Entre danse, théâtre et cirque, mêlant les gestes aux paroles, La Montagne évoque Yoann Bourgeois, Fragan Gehlker, tou.te.s ces artistes circassien.ne.s qui donnent une intense consistance affective à la lutte avec le poids. L’empreinte visuelle et émotionnelle de certaines scènes est particulièrement forte. Ainsi, quand les interprètes mettent en danse La quête, superbe chanson de Jacques Brel, ou encore quand, à la toute fin du spectacle, ils “se constituent un corps courageux” au milieu du public. A leur départ dans les lointains, une nouvelle fois je me sens remuée et grandie par ce spectacle.

 

La Montagne par le Collectif Bonheur Intérieur Brut à Nanterre, dans le cadre du Festival Parade(s). Vendredi 3 juin 2016. 

 

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