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Paris l’été – Fall de Victor Hugo Pontes et Kalakuta Republik de Serge Aimé Coulibaly

Le Festival Paris l’été s’achève ce 4 août après trois semaines non-stop de théâtre, de cirque et de danse. Et une édition 2018 servie par une météo clémente – parfois caniculaire ! – qui a eu l’avantage de permettre le bon déroulement des spectacles en plein air qui sont toujours un pari. Mais une seule annulation pour cause d’orage violent sur la capitale a été à déplorer, et le festival s’est fini en fanfare avec la découverte du chorégraphe portugais Victor Hugo Pontes. Il a présenté au public une pièce fracassante de maitrise et de beauté, Fall. Le burkinabé Serge Aimé Coulibaly l’avait précédé dans la délicieuse cour du Lycée Jacques Decour pour la reprise très attendue de Kalakuta Republik créée en juillet 2017 au Festival d’Avignon.

Fall de Victor Hugo Pontes

Avant d’en dire plus sur ces deux spectacles, quelques mots sur ce festival qui, après 28 années d’existence tourmentée a enfin réussi à s’imposer comme un rendez-vous majeur, alors que Paris à partir de la mi-juillet était traditionnellement un désert culturel. C’est moins vrai grâce à Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, à la direction du Théâtre Monfort qui ont repris les rênes de ce festival il y a deux ans. En le rebaptisant Paris l’été (et non Quartier d’été), ce duo a su trouver une niche idéale. La création se limite à des installations qui ne nécessitent pas de trop importants budgets. Et  pour ce qui est du théâtre, du cirque et de la danse, place à une affiche prestigieuse de reprises de spectacles qui ont bénéficié à la fois d’un succès public et critique. Paris Quartier d’été avait aussi souffert d’être bringuebalé d’un lieu à l’autre selon les éditions. Il semble que cette fois, le Théâtre Monfort et le Lycée Jacques Decour soient les deux pôles du festival. C’est ainsi qu’on a pu revoir l’entêtant spectacle d’Oliver Dubois Tragédie ou le solo du belge Jan Martens Ode to the Attempt présenté quelques semaines plus tôt à Avignon.

Il eut tout de même une découverte majeure avec la venue à Paris de Victor Hugo Pontes. Le chorégraphe portugais n’a que peu tourné en France. Brigitte Lefèvre avait eu l’excellente idée de l’inviter au Festival de Danse qu’elle dirige à Cannes. Mais Fall, créé en 2015, n’avait jamais été montré. C’est pourtant un petit bijou qui entraine dans le monde abyssal de la chute, ce qui est par essence la crainte première de toute danseuse et danseur. La danse n’est-elle pas un défi permanent à la pesanteur, la recherche de la légèreté et de l’envol et un pied de nez permanent à l’attraction terrestre ? C’est ce registre-là qu’explore Victor Hugo Pontes avec trois danseuses et quatre danseurs, virtuoses absolus qui prennent en permanence tous les risques. Dès le levée de rideau, tous les sept sont accrochés par les mains aux cintres, quatre mètres au-dessus du sol dans un silence religieux. Puis, subitement, il chutent sur le plateau. 1 heures 10 durant,  ils vont donc tenter sans relâche de lutter contre la gravité avec une sensualité de tous les instants. La chorégraphie de Victor Hugo Pontes décortique tous les gestes et mouvements liés à la chute, les décompose, les fait refaire au ralenti ou à l’envers comme s’il rembobinait sa chorégraphie. On chute seul, en duo,  à trois ou tous ensemble sans jamais renoncer.

Fall de Victor Hugo Pontes

C’est aussi une vision parabolique de la chute avec une recherche d’élévation vers le ciel qui apparait au milieu du spectacle en toile de fond, de l’autre côté du fossé qui termine le plan incliné sur lequel les artistes ne cessent de grimper. Le style de Victor Hugo Pontes évoque parfois l’écriture ciselée de Russell Maliphant, avec sans doute un gout commun pour les arts martiaux. Mais le chorégraphe portugais va aussi chiner du côté du cirque pour nourrir son spectacle d’acrobaties qui appartiennent aussi à cet univers de la chute. Au bout de cette performance, les sept danseuses et danseurs se retrouvent  littéralement sens dessus-dessous sur la tête comme pour enfin résoudre à leur manière cette impossible équation  de la chute.

Kalakuta Republik de Serge Aimé Coulibaly

Fall est un spectacle  épuré à l’inverse de la proposition de Serge Aimé Coulibaly, chorégraphe infiniment politique. Kalakuta Republic avait enthousiasmé Avignon l’an dernier. Et il était légitime de reprendre ce spectacle  puissant qui  a pour inspiration la superstar de l’afro-beat, le mythique Fela Kuti, saxophoniste et chef d’orchestre disparu en 1997 et qui a laissé une trace profonde en Afrique et au delà. Le titre de la pièce reprend le non de la résidence où vivait Fela dans la banlieue de Lagos, Kalakuta Republik décrétée république indépendante. Le spectacle est conçu en deux parties avec tout d’abord une explosion de sons et d’images sur lesquels dansent la troupe de Serge Aimé Coulibaly, le Faso Danse Théâtre. Toutes et tous ont des parcours différents et proposent un style propre dont le dénominateur commun est l’énergie débordante, parfois brutale qui parcourt le plateau. Il y a là des évocations de hip-hop mais aussi de ballet classique. Il manque cependant un fil rouge qui serait lisible par tout le monde. Les images vidéos projetées de part et d’autre de la scène sont à peine discernables et brouillent le propos plutôt qu’elles ne l’éclairent. La musique est l’autre grand point faible. Pour un spectacle qui fait référence à Fela, on attend une exigence que n’arrive pas à servir le compositeur Yvan Talbot. La seconde partie où se montre une ambiance boite de nuit est plus réussie, sans doute parce qu’elle est moins surchargée et émaillée de très belles idées comme cette empilement de chaises que porte l’un des danseurs. On ne s’ennuie jamais mais le récit nous échappe.

Voilà en tout cas un millésime savoureux de ce festival Paris l’été : drôle, sensuel, chaleureux qui sait allier une exigence de qualité et un esprit bon-enfant. Bref ! Paris est une fête. 

Kalakuta Republik de Serge Aimé Coulibaly

Fall de  Victor Hugo Pontes au Lycée Jacques Decour, avec Anaisa Lopes, Angela Diaz Quintela, Antonio Torres, Daniela Cruz, Diogo Almeida, Marco da Silva Ferreira et Valter Fernandes. Jeudi 2 août 2018.

Kalakuta Republic deSerge Aimé Coulibaly au Lycée Jacques Decour, avec Adonis Nebié, Marion Alzieu, Ahmed Soura, Ida Faho, Antonia Nouele et Sayouba Sigué. Samedi 28 juillet 2018.

 

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