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La Fille mal gardée de Frederick Ashton par le Ballet de l’Opéra de Paris – François Alu et Alice Renavand

La Fille mal gardée de Frederick Ashton est presque devenue la tradition de fin de saison au Ballet de l’Opéra de Paris, qui en a fait un pilier de son répertoire alors que la pièce n’y est entrée qu’il y a 11 ans. Alors oui, l’on connaît maintenant ce ballet par coeur et toutes ses petites blagues. Mais c’est là toute la force des indémodables, tout agit encore comme si c’était la première fois : les poulettes, le poney (qui s’appelle Kirikou cette saison, sachez-le), le jeu des rubans, la danse des sabots, les deux amoureux réunis. L’on rit, l’on sourit, l’on (re)tombe sous le charme inlassablement, avec plus de vivacité que le corps de ballet qui semble accuser une certaine lassitude pour cette reprise. Mais la joie de danser et l’humour portaient les protagonistes le soir de la première. Alice Renavand (Lise), Simon Valastro (Mère Simone), Allister Madin (Alain) et bien sûr François Alu, enthousiasmante Colas. Las, la direction s’obstine à ne pas le nommer Étoile avec une application désormais ridicule. Le public, lui, ne boude pas son plaisir. 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Alice Renavand et Françoiis Alu

La Fille mal gardée de Frederick Ashton est en général programmé en fin de saison au Ballet de l’Opéra de Paris, pendant une grosse tournée à l’étranger. Ce qui a classé ce ballet comme une oeuvre “pour les jeunes”, parfait pour lancer de jeunes talents mais pas assez dramatique pour le talent des Étoiles. Tournée américaine annulée et saison pauvre en classique oblige, les Étoiles ont cette fois-ci répondu présents. Et tant mieux, Lise et Colas méritent de grands interprètes (à Londres, Carlos Acosta a fêté dans le temps en grande pompe ses 20 ans de Fille mal gardée). Pour cette reprise, Alice Renavand y a ainsi fait ses débuts en Lise et a eu droit à la première. À l’heure où les Étoiles dédaignent les rôles classiques passées 35 ans, elle fait une prise de rôle à 38 ans d’un personnage plutôt en contre-emploi, techniquement ou artistiquement. Une vraie prise de risque, d’autant plus qu’il y a à l’Opéra de Paris de vraies grandes figures pour ce rôle, à commencer par Myriam Ould-Braham en fin de série.

Et Alice Renavand s’en sort haut la main. Elle ne révolutionne pas le personnage, elle n’y trouve pas le rôle de sa vie, oui. Elle n’a pas l’excellence du style, le moelleux du bas de jambe de certaines de ses consoeurs. Mais elle s’empare de Lise avec beaucoup de coeur, de fraîcheur et d’honnêteté. Si elle n’est pas la plus grande des techniciennes, elle assure ce qu’il faut et occupe la scène naturellement avec beaucoup de charme et d’humour. Voilà une jeune femme au fort tempérament, impétueuse, amoureuse, un peu fofolle aussi, un peu peste évidemment, et terriblement attachante. Avec François Alu, Alice Renavand trouve le bon dialogue. Comme cela s’était déjà vu dans Don Quichotte, ces deux-là font décidément la paire ! Ils sont drôles et irrésistibles, aussi populaires que le couple star du lycée, et comme lui pas méchants sur le fond mais capables de petites cruautés face à ceux qui ne sont pas aussi lumineux et amoureux qu’eux. 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Alice Renavand

Quand François Alu a fait sa prise de rôle de Colas il y a quelques saisons, il était un tout jeune Premier danseur, avec le talent, le charisme et la générosité pour lui, mais encore peu d’expérience d’un vrai partenariat. Trois ans plus tard, voilà un danseur qui sait ce qu’est un premier rôle, qui sait briller dans ses solos tout comme vivre avec ses partenaires et le corps de ballet. On ne présente plus François Alu. L’on pourrait encore écrire que sa danse est brillante à en chavirer, que son charisme prend la scène dès qu’il met un pied en scène, que sa générosité envers le public est sans failles. Je le redis encore, juste pour le plaisir. Son Colas a toutes ces petites choses, tous ces petits détails qui rendent un personnage incroyablement vivant et attachant. Il est à la fois paysan bonhomme, amoureux au coeur tendre, taquin aussi à ses heures, bon vivant sachant être romantique. L’on parle beaucoup de la virtuosité de François Alu. Mais si elle séduit autant, c’est aussi parce que le danseur habite le moindre mouvement de ses personnages, le moindre clin d’oeil, le moindre détournement de tête. Tout en lui respire le personnage du début à la fin. Même s’il y a comme un petit pincement au coeur à se souvenir de ce qu’il était il y a deux ans et demi. Il faisait alors sa prise de rôle de Solor, et c’était un moment extraordinaire. Plus de deux ans plus tard, on ne peut pas dire que ce danseur a régressé. Mais l’on voit un artiste qui n’a pas eu assez à manger, qui n’a pas été assez nourri. C’est le cas d’autres danseurs et danseuses de la compagnie parisienne, c’est particulièrement flagrant chez François Alu. 

Le duo des plus truculents était bien accompagné par les rôles secondaires. Et c’est d’ailleurs bien un quatuor qui portait cette représentation. Simon Valastro (Mère Simone) et Allister Madin (Alain) portent leur rôle respectif depuis longtemps. Ils en font des petits bijoux de drôlerie, de tendresse et d’émotion, tous les deux plus dans la veine du burlesque en en faisant un peu trop, juste ce qu’il faut. Et c’est tout le charme du ballet, qui mêle avec habileté humour si anglais et pas de deux romantique. Face à ces quatre-là, si bien accordés et complices, le corps de ballet est apparu plus effacé. La Fille mal gardée est souvent une belle oeuvre collective à l’Opéra de Paris, avec des danseurs et danseuses qui prennent visiblement beaucoup de plaisir en scène, qui s’amusent de cette légèreté et y apportent beaucoup de fraîcheur. Cela manquait lors de la première, avec un groupe que l’on sentait déjà fatigué et forçant un peu l’enthousiasme. Plus inquiétant, certains passages semblaient singulièrement manquer de répétition, notamment les quatre poulettes et leur coq du début pas vraiment en place. Et pas vraiment dans l’esprit non plus : il ne suffit pas de faire les gestes pour être drôle, mais a-t-on pris le temps de leur dire pendant les répétitions. Exception faite pour les amies de grand luxe de Lise, dont plusieurs avaient droit à des rôles de premier plan il n’y a pas si longtemps. Elles devraient être les plus démotivées, ce sont les plus enthousiastes sur scène, bravo mesdames ! Tous et toutes regardaient en tout cas en coulisse au moment des saluts, si quelque chose arrivait. Nommer Étoile François Alu, au-delà de récompenser un artiste qui le mérite depuis longtemps, aurait ressoudé la compagnie, fait plaisir au public et fait oublier médiatiquement l’affaire du sondage. À la place, la direction préfère perdre le peu de crédibilité qui lui reste. 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton – Simon Valastro

 

La Fille mal gardée de Frederick Ashton par le Ballet de l’Opéra de Paris au Palais Garnier. Avec Alice Renavand (Lise), François Alu (Colas), Simon Valastro (Mère Simone), Allister Madin (Alain), Thomas (Alexis Renaud) et un danseur à la flûte (Axel Magliano). Lundi 25 juin 2018. À voir jusqu’au 13 juillet.

 

Commentaires (2)

  • sabandca

    Oui, ce fut un grand moment de plaisir ! moi qui ne suis pas fan de ce genre de ballet, j’ai été transportée par le joie de danser de tous les interprètes (et bien sur de François Alu pour qui j’étais venue spécialement… d’autant plus frustrée de l’absence de nomination…il va falloir s’y faire=

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  • Dufr

    La Patronne lui donne un rôle d’Etoile, sans le nommer alors qu’il a aujourd’hui et l’expérience et la théâtralité, je croyais que c’était ce que l’on demandait aux danseurs sur scène. “Elle connaît bien la Maison”, disait S.Lissner. Soit ils font ce qui se pratique dans les entreprises lorsqu’ils veulent se débarrasser de quelqu’un : le/la pousser à prendre lui/elle même la décision de partir, rendre les conditions de travail de plus en plus difficiles de façon à ce que l’arrêt soit la seule issue possible. Soit elle a maille à partir avec lui pour des raisons – officieuses – qui l’inciteraient à ne pas lui faire ce plaisir et à le laisser attendre, espérer indéfiniment. Peut-être un mauvais “calcul” de sa part…et dommage pour nous, les spectateurs, qui payons quand même la place pour ressentir quelque chose, pour voir des artistes sur scène et pas seulement des techniciens en petit pourpoint qui maîtrisent la pirouette. Quel gâchis pour ce caprice d’ex Etoile…

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