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[Nuits de Fourvière] Temps de cirque – Circa, Cirque Aïtal, Stéphane Ricordel avec les Dakh Daughters

Les Nuits de Fourvière s’achèvent à la fin du mois, avec une belle affiche danse et cirque qui a tenu ses promesses. Pour les arts circassiens ainsi, trois spectacles très différents ont montré toute la diversité du cirque actuel. D’abord la création d’un percutant Sacre du Printemps par la compagnie Circa. Puis Saison de cirque, spectacle plus traditionnel sous chapiteau, rempli d’humour et de surprise, par le Cirque Aïtal. Enfin un détonnant mélange entre cabaret, humour politiquement incorrect, rock ukrainien (sisi), magie et virtuosité avec Terabak de Kyiv imaginé par Stéphane Ricordel avec les Dakh Daughters. Ce dernier était précédé par la vertigineuse traversée du funambule David Dimitri, meilleur hommage qui soit au sublime Grand Théâtre antique qui a servi d’écrins à ces spectacles. 

Saison de cirque de Victor Cathala & Kati Pikkarainen – Cirque Aïtal

Depuis sa création en 1913, Le Sacre du Printemps n’a cessé d’inspirer les chorégraphes. Encore aujourd’hui, le ballet a droit à de nouvelles versions et relectures chaque année. Pour la première fois, c’est une compagnie de cirque – la formidable troupe australienne Circa – qui s’empare de ce chef-d’oeuvre. Et qui a vu pour l’occasion les choses en grand : une scène circulaire au centre du superbe théâtre antique de Fourvière et l’Orchestre National de Lyon pour l’accompagner. Sur le fond, Circa ne casse pas les lignes : la compagnie revisite ce rite païen en conservant sa force emblématique, ses à-coups du corps, cette ligne en suspension où l’être humain bascule dans le massacre. Les cercles collectifs peuvent d’ailleurs faire penser au Sacre du Pina, par son côté très primaire. Là où la compagnie marque le coup, c’est en utilisant le langage acrobatique comme une véritable chorégraphie. Le cirque nouveau aime mélanger les genres et ne fait plus de l’acrobatie pour le seul plaisir du frisson, même si cela en fait partie. Circa pousse le jeu encore plus loin, en se servant de toute la technique des acrobates pour ne les mettre qu’au service de l’histoire, s’appuyant sur la musique aussi bien que la danse. 

Et l’enjeu est merveilleusement réussi, sachant aussi bien préserver les fondamentaux de l’acrobatie – ce n’est pas de la danse que l’on voit – tout en le mettant au service de la formidable dramaturgie du Sacre du Printemps. Circa propose ainsi une oeuvre forte, étonnante, qui relit à sa façon cette oeuvre mythique et trace de nouvelles lignes aussi bien pour le cirque que pour la danse. Avant cette création, la troupe a proposé deux ballets reposant sur le même principe : Les Nuits d’été de Hector Berlioz et Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel. Le résultat est dans les deux cas un peu plus mitigés, avec deux pièces alternant vrais moments de poésie et instants où l’acrobatie et la danse ont du mal à se mélanger. Ces deux morceaux de musique française ne sont pas non plus instinctivement faite pour la danse, contrairement au Sacre du Printemps qui, de fait a été créé pour un ballet. Reste toutefois une soirée riche de propositions, qui questionne la technique de l’acrobatie et la projette vers l’avant, ouvrant de multitudes de pistes de recherche sur le langage du corps, que Circa, par son indéniable talent, devraient creuser avec bonheur. 

Le Sacre du Printemps de Yaron Lifschitz – Circa

Saison de cirque par le Cirque Aïtal, vu hasard du calendrier dès le lendemain, est un tout autre genre. Chapiteau dans un grand parc, buvette aux lampions, l’on est ici dans un cirque traditionnel et qui se revendique comme tel, sans jamais tomber toutefois tomber dans un côté vieillot. Victor Cathala et Kati Pikkarainen forme un couple hétéroclite, lui géant au coeur tendre, elle format poupée voltigeuse. Le cirque, ici, est une affaire de famille et de bons copains, de bonnes blagues et de pure poésie. Neuf interprètes – acrobates, jongleurs, clown, etc), quatre musiciens et deux chevaux se rencontrent, se cognent, s’amusent et se chamaille, s’inventent de drôles de tours aussi savoureux que désarmants de tendresse et d’inventivité. Saison de cirque a le parfum des spectacles de l’enfance (effet garanti sur le jeune public d’ailleurs), la saveur du burlesque et des surprises aussi, un ton décalé introuvable ailleurs, la bonne dose d’émotion et ce quelque chose d’indéfinissable qui vous colle le sourire aux lèvres et des étoiles plein les yeux. 

Encore une autre ambiance – mais pour finalement le même résultat – avec Terabak de Kyiv imaginé par Stéphane Ricordel avec les Dakh Daughters. Terabak, c’est Cabaret en verlant. Ce qui donne une indication sur le côté hétéroclite de la soirée, qui mélange acrobatie, magie, musique et performance. Le tout dans menée à toute bringue par Yann Frisch, le magicien Monsieur loyal adepte de l’humour grinçant, qui multiple les blagues sur (liste non exhaustive) la crise migratoire, les handicapés ou les riverains râleurs. C’est décapant et, en ces temps de politiquement correct, cela fait un bien fou. Le spectacle est de bric et de broc, piochant un peu dans tous les coins, mené par le rock des Dakh Daughters, un groupe musical et théâtral de Kiev. On s’y perd un peu dans tous ces chemins de traverse, certains effets durent un peu plus longtemps que nécessaire, mais Yann Frisch sait rattraper son public par une repartie qui claque. Et les acrobates envoient du lourdTerabak, c’est un peu n’importe quoi, mais c’est incontestablement tout ce qui fait son charme, et assure un spectacle qu’on ne voit pas ailleurs, dans le ton comme dans la forme. La séance était précédée pour ces Nuits de Fourvière par la grande traversée du funambule David Dimitri. Marchant comme dans le vide, il traverse le théâtre antique à dizaines de mètres au-dessus de nos têtes et fend le ciel en plein crépuscule. Un état de grâce. 

Terabak de Kyiv de Stéphane Ricordel et les Dakh Daughters

 

Le Sacre du Printemps de Yaron Lifschitz par la Compagnie Circa au Grand Théâtre de Fourvière. Jeudi 28 juin 2018

Saison de cirque de Victor Cathala & Kati Pikkarainen par le Cirque Aïtal au Domaine de Lacroix-Laval, avec Victor Cathala, Kati Pikkarainen, Lena Kanakova, Michail Kanakov, Vasia Kanakov, Sergey Mazurin, Matias Salmenaho et Ludovic Baladin (circassiens), Helmut Nünning, Hugo Piris, Benjamin Masuch et Julien Heurtel (musiciens) Timo et Quercy (les chevaux. Vendredi 29 juin 2018. À voir en tournée en France en 2018 et 2019

Terabak de Kyiv de Stéphane Ricordel, avec Ruslana Khazipova, Tanya Havrylyuk, Solomia Melnyk, Anna Nikitina, Natalia Halanevych et Zo (les Dakh Daughters), Daniel Ortiz et Josena Castro Pereyra  (cadre aérien), Benoît Charpe  (monocycle sur trampoline), Julieta Martin (mât chinois), Oscar Nova de la Fuente (sangles), Matias Pilet (acrobate) et Yann Frisch (magie). Jeudi 12 juillet 2018. 

 

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