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Casse-Noisette – Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Le ballet Casse-Noisette, c’est un peu comme tous ces petits rituels de Noël : il faut que cela respecte certaines règles. L’emballage des cadeaux doit se faire au son des chansons de Frank Sinatra, Love Actually se regarde forcément avec une tasse de thé ou de chocolat bien chaud (chat ronronnant en option). Casse-Noisette, c’est un peu pareil. S’il n’y a pas cette ambiance délicieusement joyeuse et bon enfant, le sapin, les flocons de neige et les enfants qui courent, ça passe beaucoup moins bien.

Casse-Noisette - La valse des Flocons

Casse-Noisette – Les Flocons

Bonne nouvelle, le Casse-Noisette de Rudolf Noureev, repris par le Ballet de l’Opéra de Paris depuis le 26 novembre, respecte parfaitement le contrat. Le sapin, les enfants, les cadeaux, tout y est, même un parrain boiteux un peu pervers qui zieute sur sa nièce pré-adolescente (mais du Noureev sans un sous-entendu un peu pervers, serait-ce vraiment du Noureev ?). La magie est parfois teintée d’une certaine noirceur des cauchemars enfantins, qui ne gâche pas le plaisir.

La première représentations sonnait le début de l’ère Benjamin Millepied. La troupe, unie et en forme, avait visiblement à coeur de partager ce joli moment qu’est Casse-Noisette avec le public. Tout le monde est en scène le coeur joyeux, chacun dans son personnage, donnant beaucoup de vie à un premier acte qui a décidément beaucoup de charmeDorothée Gilbert se glisse à merveille dans la peau d’une jeune fille, plus vraiment une enfant mais pas encore complètement une adolescente. Daniel Stokes s’amuse visiblement beaucoup dans le rôle du frère chahuteur. Les rôles des parents et grands-parents sont interprètes avec beaucoup de caractère et de finesse. Les élèves de l’École de Danse sont bien sûr les stars de la première partie, avec la Marche en place et – là encore – pleine de vie.

Casse-Noisette - Dorothée Gilbert

Casse-Noisette – Dorothée Gilbert

Mais l’ambiance bougies parfumées et bûche de Noël ne peut pas durer éternellement. Épuisée par tant d’émotions (son cadeau est un casse-noisette, il se casse, son parrain Drosselmeyer le répare, que de choses en une soirée), Clara s’endort et part aux pays des rêves plutôt tourmentés. La jeune fille s’éveille à la sensualité. L’amour est plutôt quelque chose de terrifiant au début. Les gigantesques rats sont proprement inquiétants, la tourmentent et la déshabillent, faisant penser à une véritable agression. Les jouets-soldats prennent vie, mais même s’ils sauvent Clara, ils n’ont rien de vraiment rassurants.

Le Prince, sous les traits de Drosselmeyer, finit par l’emporter et emmène Clara au Royaume des Neiges. Mais le pays de l’amour n’est pas rose-bonbon. La forêt qui se dessine derrière est sombre, inquiétante, on ne sait pas ce qui se cache derrière. Le sentiment amoureux est tout aussi trouble : Drosselmeyer attire Clara comme avec un pouvoir magique, il la prend sous son emprise. Ce sentiment ne fait finalement que suivre la musique de Tchaïkovsky. Ambivalente, elle est teintée d’une ambiance mystérieuse, parfois bien loin des contes de fées. La valse des Flocons est ainsi un mélange d’angéliques choeurs d’enfants et de passages bien plus sombres et tourmentés, où la neige se transforme en tempête. Sur scène, cette dernière scène est magique, véritable mélange de féérie et de mystère. Mathieu Ganio et Dorothée Gilbert sont assortis dès la première seconde. Lui est un Prince à la danse superbe, elle la jeune fille qui s’éveille, sans jamais que l’un des deux ne tombe dans quelque chose de gnan-gnan.

Casse-Noisette - Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Casse-Noisette – Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio

Premier acte réussi, donc, dans une production qui sait éviter le côté Walt Disney de certaines versions anglo-saxonnes. La suite est plus compliquée. Dramatiquement, la version de Rudolf Noureev n’arrive en fait plus à se tenir à partir du deuxième acte. Ce dernier recommence avec le retour des cauchemars. Clara voit sa famille transformée en chauve-souris. Elle apprend à ne plus en avoir peur grâce au Prince et tout le monde se transforme en gentils personnages venus du monde entier. Excuse un peu tarabiscotée qui peine à trouver une raison face aux tourments adolescents du premier acte.

Les danses n’ont donc plus vraiment de raison d’être, et deviennent un divertissement, qui pourrait être intéressant s’il était inspiré. Mais ces danses de caractère ont un cadre assez austère qui brise la magie. Perruques et lustres, bienvenue dans une ambiance Grand siècle qui n’a plus vraiment la chaleur du premier acte. Tout est assez froid, dans une représentation assez ennuyeuse. Et c’est comme si Casse-Noisette ne tenait plus toutes ses promesses. Qu’une comédie romantique de Noël se transforme en Tim Burton, soit. Qu’elle vire au film-français-intello-chiant, le grand écart est un peu trop grand. Non pas que l’on n’aime pas les films-français-intellos-chiants, mais dans ce contexte, cela tombe comme un cheveu sur la soupe.

Casse-Noisette - Dorothée Gilbert

Casse-Noisette – Dorothée Gilbert

Chorégraphiquement, les danses espagnoles, russes ou chinoises sont tellement tarabiscotées qu’il ne leur reste plus beaucoup d’esprit, malgré de superbes costumes. La valse des Fleurs reste très froide, sans aucun lyrisme contrairement à la musique qui s’envole. Seul le trio de la Pastorale, mené par Aubane Philbert, Lydie Vareilhes et Florimond Lorieux, se fraye un chemin, avec un ton légèrement décalé.

Mais le duo d’Étoiles n’est pas parti. Place au grand pas de deux, superbe, qui fait oublier le reste. Il est frappant de voir combien la danse de Dorothée Gilbert et celle de Mathieu Ganio s’accordent bien entre elles. Elle a fait de son personnage une femme sûre et resplendissante. Lui garde sa stature et cette allure, loin des Princes de pacotille. Le couple est brillant, et pas seulement grâce aux paillettes des costumes. La chorégraphie se transcende par la musique, les interprètes en saisissent chaque petits pièges et subtilités.

Casse Noisette - Mathieu Ganio et Dorothée Gilbert

Casse-Noisette – Mathieu Ganio et Dorothée Gilbert

Puis le palais s’en va, la maison et son sapin reviennent. Clara se réveille. Elle n’est plus tout à fait la même. Et son dernier regard, sous la neige, n’est définitivement plus celui d’une enfant. Bancal peut-être, ce Casse-Noisette de Rudolf Noureev n’en a pas moins une certaine magie qui tient ses promesses.

 

Casse-Noisette de Rudolf Noureev, par le Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Dorothée Gilbert (Clara), Mathieu Ganio (Drosselmeyer/le Prince), Caroline Robert (Luisa), Daniel Stokes (Fritz), Bruno Bouché (le père), Laurence Laffon (la mère), Alexis Saramite (le grand-père), Karine Villagrassa (la grand-mère), Pablo Legasa (le petit Hussard casse-noisette), Christelle Granier et Letizia Galloni (deux Flocons), Cyril Mitilian, Simon Valastro et Adrien Couvez (la Danse Chinoise) et Aubane Philbert, Lydie Vareilhes et Florimond Lorieux (la Pastorale). Mercredi 26 novembre 2014.

 

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