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Malandain Ballet Biarritz – Entre Sirènes, Sylphides et Chopin

La finale du deuxième concours de jeunes chorégraphes classiques et néo-classiques se tiendra le 27 mai à l’Opéra de Bordeaux. Pour les gagnant.e.s de la première édition qui a eu lieu il y a deux ans, voilà le temps de montrer leur création. Après Xenia Wiest au Ballet de l’Opéra de Bordeaux, place à Martin Harriague au Malandain Ballet Biarritz. Soit, pour la compagnie, danser une oeuvre qui n’est pas de Thierry Malandain, une première. Le jeune chorégraphe s’est inspiré de l’océan (un thème qui tombe sous le sens pour ce natif du Pays basque), la mer inquiétante peuplée de sirènes. Mais le chorégraphe est plus à l’aise pour faire danser des hommes que des femmes mystérieuses. Thierry Malandain propose à côté une autre création aussi inspirée d’un mythe : les Sylphides, mélangeant de façon plus savoureuse humour, danse abrupte et chorégraphie originale de Michel Fokine. Le tout est encadré par le superbe Nocturnes de Thierry Malandain, pièce créée en 2014 portée par la pleine maturité de ses interprètes. 

Sirènes de Martin Harriague – Malandain Ballet Biarritz

Avec les sirènes, Martin Harriague a choisi un thème ambitieux. Pas tant sur l’imagination – cela ouvre au contraire de vastes champs des possibles – mais sur un niveau plus pragmatique des costumes. Une sirène au premier degré sur scène (aka le costume en queue de poisson) ça ne marche décidément jamais (allez donc voir à Broadway) sauf chez Philippe Decouflé me souffle un collègue. Le geste est forcément engoncé, coupé, alors qu’il y aurait mille et une façons d’aborder cette gestuelle par la chorégraphie. Et Martin Harriague ne crée pas de miracle avec son corps de ballet androgyne rampant au sol dans leur sombre nageoire sans en savoir quoi trop en faire. 

Sirènes ne se limite heureusement pas à ça. Le mystère de l’océan, c’est ce qu’il y a dessous, mais c’est aussi comment y arriver, cette sorte de voyage initiatique où l’on quitte tout pour un monde inconnu. Martin Harriague est plus à l’aise dans ce registre. Il sait faire danser un groupe d’hommes, sait faire circuler une énergie percutante tout comme se servir de la virtuosité des danseurs qu’il a dans les mains. Le passage du monde réel au monde fantasmé de l’océan est réussi aussi avec un joli coup de mise en scène. Les voiles du bateau sont en fait un grand miroir, dans lequel apparaissent, petit à petit, les ombres des sirènes dans la pénombre. Voilà quelqu’un qui, là encore, a la facilité pour créer une ambiance en scène. Mais la chorégraphie se perd là, même si les costumes sont vite enlevés. Il est d’ailleurs assez curieux de constater que le chorégraphe a un véritable instinct pour chorégraphier pour un groupe de danseurs, mais qu’il ne sait visiblement pas quoi faire de danseuse, aussi douées soient-elles. Son choix de musique – les poncifs de Vivaldi et des bruitages – sonnent un peu dépassés et n’aide pas à faire rebondir le propos, qui se perd sur la fin dans une réflexion écologique. Une bonne idée en soi, mais que le chorégraphe n’a pas su exploiter. 

Sirènes de Martin Harriague – Malandain Ballet Biarritz

 

Voilà finalement une chronique un peu dur pour un jeune chorégraphe. Le chemin n’est, pour n’importe qui, jamais ponctué que de chef-d’oeuvre, et Martin Harriague reste incontestablement un talent à suivre. Mais lors de cette soirée, il faisait figure de l’élève à côté du maître. Thierry Malandain proposait aussi sa création lors de ce programme, également inspirée d’un mythe féminin. Mais sa relecture des Sylphides de Michel Fokine – proposé sous le titre Rêverie Romantique, le premier nom du ballet – est un savoureux mélange d’humour et de clins d’oeil à l’histoire, alors que la chorégraphie originale se mêle à la sienne néo-classique et plus terrienne. 

Thierry Malandain est un féru d’histoire de la danse et Les Sylphides lui trottait dans la tête depuis quelque temps. Avec Rêverie Romantique, voilà à la fois un hommage et une relecture du ballet romantique, sur la même musique de Chopin. Ici, la lune est un ballon (qui a tendance à exploser), les tutus sont défaits ou inexistants. Mais les petites mains sous le menton ou le buste légèrement porté vers l’avant – symbole de la danse romantique – sont bien là. Et la chorégraphie ne cesse de s’amuser avec les codes. Le corps de ballet part parfois dans une danse typiquement malandienne – un geste néo-classique tranché – et une résurgence de la chorégraphie originale, notamment dans les placements et déplacement des Sylphides.

Rêverie romantique de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

Ici, le corps de ballet est androgyne, hommes et femmes mélangé.e.s et habillé.e.s pareil, même lorsqu’il s’agit de porter le tutu long. Il s’agissait pour le chorégraphe d’une sortie de gentille vengeance pour les danseurs du XIXe remplacés par des femmes qui se déguisaient en homme. Mais le résultat est savoureux, et surtout montre que cette gestuelle romantique n’a rien de poussiéreuse. Chacun et chacune joue avec ces codes, sans trop l’appuyer non plus, comme une évocation. Et chez les danseurs comme les danseuses, il n’y a rien de maniéré ou de caricatural, encore moins d’effet Trocks. Au contraire, l’effet corps de ballet fonctionne à merveille avec cette troupe soudée. Les Sylphides partent en grande ronde, s’échappent en décalé, reviennent dans leur pose main sous le menton, repartent en bondissant pour mieux retrouver leur ligne sur scène. Comme un aller-retour incessant entre XIXe et XXIe siècle, où l’humour se glisse entre les coins comme l’amour de la danse. 

Là où finalement Rêverie romantique marche moins, c ‘est lorsque le chorégraphe prend le ballet au premier degré. Un couple danse ainsi le pas de deux dans sa chorégraphie originale, en costume et tutu. L’on aimerait alors retrouver le summum de la technique romantique et cette absolue maîtrise de la pointe. Les interprètes du soir font ce qu’ils peuvent, mais leur danse quotidienne n’est pas celle-là, et ils ne peuvent se transformer si rapidement en parfaite gravure de la danse romantique. Le mélange des genres revient vite toutefois, le ballon-lune éclate, le poète est un peu dépité ou s’est trompé de rêve à poursuivre. Voilà le meilleur hommage offert aux Sylphides : montrer que ce ballet a encore des choses à offrir pour des interprètes du XXIe siècle. 

Rêverie romantique de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

Le programme s’est ouvert avec la reprise du superbe Nocturnes de Thierry Malandain, créée en 2014. Sur les pièces éponymes de Chopin, pas de deux, de trois, solos ou ensembles sur succèdent à la recherche d’un certain idéal (et pas forcément amoureux). Du Robbins made in France ? L’idée est là, mais en aucun cas Thierry Malandain ne copie le chorégraphe américain. Chez lui, on badine moins. Il y a parfois plus de désespoir, de nervosité dans la danse. Aussi comme une réminiscence des Willis dans des groupes féminins, une danse masculine forte. Le point commun cependant entre Jerome Robbins et Thierry Malandain : un geste dansé qui surprend toujours, et porté par une musicalité jamais prise de court, toujours surprenante et absolument justes. Les interprètes de ce soir, qui ont l’habitude de danser Nocturnes, ont fait preuve d’une grande maturité d’interprète, très à l’écoute des uns des autres, faisant honneur à la pièce comme au chorégraphe. 

Nocturnes de Thierry Malandain – Malandain Ballet Biarritz

 

Soirée Malandain/Harriague au Théâtre Victoria Eugenia Antzokia de San Sebastián par le Malandain Ballet Biarritz. Nocturnes de Thierry Malandain, avec la compagnie et Thomas Valverde (piano) : Rêverie romantique de Thierry Malandain, avec Patricia Velazquez (la Sylphide), Hugo Layer (le poète) et Frederik Deberdt (Etèop) ; Sirènes de Martin Harriague avec la compagnie. Vendredi 6 avril 2018. Rêverie romantique à voir le 20 avril à la Gare du Midi de Biarritz. Sirènes et Rêverie romantique à voir les 5 et 6 juin à la Gare du Midi de Biarritz et le 21 septembre au Festival Cadences d’Arcachon

 

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