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Giselle de Dada Masilo

Après Le Lac des cygnes et Carmen, la danseuse et chorégraphe sud-africaine Dada Masilo s’attaque à un autre mythe du ballet : Giselle. L’emblème du ballet romantique occidental. Car derrière les tutus blancs vaporeux et les forêts de chênes si européennes, il y a les fondamentaux que l’on retrouve aux quatre coins du globe : l’amour, la trahison, la folie, la mort. Même les Willis, qui sont dans les campagnes d’Afrique du Sud des vengeresses menées par une Sangoma, une guérisseuse traditionnelle. La Giselle de Dada Masilo n’est ainsi pas vraiment encline au pardon, mais plutôt une créature du diable. L’acte blanc se transforme en un acte rouge sang, mais toujours baigné comme son homologue européen des morts qui hantent vos rêves une fois la nuit tombée. Malgré quelques longueurs au premier acte, Dada Masilo offre une nouvelle fois une formidable relecture d’un grand ballet du répertoire, mettant en lumière toute sa modernité tout en faisant sienne cette oeuvre pourtant si souvent revisitée. 

Giselle de Dada Masilo

Pourquoi Giselle continue de traverser les siècles, d’attirer toutes les ballerines et de fasciner le public décennie après décennie ? Parce que derrière un certain folklore (tutus blancs et compagnie) il y a quelque chose d’universel. Tomber amoureux, être trompé, être humilié, être trahi, pardonner ou se venger, le poids des classes sociales aussi. C’est tout ce que garde Dada Masilo en reprenant Giselle, qu’elle transpose dans les campagnes de l’Afrique du Sud. Malgré les changements de décor, les habitué-e-s de Giselle ne sont ainsi pas dépaysé.e.s. On retrouve les paysans et paysannes, en pleine fête, dansant au son des musiques traditionnelles et entourant la plus belle, Giselle, celle qui danse le mieux, celle qui rayonne le plus. La fête est interrompue par les dirigeants qui les poussent à se remettre au travail. Mais l’un d’eux, enlevant son pourpoint bleu soyeux, se glisse parmi les paysans pour séduire la jolie Giselle, malgré les mises en garde de son soupirant  

Comme dans ses autres pièces, la danse de Dada Masilo est un percutant mélange de danse contemporaine et danse africaine, ou des mouvements parfois presque académiques (Albrecht a la vraie élégance des princes) se mêle à des gestes percussifs, proposant ainsi une chorégraphie des plus actuels sans se déconnecter de ses racines. La musique est ici celle du compositeur Philip Miller, qui s’est inspiré de la partition d’Adolphe Adam en la triturant et y ajoutant des voix africaines, des percussions traditionnelles ou quelques instruments à cordes. Il faut cependant bien tendre l’oreille pour reconnaître à de rares moments la partition originale. Et c’est presque dommage, car si la musique proposée colle parfaitement au rythme de la chorégraphe, il aurait été intéressant de voir comment Dada Masilo s’empare de la partition originale. Ce sont cependant bien ses danses de groupe paysannes qui portent ce premier acte, peut-être un peu plus que la trame en soi qui parfois se perd un peu. Bref, séduction, trahison, vous connaissez l’histoire. Giselle, se rendant compte de la tromperie, sombre dans la folie. Sauf qu’ici, cela se fait en pleine solitude. Délaissée par ses proches, seule au milieu de la nuit, Giselle reprend les danses du matin. Mais d’une façon plus saccadée, plus nerveuse, de plus en plus folle, jusqu’à s’écrouler, seule, dans sa petite chambre. 

Giselle de Dada Masilo

C’est là que démarre l’acte blanc. Ou plutôt l’acte rouge sang, la couleur des tenues des Willis d’Afrique du Sud. Ce sont elles qui viennent chercher Giselle – ou son âme – pour l’inclure dans ce groupe des personnes au coeur trahi qui ne pensent qu’à se venger. Contrairement à leurs consoeurs européennes, elles ne sont pas fragiles, elles ne sont pas peureuses. Les Willis de Dada Masilo sont de véritables créatures démoniaques, envahies par leur seule envie de vengeance. Seule la mort de la personne qui a trahi leur permettra de quitter enfin le monde des vivants. Et comme nous sommes au XXIe siècle, les Willis sont ici aussi des hommes, tous les sexes ayant eu un jour le coeur brisé. Ces créatures fascinantes et donnant le frisson ont une cheffe. Myrtha devient une Sangoma, une guérisseuse traditionnelle. Véritable et sublime amazone, à la crinière flamboyante et au fouet qui claque, son regard semble porter en lui toutes les âmes trahies de l’humanité. 

L’on comprend ainsi très vite que, dans cette nouvelle Giselle, il n’y aura pas de pardon. Et que cet acte rouge sang sera une longue mise à mort, d’Hilarion d’abord, d’Albrecht ensuite. Comme dans la version traditionnelle,  ce sont d’abord Myrtha et l’ensemble qui commencent à s’occuper du coeur volage. Mais quand Giselle apparaît, il est inutile de lui demander son pardon. C’est elle la plus déterminée à se venger, c’est elle qui va asséner le coup de grâce. Au loin dans la musique résonne l’extrait des 32 entrechats, mais rien n’y fera. Les Willis rouge sang partent dans une danse guerrière et percutante. Elles ne jouent pas à être des fantômes, même si l’on se demande si ce n’est pas dans ses rêves qu’Albrecht est torturé. Si ce n’est pas le remords qui le rend fou à son tour plutôt que les coups de fouet. C’est là toute la grâce de Dada Masilo : arriver, comme le ballet, à naviguer sans cesse entre rêve et réalité. Les Willis sont-elles réelles ou ne sont-elles que la représentation des troubles de notre âme ? Giselle n’a pas fini de nous fasciner. 

Giselle de Dada Masilo

 

Giselle de Dada Masilo à la Maison de la Danse. Avec Dada Masilo, Sinazo Bokolo, Nadime Buys, Zandile Constable, Liyabuya Gongo, Khaya Ndlovu, Lwando Dutyulwa, Thami Majela, Llewellyn Mnguni, Steven Mokone, Thami Tshabalala, Xola Willie et Tsepo Zasekhaya. Jeudi 4 octobre 2018. À voir jusqu’au 7 octobre puis en tournée en France, dont la Villette du 18 au 21 décembre

 

Commentaires (1)

  • pascale Maret

    Très belle version, en effet. L’image finale est splendide. Mais j’ai comme vous des réserves sur la musique, compromis confus à mes oreilles, qui affaiblit autant la force des rythmes africains que la mélodie d’Adam.

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