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[Nuits de Fourvière] El callejón de los pecados – Eduardo Guerrero

Après le hip hop inventif de Mourad Merzouki et la fougue d’Acosta Danza, les Nuits de Fourvière virent au flamenco pour la suite de leur programmation Danse, avec El callejón de los pecados d’Eduardo Guerrero. Eduardo Guerrero, c’est un guerrier du flamenco : rugissant en scène dès sa première apparition avec sa stature impressionnante, regard dense et presque un peu fou qui toise le public. Gros costaux au coeur tendre cependant, la danse d’Eduardo Guerrero est parfois sensuelle et douce comme celle d’une femme, et le coeur grand ouvert pour accueillir l’amour d’un public déjà conquis ce soir-là à la Maison de la Danse. Un flamenco de tradition, pas forcément le plus facile d’accès pour un.e néophyte, mais une transcendance de la danse qui se passe de mot. 

El callejón de los pecados – Eduardo Guerrero

Né à Cadix en 1983 dans une famille qui ne venait pas du flamenco, Eduardo Guerrero est monté sur les planches à 6 ans. D’abord interprète – et quel interprète, il mange la scène rien qu’avec son regard – il a dansé pour les grandes troupes de flamenco, comme Eva La Yerbabuena ou Rocio Molina. El callejón de los pecados n’est que sa deuxième pièce, déjà remarquée à la prestigieuse Biennale d’art flamenco de Séville. Pour cette création, le danseur s’est inspiré d’une légende de sa ville natale, a leyenda del callejón de duende. Pendant l’invasion napoléonienne, un capitaine français tombe amoureux d’une gaditana (femme de Cadix) déjà promise à un autre. Ils sont sacrifiés et tués. Au matin, alors que le soleil se lève, leur ombre apparaît dans la ruelle où ils avaient l’habitude de se retrouver. Eduardo Guerrero ne raconte pas cette histoire au sens propre, mais restitue plutôt une ambiance, un parfum. Seul en scène pour danser, il est entouré de deux chanteurs et trois musiciens, qui font corps avec lui en scène. Au fond du plateau, quelques larges toiles sont comme les ruelles de Cadix, par lesquelles le danseur et ses musiciens apparaissent et disparaissent. 

Si Eduardo Guerrero représente l’une des figures du flamenco contemporain, il ne faut pas s’attendre comme avec Israel Galván ou Rocío Molina, au mélange des genres, quand les zapatéado se mâtinent d’une gestuelle plus contemporaine. On est ici dans le flamenco de tradition, mais dans un rendu très brut, sans ornement. Les frappes des pieds sonnent comme la foudre, les gestes du danseur sont comme des éclairs. Eduardo Guerrero est seul à danser. Il semble pourtant presque dans un combat – face à la musique, à lui-même, à son énergie qui lui file entre les doigts, au temps qui passe, à la mort. Ses pieds vibrent, son geste prend de l’ampleur, il rugit presque dans une envolée qui saisit la foule au vol. Eduardo Guerrero est comme un guerrier. Sa gestuelle se fait pourtant féminine parfois, presque douce et sensuelle. Ainsi dans une scène où un projecteur renvoie son ombre en grand sur le fond de scène, avec sa cambrure et ses cheveux longs, ses longs bras qui s’entortillent, l’on pourrait presque croire à l’ombre d’une femme. C’est le danseur qui rejoue finalement la légende des deux amants qui se retrouvent. 

El callejón de los pecados – Eduardo Guerrero

Pendant 1h20, Eduardo Guerrero alterne ainsi de longs solos, laissant parfois ses musiciens seuls en scène pour reprendre son souffle et changer de tenue. Ce qui donne un flamenco brut, sans fioriture, qui se suffit à lui-même mais qui peut déstabiliser un néophyte, attendant une porte d’entrée un peu plus facile. Le public de cette première était cependant visiblement formé de connaisseurs, applaudissant avec chaleur le danseur dès son premier solo. Public qu’Eduardo Guerrero a longuement remercié, dégoulinant de sueur, par une profonde révérence de fin de spectacle digne d’une Ballerina assoluta. Puis les yeux fermés et les bras ouverts, voulant prendre pour lui tout cet amour du public debout. Eduardo Guerrero est un guerrier, certes, mais un guerrier au grand coeur.

 

El callejón de los pecados d’Eduardo Guerrero à la Maison de la Danse, dans le cadre des Nuits de Fourvière. Avec Eduardo Guerrero, Javier Ibáñez et Ramón Amador (guitare), Emilio Florido et Manuel Soto (chant) et Israel Meras (percussions). Mardi 12 juin 2018. Les Nuits de Fourvière continuent jusqu’au 28 juillet.

 

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