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Asphalte, de Pierre Rigal

Deux bonne critiques dans Le Monde et Les Échos en deux jours, il n’en fallait pas plus pour me donner envie de découvrir Pierre Rigal, nouveau chorégraphe qui monte et qui rempli les salles. Direction jeudi 10 mars pour son Asphalte, dans un Théâtre Monfort plein à craquer, où se mélangeait ados fan de danse urbaine et bobos cultivé-e-s.

Pierre Rigal invente ici une vraie danse contemporaine, dans le sens bien dans son époque. Une danse décomplexée, qui n’a pas peur de s’amuser, de tenter des expériences, de jouer avec le décor et les sons, et de créer des choses sans sombrer dans une intellectualisation à outrance du propos. Tout peut être détourné, pour virer à un jeu cruel ou à une totale dérision, comme la fresque de l’évolution de l’être humain qui devient un véritable terrain de jeu. La danse, c’est ludique avant tout.

Asphalte est ainsi une suite de petite saynètes entre quatre garçons et une fille, comme autant d’expériences. Avec en fond un grand rectangle de lumière, véritable sixième danseur. Là une série de portés acrobatiques, là un pur solo de hip hop, là des corps déformés et rapetissés, là des effets de lumières, là une sorte de pantomime urbaine. Là encore une allure robotique où chacun s’amuse avec les bruitages. Je soupçonne fortement Pierre Rigal d’avoir grandi avec Star Wars. C’est surprenant, parfois drôle, parfois étrange, mais ça ne laisse pas indifférent.

Parmi tous ces jeux, le chorégraphe semble être doué particulièrement pour deux d’entre eux : le son et les effets de lumière.

Asphalte
La musique, signée Julien Lepreux, est la plupart du temps un ensemble de bruitages et de grésillements. Elle pourrait être totalement insupportable si elle ne se mélangeait aussi bien avec la chorégraphie. Les danseur-se-s s’amusent avec ces bruits, bougent véritablement avec eux, prêtent parfois leurs voix. Tout fait corps, c’est admirablement bien trouvé.

Côté lumière, c’est là encore une mine de jeux pour les danseurs, qui s’en habillent ou se lancent des lampions fluorescents. La fin est particulièrement réussie. Les danseur-e-s dansent face au rectangle de lumière, qui lance de grands flashs blanc au public. C’est horriblement horripilant et totalement aveuglant. Mais l’œil s’habitue petit à petit, et l’illusion d’optique rentre en Jeu. Le/la danseur-se- n’apparaît plus que figée, en l’air en plein milieu d’un saut. Ils/elle prennent leur envol chacun à leur tour, ils/elle semble suspendue au ciel, c’est bluffant.

Le chorégraphe est un ancien sportif, et ça se voit. La danseuse ouvre le bal, le regard aussi volontaire qu’une judokate s’apprêtant à combattre pour la médaille d’or aux Jeux Olympiques. Sa danse est physique. Contre qui se ba-telle ? Peut-être envers l’énorme rectangle de lumière. La jeune femme est vite rejointe par quatre danseurs. Chacun cherche sa place, jusqu’à ce que la femme gifle l’un de ses partenaires. La solidarité masculine se met en œuvre, tout le monde se rue sur la danseuse et se la passe de mains en mains. Si elle tente au début de s’enfuir, elle semble apprécier au fur et à mesure. La recherche chorégraphique est vraiment intéressante avec de nombreux portés, mais le propos m’a mise franchement mal à l’aise, surtout que ça n’avait pas l’air d’être ironique. Quelques scènes plus tard, place à une aussi dérangeante pantomime. Un danseur fait mine de tirer sur ses petits camarades, en mimant le pistolet avec ses doigts et en faisant le bruit de la balle. Chorégraphiquement, cela permet de tester des choses intéressantes, comme la désynchronisation des muscles, bien utilisée en hip hop. Mais j’ai ressenti la scène avec beaucoup de violence, d’autant plus qu’une bonne partie du public riait, et que je ne trouvais vraiment pas ça drôle.

Ces deux parties m’ont vraiment gêné sur le fond, surtout que je n’y croyais pas de recul dans le propos. Et ça tranchait radicalement avec l’humour des autres parties. La majorité d’Asphalte est heureusement plus légère. Une soirée intéressante en tout cas, avec son lot de surprises. Et un chorégraphe à suivre.

Asphalte, de Pierre Rigal, au Théâtre Monfort à Paris jusqu’au 20 mars.

© Photo : Pierre Grosbois

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