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Les éblouissants 10.000 gestes de Boris Charmatz

Après avoir agité le Centquatre pendant dix heures avec Fous de danse, Boris Charmatz, à la tête du CCN de Rennes rebaptisé Musée de la danse, présente son dernier opus pour 24 interprètes, 10.000 gestes. Un spectacle vibrant et remarquable embrassant toute une humanité.

10.000 gestes de Boris Charmatz

10.000 gestes ! Au premier abord, voilà qui sonne comme un impressionnant défi, jalonné d’écueils. 10.000 gestes, d’abord, c’est bien plus qu’aucun chorégraphe ne peut produire pour un seul opus d’une heure. Et puis, puisqu’il s’agit de ne jamais le répéter, cela demande de spécifier ce qu’est un geste. Respirer, courir, faire un pas sont bien des gestes mais avec cette définition trop restrictive, si un seul interprète ne peut le faire qu’une seule fois, point de spectacle. Il est enfin nécessaire de tous les répertorier, pour vérifier qu’aucun mouvement ne ressemble trop à un autre. Sans compter l’effort de mémoire que cela exige des danseur.se.s.

Cette idée un peu folle, Boris Charmatz l’a eue regardant Levée des conflits, une de ses pièces écrite en 2010, dans sa version étirée sur cinq heures pour le MOMA. Séduit par l’effet hypnotique que produisent ses 25 mouvements sans cesse répétés et pourtant toujours différents, il se demande ce que produirait l’exact opposé. Une succession de gestes qui disparaitraient aussitôt qu’esquissés, jamais repris par aucun.e des danseur.se.s. Une sorte de “tombeau pour gestes“. Pour que l’expérience soit intéressante, il se rend rapidement compte qu’il doit travailler sur la vitesse, produire un torrent de mouvements. Il lui en faut donc 500 à 600 par interprète, plus encore que les 10.000 annoncés. Il demande alors à chaque danseur.se de faire don de mouvements, et voit dans ce spectacle un hommage rendu à chacun.e d’entre eux.elles.

10.000 gestes de Boris Charmatz

C’est une œuvre très conceptuelle que l’on s’attend à découvrir lors de la première française de 10.000 gestes au Théâtre de Chaillot. La curiosité est grande : comment Boris Charmatz, qui avoue une passion pour le chaos, a-t-il chorégraphié, cette avalanche de mouvements ? C’est finalement une magnifique pièce, maîtrisée de main de maître, interprétée de façon remarquable, et terriblement vivante que l’on découvre. Un concentré d’humanité, qui jaillit dans une énergie survoltée durant une heure. Gestes académiques et du quotidien se mêlent. Mouvements et paroles ou cris s’enchaînent. Du rire à l’effroi, toute la palette des émotions est convoquée. Sexualité, humour, violence, tendresse, toutes ces facettes sont dessinées dans une urgence fort contemporaine. De solos en danses chorales, de parfaites diagonales en magmas de corps, le courant ininterrompu d’actions est habilement catalysé, habillé de lumières et d’un Requiem de Mozart qui savent se faire tonitruants ou tamisés.

Sans cesse, le public doit faire des choix, être actif. Impossible de tout voir lorsqu’un groupe d’interprètes est à cour et l’autre à jardin, sur l’immense scène totalement dénudée du Théâtre de Chaillot. Idem lorsqu’un couple s’enlace sur le plateau tandis que les autres danseur.se.s jaillissent de toutes parts dans la salle Jean Vilar. Il faut se résoudre à tracer son propre chemin, à construire sa propre histoire en suivant tel ou tel acteur.trice en fonction de ses affinités. Entendre son voisin rire ne manque pas de provoquer une certaine frustration puisque l’on sait que, même si l’on tourne par réflexe la tête pour dénicher l’objet de sa bonne humeur, l’action qui l’a provoquée s’est évanouie et ne reviendra plus. Pourtant, plus que le tombeau évoqué plus haut, plus qu’une ode forcément mélancolique à l’instant présent qui s’évanouit, 10.000 gestes semble toucher une certaine éternité. Celle d’une œuvre tellement foisonnante qu’elle ne peut être épuisée par le regard d’aucun.e spectateur.trice en une ou cent représentations. Un spectacle toujours vivant, en somme.

10 000 gestes de Boris Charmatz

 

10 000 gestes de Boris Charmatz au Théâtre national de la Danse de Chaillot dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Avec Djino Alolo Sabin, Salka Ardal Rosengren, Or Avishay, Régis Badel, Jessica Batut, Nadia Beugré, Alina Bilokon, Nuno Bizarro, Matthieu Burner, Dimitri Chamblas, Olga Dukhovnaya, Sidonie Duret, Bryana Fritz, Alexis Hedouin, Kerem Gelebek, Rémy Héritier, Samuel Lefeuvre, Johanna-Elisa Lemke, Noé Pellencin, Maud Le Pladec, Mani Mugai, Jolie Ngemi, Solene Wachter et Frank Willens. Vendredi 20 octobre 2017. À voir les 24 et 25 novembre au Théâtre national de Bretagne de Rennes.

 

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